L'ARMEE BURUNDAISE A LA CROISEE DES CHEMINS

Burundi news, le 18/07/2010

Par Gratien Rukindikiza

Au Burundi, la seule force encore fiable, stable et républicaine est l'armée burundaise. Cependant, cette force traverse une période de mutation qui comporte des hauts et des bas. L'armée burundaise a su intégrer les anciens rebelles du CNDD-FDD, des autres mouvements rebelles ainsi que du FNL tout récemment. Cette armée est devenue internationaliste, un devoir qu'elle assume avec beaucoup de courage et cela honore le peuple burundais. Aujourd'hui, il convient de se poser la question de l'état de cette armée, des obstacles à son devoir, de ses défis et de l'influence de la politique sur cette armée.

Une intégration "politique" dans l'armée échouée

La question ne devait pas se poser car l'armée est neutre politiquement. Pourtant, seule l'ancienne armée a pris des distances avec l'Uprona. Plusieurs anciens rebelles du CNDD-FDD ont gardé un lien politique avec le parti CNDD-FDD. Le chef d'Etat major de l'armée reste toujours en contact et sous influence du CNDD-FDD. Il est normal que ses officiers imitent le chef. De ce fait, l'intégration dans la neutralité politique a échoué. Ce sont surtout les chefs de cette armée, anciens rebelles, qui devaient prendre des distances avec les cadres des partis politiques.

Le parti au pouvoir contrôle actuellement la police. Un cadre de ce parti peut faire des arrestations en compagnie des policiers. Cela ne peut pas se passer à l'armée car ce phénomène serait un danger national.

Indispensable professionnalisation de l'armée et renforcement de la discipline

L'armée burundaise fut redoutée dans les pays voisins. Je me rappelle qu'en 1982, le Président Bagaza avait fait peur au Président Mobutu avec cette armée. Les Zaïrois de cette époque croyaient que les commandos étaient déjà infiltrés dans les hauteurs de Kivu. L'artillerie du camp Mwaro était déjà déployée et le Congo était à sa portée. La discipline, le niveau combatif de cette armée faisaient la gloire du Président Bagaza même s'il a été renversé par la même armée.

Je me rappelle aussi de  la colère du Président Bagaza quand il a constaté que des Burundais exilés au Rwanda avaient distribué des tracts lors du sommet de la francophonie à Kigali. Il a quitté le Rwanda le jour même et a convoqué le Président Habyalimana dès la fin de cette conférence. Le Président rwandais a répondu à la convocation à Ngozi où il était sermonné par le Président burundais. Le rapport des forces penchait du côté du Burundi; grâce à cette armée redoutée dans la sous région.

Trois  bataillons spécialisés étaient les fleurons de cette armée. Il s'agissait du 3 è bataillon commando de Gitega, du 1 er bataillon para de Bujumbura et du bataillon d'artillerie de Mwaro équipé des armes de longues portées (20 à 30 km, ou plus).

Les deux premiers bataillons étaient identifiables par leurs bérets à savoir le vert pour les commandos et le rouge pour les parachutistes. Jamais du temps de l'armée avant l'intégration, un militaire ne pouvait porter un béret vert ou rouge sans avoir passé les 3 mois redoutables et risqués de l'entraînement commando ou les 3 semaines de l'entraînement para. La discipline passe par le respect des insignes et des brevets.

Aujourd'hui, ces bérets se portent sans détenir un brevet. Ma surprise a été grande de constater que, le chef d'Etat major de l'armée qui n'a aucun brevet porte un béret commando. Il est sensé assurer la discipline et le respect des insignes et il est le premier à violer le règlement militaire.  Dans des camps militaires, chaque militaire porte le béret qui lui plait.

Heureusement que les entraînements commandos et para ont repris. Espérons qu' un des grands commandos du pays, ministre de la Défense nationale, fasse comprendre que ce brevet n'est pas une tasse de thé. Espérons aussi retrouver une armée digne de son nom.

L'armée burundaise tire sa force de ses spécialités commandos, para, artillerie et aussi des blindés. Elle devait penser aussi à des forces spéciales aussi compte tenu de son effectif, elle ne peut palier  à ce problème qu'avec des forces spéciales organisées à partir des militaires commandos et para avec des missions spéciales et des moyens spéciaux.

