L'ARMEE ET LA POLITIQUE AU BURUNDI

 

Burundi news, le 04/04/2010

Par Gratien Rukindikiza

Les Armées africaines sont les plus politisées au monde. Elles ont joué un rôle clé dans l'évolution de la démocratie dans certains pays et un rôle catastrophique et destructeur de la démocratie dans d'autres pays. Les mauvais politiciens au pouvoir sollicitent l'Armée quand ils sont décriés par leurs peuples. D'autres politiciens de l'opposition sollicitent la neutralité de l'Armée.

L'Armée burundaise a joué un rôle dans les changements successifs des dirigeants avant la démocratie. Elle a joué un rôle néfaste lors de l'assassinat du Président Ndadaye. Si elle n'est pas coupable dans son entièreté lors de l'assassinat du Président Ndadaye, on ne peut pas dire qu'elle n'a pas été complice avec les assassins du Président Ndadaye.

Lors du parti unique Uprona, tous les militaires avaient une carte du parti Uprona. Des comités de l'Uprona étaient fonctionnels dans des camps militaires. C'est après la décision du multipartisme que les militaires ont abandonné officiellement la politique.

L'Armée et la politique, version CNDD-FDD

Ces dernières années, le parti au pouvoir fait tout pour garder un contrôle des militaires ex FDD qui sont dans l'Armée. Des généraux et colonels participent dans des réunions politiques au grand dam des autres militaires. Le contrôle de l'Armée vise à garder le monopole de la violence et à casser toute machine qui pourrait empêcher la violence visant à perturber les élections.

Le CNDD-FDD compte garder l'Armée dans son giron et voit d'un mauvais oeil toute autre sympathie des militaires envers d'autres partis politiques. Les militaires n'ont pas le droit de sympathiser un autre parti politique. Or, le CNDD-FDD l'étale au grand jour. Le chef d'Etat major ne le cache pas et il participe aux montages de faux dossiers au profit du parti CNDD-FDD en perte de vitesse.

La popularité du MSD à l'Armée qui inquiète le pouvoir

Les militaires ont le droit de vote. En tant que citoyens, ils ont le droit d'apprécier ou de ne pas apprécier la politique en place. Il est interdit d'en faire des réunions ou l'objet de la propagande ou instruction. Ces militaires qui vont voter ont le droit de savoir pour qui voter. Ils ont le droit de détenir des écrits des partis politiques. On n'est pas aux années 91 où détenir l'Aube de la Démocratie encore en clandestinité était une faute.  La culture fait partie d'un acquis d'un militaire. Si un militaire peut lire la bible ou le coran dans l'Armée, au nom de quelle loi lire une brochure du MSD à l'Armée est-il coupable?

Un militaire est emprisonné pour le seul motif de détenir le programme du MSD. Combien ont des papiers du CNDD-FDD circulent à l'Armée? Je ne dirai pas qu'ils ont le programme du CNDD-FDD parce qu'il n'existe pas. Les polémistes feraient mieux de le fournir plutôt que de contester.

Un montage est en cours pour constituer un dossier contre Alexis Sinduhije, président du MSD. Il s'agit d'un montage consistant à dire qu'il est à la base de la fronde à l'Armée et à la Police. Le chef d'Etat major Niyombare et son service des renseignements G 2 organisent de faux témoignages pour mettre en prison Sinduhije. Des militaires et sous officiers font de faux témoignages pour des rencontres qui n'ont jamais eu lieu.

Face à la politisation des militaires ex FDD dans l'Armée, les autres militaires observent et critiquent cette façon de faire. Certains montrent aussi qu'ils ont des sympathies à l'égard des partis politiques de l'opposition. Le MSD est de ces partis, comme le Frodebu, l'Uprona et le FNL. Qui est coupable? Le MSD est un parti politique qui est en bonne position, compte tenu des comptes rendus du CNDD-FDD. Le MSD sait que les militaires ont des voix qui comptent aussi. L'Armée a des voix qui dépassent celles d'une commune moyenne. Les politiciens ont besoin de ces voix. L'Armée est apolitique mais vote. Elle a le droit d'être courtisée dans la limite de sa cohésion. Si l'Armée veut garder sa neutralité, elle devrait d'abord dire non à la propagande du CNDD-FDD. J'ai beaucoup apprécié l'intervention du ministre de la Défense qui a fustigé ces partis politiques y compris le parti au pouvoir.

Les problèmes de l'Armée sont purement militaires. Ils sont aussi exagérés par certains politiciens au pouvoir pour perturber les élections. Le CNDD-FDD a déjà compris qu'il va perdre le pouvoir. Le Président Nkurunziza l'a déjà reconnu et a recommandé de mettre en place une violence qui permettra de bloquer la publication des résultats ou empêcher les gens d'aller voter. La tentation de mettre en prison Alexis Sinduhije, un challenger de poids, est grande. Cependant, toutes les données ne sont pas maîtrisées. On ne jette pas en prison un adversaire parce qu'il est en bonne position. Cet acharnement est la preuve irréfutable de la force du MSD. Si non, comment expliquer cette perte de temps à monter de faux dossiers judiciaires au lieu de concevoir un programme politique?

L'Armée attendue pour sécuriser les élections

Des voix commencent à réclamer la présence de l'Armée pour sécuriser les élections prochaines. L'Armée doit garder sa cohésion pour éviter d'offrir aux Burundais un spectacle de désolation. L'Armée unie est la seule capable de sécuriser les élections et de garantir un respect de la décision du peuple. Elle devrait aussi se montrer ferme face aux milices de certains partis politiques, surtout celle du CNDD-FDD. Demain, le parti au pouvoir va perdre les élections. Les militaires ex FDD resteront à l'Armée. La sympathie est humaine et normale. Mais la participation au complot au nom du CNDD-FDD relève de l'incompétence et de l'absence de jugement.

L'Armée neutre ne veut pas dire qu'elle ne peut pas être au courant de la vie politique. Elle est la garante de la démocratie en s'abstenant de s'y immiscer dans la politique et aussi en énonçant clairement les limites aux politiciens à ne pas dépasser si leurs agissements peuvent conduire le pays dans une violence.