L' IDEAL DE PAIX GUIDAIT SES PAS
Nestor Bidadanure :Afrique Asie Septembre 2007
La cause de la paix vient de perdre un de ses brillants partisans. Notre ami Michel Kipoke nous a quitté le 27 juin 2007 à l'âge de 56 ans. En charge du dossier Grand lacs au sein de l’ONG suisse Initiative et Changement, qui œuvre pour la réconciliation des peuples dans le monde., cet observateur impartial et lucide avait tenu, dans ces pages, une chronique sur la situation de la RDC avant la présidentielle.
Cet intellectuel engagé était de ces hommes qui analysent la situation politique d’un pays non pas pour se complaire dans le pessimisme mais pour en extraire les pistes d'action pour la construction de l’espérance. Il était convaincu que l'ignorance et la méconnaissance de l’autre étaient parmi les grands dangers qui menacent la paix dans le monde. Il ne cessait de dénoncer les guerres identitaires dont l’arrière fond idéologique est la haine des différences qui, pourtant, aimait-il rappeler “ font la richesse de l’humanité ”. Les tentatives de certains politiques d’instaurer les pouvoirs fondés sur l’uniformité idéologique religieuse ou ethnique lui paraissaient relever d’un obscurantisme qui se pare d’un masque d’intelligence.
Il avait du mal à comprendre comment les hommes peuvent se dire membres de la communauté humaine et, en même temps, mettre leur intelligence au service de la promotion des idéologies d’exclusions qui finissent par produire les crimes contre l’humanité. Il disait avoir constaté que le déficit d'idéal humaniste, chez les politiques, les rendait cyniques. Ils finissaient, disait-il, “ par penser que la politique est l'art d’instrumentaliser les êtres humains, tels des objets, alors qu’elle sert à la recherche du bonheur commun ”. Il expliquait souvent que son expérience dans le domaine de la résolution des conflits lui avait appris que bien des bourreaux avaient eux-mêmes été victimes dans leur enfance d'injustice. Il tirait de cette observation le constat que l'expérience de la souffrance ne pouvait, à elle seule, être garante de la prise de conscience.
L’élévation de la culture politique et du sens de l’écoute du parcours de l'autre, chez les protagonistes de la crise, lui paraissait nécessaire pour tout dialogue fertile. En bon Juriste, il manifestait sa joie à chaque conclusion d’un accord de paix mais s'écriait tout de suite " la signature ne peut changer en profondeur la culture politique des protagonistes". La perception négative de l'autre due à la propagande de la guerre, la culpabilité des crimes commis et la culture de la ruse lui paraissaient les nouveaux dangers à conjurer pour rendre la paix durable. En s'investissant dans la crise burundaise, Michel était convaincu qu'il contribuait à l'émergence d'une culture de tolérance au sein de la classe politique de ce pays.
L’indépendance de penser et d’action de cet intellectuel pacifiste n’était pas toujours comprise par tous. Dans son pays la RDC, il revendiquait le droit de parler à tous ses compatriotes. Il disait être au service de la paix et non des intérêts particuliers. Il s’était récemment entretenu avec le général dissident Nkunda et était sorti de la rencontre convaincu que l’homme été ouvert et disposé à discuter de toutes les solutions susceptibles de rassurer l’ensemble des congolais.
En rassemblant une partie des dirigeants burundais au Centre International d' Initiative et Changement à Caux en Suisse, du 22 au 27 Avril, Michel Kipoke comme ses collègues, pensait faire reculer les démons de la méfiance dans ce pays. L’initiative fut boycottée par les autorités qui avaient peur qu’elle ne contribue à renforcer l’opposition. Toujours conciliant, et pour dissiper le mal-entendu, Michel est allé expliquer aux officiels le bien fondé de son initiative. C’est au retour du Burundi qu’il fut foudroyé par une maladie dont les origines restent inconnues.
La mort de Michel reste une énigme. L’hypothèse d’un empoisonnement est loin d’être exclue. A ceux qui demandaient à Michel de faire attention à lui, il répondait “ Mandela, Lumumba, Martin Luther King et tant d’autres ne nous demandent pas de les transformer en icônes mais de suivre concrètement leurs exemples. La paix comme la liberté ne sauraient exister sans risque ”. Puisse son exemple briller plus haut pour que sa mort ne soit pas vaine !
Nestor Bidadanure :Afrique Asie Septembre 2007