Noble mission internationaliste en Somalie

Les militaires burundais en Somalie font un travail héroïque et digne du pays qui les a envoyés. En comparaison de l'armée burundaise, les observateurs neutres reconnaissent que les Ougandais ont des leçons à apprendre des Burundais. La combativité et la discipline de cette armée ont permis à nos troupes de bien tenir les positions et aussi à se faire respecter. Les pertes en vies humaines n'ont pas découragé ces militaires. Au contraire, ils en ont tiré des leçons.

Il est à constater que cette armée, débarrassée des influences politiques, est une armée respectable. Les politiciens devaient accepter d'arrêter leur ingérence dans les affaires militaires. Si les militaires laissent la politique aux politiciens, les politiciens devaient aussi les militaires à leur devoir. A défaut, les militaires risqueront de s'ingérer dans les affaires politiques et chacun connait les conséquences qui peuvent s'en découler.

L'armée ne devait pas suivre la police

Deux cas que les cadres de l'armée devaient étudier. Est-ce que les militaires devaient intervenir auprès des policiers chez Rwasa? Est-ce que les militaires au sol devaient intervenir à Kabezi avec les policiers pour débusquer moins de 10 personnes?

Au moment où les forces de l'ordre tentaient d'ouvrir la voie passant à côté de chez Rwasa, la résistance a été organisée par la population qui soutient Rwasa. Des tirs ont été entendus du côté de la police. Certains disent que du côté du FNL, des tirs ont été entendus. La police a fait appel à l'armée. La télévision Renaissance a bien montré les images des militaires accompagnant les policiers. L'armée a commis une erreur. Sa mission n'est pas le maintien de la paix en temps de paix. La police n'avait pas épuisé ses moyens pour se défendre ou prendre une décision adéquate en fonction de ses moyens et en respect des droits de l'homme.

Celui qui a pris la décision d'envoyer ces militaires doit avoir réagi pour des considérations politiques. Or, c'est cette politique qu'il faut enrayer de l'armée.

A Kabezi, après un meurtre de deux personnes, la police a fait appel à l'armée pour empêcher une pirogue de traverser le lac Tanganyika. Un hélicoptère est aussi intervenu en tirant sur la population, selon cette même population ou en faisant l'observation selon les militaires qui ne veulent pas endosser un dérapage. Ce qui n'a pas été dit, c'est que les militaires accompagnaient au sol les policiers avec l'aide des milices imbonerakure du parti au pouvoir. L'image rappelait un pays voisin du Burundi.

Est-ce que l'armée de terre devait accompagner les policiers armés des kalachnikovs comme les militaires? La réponse est non. A chacun sa mission. Cette confusion de rôle entre les deux corps déstabilise l'armée et va à l'encontre de la professionnalisation de l'armée.

Cette police est mal commandée, mal organisée. Des officiers se présentent au travail en tenue civile et arrivent à n'importe quelle heure. Elle répond aux ordres des cadres politiciens de ce parti au pouvoir.

Les anciens gendarmes partent à la retraite depuis les années passées. Les derniers partiront ces prochaines années. La police est en cours d'être à plus de 70 % anciens FDD. Pire, les accords d'Arusha ne sont pas respectés car la police serait composée dans quelques années à plus de 80 % par des hutu alors que l'accord d'Arusha stipule 50 % de hutu et 50 % de tutsi.

Quel avenir pour cette armée?

L'armée sera ce que les cadres de cette même armée feront d'elle. Les politiciens peuvent vouloir politiser cette armée, si les cadres officiers refusent, l'armée aura gagné son combat. L'avenir de cette armée réside aussi dans la gestion politique des élections. Les violences à l'égard des militants de l'opposition interpellent aussi l'armée car il ne faut pas oublier que le Burundi est petit. Le militant assassiné ou emprisonné du FNL est le frère ou le cousin de tel ou tel militaire.

Seule la professionnalisation de l'armée marquera son avenir.

L'armée a aussi son rôle à jouer. Si la démocratie échoue, seule l'armée est capable de la remettre sur les rails. Le Mali, le Ghana, et probablement la Guinée doivent leur démocratie au retour de l'armée au pouvoir. Là où l'armée réussit son retour au pouvoir, le militaire Président ne fait que créer des conditions démocratiques pour une bonne tenue des élections sans se porter candidat. Le Burundi n'est pas à ce stade. Dans tous les cas, c'est souvent le chaos politique qui appelle les militaires au pouvoir.