ADIEU LA JUSTICE BURUNDAISE, BONJOUR LA VERITE

Par Gratien Rukindikiza

 Burundi news, le 30 octobre 2006

La dictature d’un pays commence par harceler les médias, emprisonner les opposants et casser la justice. Après les indépendances, plusieurs de  nos chers héros vivants sont devenus des dictateurs. Le coup d’Etat a été la seule voie possible pour changer le régime dictatorial même si certains nouveaux arrivants ont été pires que les anciens. La conférence de La Baule en France  a servi d’appel pour la démocratisation de l’Afrique. Les peuples africains attendaient des nouveaux pouvoirs issus des urnes de la démocratie. Certains pays ont connu de vraies démocraties. On peut citer le Mali, le Botswana et  le Ghana. D’autres ont regretté les anciens dictateurs. Le Président ivoirien a été et reste un des pires dictateurs africains. Pourtant, il est issu des urnes.

Au Burundi, l’assassinat  de Ndadaye a marqué le début d’une époque des aventuriers. L’arrivée au pouvoir du CNDD-FDD a suscité beaucoup d’espoirs qui ont été vite déçus. Moins de deux mois, le pouvoir avait déjà montré ses limites. La corruption au sommet de l’Etat, l’immixtion dans le pouvoir judiciaire, la confusion entre le rôle du parti et de l’Etat ont ouvert le bal des erreurs du nouveau pouvoir.

Aujourd’hui, le sujet principal dans les débats au Burundi est la justice. J’avais parié  des millions pour récompenser le Burundais qui pourra me dire où est passée la justice burundaise. Les avocats cherchaient désespérément la justice burundaise avec des torches lors de leur manifestation du mois d’octobre 2006.

Nous commençons à avoir des précisions. Elle a été confisquée par un petit cercle d’Akazu. Toute décision importante de justice par ce cercle composé par une seule personne, Radjabu, président du parti CNDD-FDD, aidé par Karenga Ramadhani, ministre de la communication, le général Adolphe Nshimirimana, patron de la Documentation, Mbazumutima, directeur de cabinet du Président et le général Bunyoni, directeur de la police nationale.  

La justice burundaise a été transformée en injustice. Des exemples ne manquent pas. Pour avoir fait un rapport sur le dossier des haricots de la Police, Gabriel Rufyiri, responsable de l’association OLUCOME, a été emprisonné sans s’expliquer. Pourtant, la même corruption avait été dénoncée deux fois par un citoyen nommé Pierre Nkurunziza au moment où il était ministre chargé de la bonne gouvernance et ces derniers mois en tant que Président de la République devant un groupe d’officiers policiers. Deux poids, deux mesures, le citoyen Gabriel Rufyiri est en prison et le citoyen Pierre Nkurunziza est dans un palais présidentiel pour la forme. Les deux devraient être en réalité, selon l’injustice burundaise,  dans la même cellule de prison.  Kabura, correspondant de l’ABP, a été emprisonné pour avoir dit haut ce que tout le monde pense tout bas. Dans le royaume de la dictature, même la pensée est emprisonnée.

La stratégie actuelle du pouvoir est de casser la justice. La cour suprême qui avait décidé la libération des 7 faux putschistes a été changée dans la même semaine. Les nouveaux membres ont appris la leçon et ont donné des assurances quant à leur fidélité à celui qui les a nommés. Avant la nouvelle décision, le président de la cour qui a siégé, a consulté la ministre de la justice. La décision est tombée, les présumés putschistes resteront en prison malgré le dépassement des délais, malgré l’absence des preuves, malgré les irrégularités dans les procédures judiciaires.

Au Burundi, si vous avez la couverture de Radjabu, vous pouvez voler, corrompre, tuer même sans être inquiété par la justice. Par ailleurs, si vous tentez de vous opposer à notre cher El Hadj Radjabu, l’injustice burundaise s’acharnera sur vous. En cas de malchance, c’est la milice qui écourtera votre vie. Combien de burundais sont-ils morts à la Documentation sans que la justice réagisse ? Pourquoi les bandes qui ont lancé les grenades dans les bistrots ne sont-ils pas inquiétés ? Parce qu’ils ont fait une formation au Soudan ? Probablement. Une milice vient d’être créée. Elle est l’armée parallèle de Radjabu. Il serait étonnant qu’elle soit plus forte que les anciens FDD qui n’ont jamais attaqué un camp militaire.

A Muyinga, les tueries ne sont pas encore punies. Certains ont été arrêtés et d’autres restent libres grâce à la protection du fameux cercle. Le commandant de la 4 è région militaire est toujours libre. Le dossier est complet mais certains contestent son existence alors que l’instruction est à la phase finale. Les prévenus du camp de Muyinga, notamment l’officier et le sous-officier du camp Muyinga l’ont déjà cité. Le mandant d’arrêt déposé à l’Armée est introuvable et se trouve miraculeusement dans les tiroirs du procureur général de la République, décidé à bloquer l’arrestation du colonel de la 4 è région militaire.

Le procureur de Muyinga vient d’être muté à Rutana afin de le dessaisir de ce dossier et le confier à un procureur malléable qui prononcera un non-lieu. La mutation du procureur de Muyinga démontre que le pouvoir ne recule devant rien pour imposer l’injustice et bloquer tout magistrat responsable et sérieux. La volonté de bloquer ce dossier est une insulte aux cadavres qui ne sont pas encore ensevelis. Ce sont des fils du pays qui ont été tués. Il mérite plus ce que cette comédie tragi- judiciaire du pouvoir. Il n’y a pas de mots pour caractériser la déception des familles de ces morts en suivant dans les médias les manœuvres du pouvoir pour ne pas punir les auteurs.

On peut casser la justice, mais personne ne pourra cacher la vérité. Elle est connue et personne ne peut la dissimuler. La confiscation de la justice est un pas en arrière. L’histoire nous apprend qu’un roi avait perdu un procès contre son voisin et les sages bashingantahe avaient condamné le roi à indemniser la victime. La monarchie respectait la justice plus que le pouvoir actuel.

Ceux qui refusent le droit aux autres seront les futures victimes de l’abus de la justice. Personne ne restera au pouvoir éternellement. Le pays appartient aux Burundais et sa gestion aussi. Celui qui dit le contraire n’a rien compris à la démocratie. La démocratie se venge. Celui qui applique la dictature à son pays sera enfin de compte victime  de cette même dictature. A bon entendeur, salut !