Par Nestor Bidadanure
Article paru dans le journal Nouvelafriquasie
Le spectre de l’instabilité politique au Burundi s’est de nouveau emparé des esprits. L’espoir soulevé par les élections de Juillet 2005 a été de courte durée. Il a été éclipsé par la persistance d’une situation économique et sociale des plus difficiles pour la population, ainsi que par la répression exercée à l’encontre des militants des droits de l’homme, par le parti vainqueur des élections. Les récents actes de tortures infligés par le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, aux opposants suspectés de préparer un putsch, ont accentué les tensions et fortement sapé la confiance entre les acteurs politiques. De tant plus qu’ils font suite aux incarcérations de journalistes et de membres de la société civile en mai dernier (voir Afrique Asie de juin 2006). Entre le 31 juillet et le 3 août 2006 les agents du service national de renseignement (SNR) ont arrêté plusieurs personnalités de l’opposition burundaises, dont président du FNL Icanzo, Dr Alain Mugabarabona, le lieutenant Prudence Manirakiza, Alphonse Marie Kadege ancien vice-président de la République, Déo Niyozima président du PRP, le Colonel Damien Ndarisigaranye, Popon Mudugu membre de l’association AC Genocide ainsi que l’avocat Isidore Rufyikiri. Le 20 Août la dérive autoritaire du pouvoir a atteint son comble, en arrêtant l’ancien président Domitien Ndayizeye, dirigeant du frodebu, principal parti de l’opposition.
Un complot imaginaire
Diverses sources confirment les actes de tortures lors des interrogatoires. Ainsi, dans la lettre de protestation adressée le 5/8/2006 au président Nkurunziza, la famille de l’ancien vice-président Kadege livre les détails sur les traitements endurés: « Il a été jeté dans une cellule, obligé de rester debout toute la journée sans boire ni manger » et « autour de 22h, huit agents se sont acharnés sur lui, infligeant à sa personne des coups de bâton, pieds et mains liés, jusqu’à lui casser le bras et les côtes ». Il a été balancé en l’air « telle une pierre et laissé tomber par terre jusqu’ à son évanouissement ». A des degrés relativement différents, la plupart des détenus ont subi des traitements similaires. Le directeur de la populaire Radio Publique Africaine, Alexis Sinduhije, a dû se cacher pour éviter d’être arrêté et l’antenne de sa radio vient d’être suspendue dans la province Nord du pays Ngozi. Quant au président du CNDD, Léonard Nyangoma, il serait toujours en fuite dans une ambassade européenne. Il arrive souvent que les poursuites contre les opposants s’opèrent en dehors des cadres légaux. Outre le fait que les agents se présentent au domicile des prévenus sans mandat d’arrêt, les actes de torture infligés aux prévenus placent les autorités en contradiction avec la constitution nationale. Ils violent aussi la résolution 34/46 des Nations Unis contre la torture, ratifiée par le Burundi le 10 Décembre 1992. C’est en s’appuyant sur ces articles, qu’un des avocats des prévenus, maître François Nyamoya, vient porter plainte contre les tortionnaires pour violation de la constitution.
La plupart des observateurs politiques burundais ne croient pas en l’existence d’un complot contre l’actuel pouvoir. Pour une raison simple : les profils politiques des prévenus paraissent trop éloignés pour qu’ils puissent comploter ensemble. Chacun des accusés a des positions politiques tranchées et éloignées de celles de ses codétenus. De plus, leur influence sur l’opinion est extrêmement faible. Le seul homme politique d’influence relative est l’ancien vice-président Kadege membre du parti Uprona arrivé en troisième position lors des législatives du 6 Juillet 2005 et qui dispose de 15 députés sur un total de118 que connaît le Burundi. Or aujourd’hui il fait partie d’un courant minoritaire au sein de son parti. En outre, le fait que le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, contrôle les services de renseignement et dispose d’une position stratégique au sein de la hiérarchie militaire rend toute conspiration extérieure à ces structures de sécurité improbable. La thèse d’une manipulation du pouvoir est renforcée par les propos contradictoires d’un des accusateurs. Après avoir mis en cause les prévenus, le commandant Rudadi est revenu sur ses propos en expliquant que seul lui-même et l’un des
pensent que le complot serait une diversion inventée pour faire oublier les dossiers sensibles de corruptions, dont la vente de l’avion présidentiel, le jet de type falcon 50 à la société Transairco, à un prix symbolique. Cette transaction a occasionné un manque à gagner de 2 millions de dollars au trésor public. Les commissions en provenance de cette opération se sont volatilisées on ne sait pour l’instant dans quels comptes secrets. Interrogé sur les raisons d’une gestion non transparente du bien public, le ministre de la communication et porte parole du gouvernement Mr Karenga a martelé, devant les journalistes et les représentants des corps diplomatiques « que c’est la décision du gouvernement. Que le gouvernement pouvait même décider de le donner (l’avion) gratuitement!» puisque « le gouvernement est légitime! ».
Résurgence des attentats
L’enlisement du pouvoir burundais dans la spirale de la corruption/répression affaiblit son influence auprès de la population et le discrédite auprès des bailleurs de fond qui ne cessent d’exiger plus de transparence dans la gestion de la chose publique comme condition de leur assistance à la reconstruction du pays. Cette fragilité pousserait les dirigeants actuels à adopter une politique de fuite en avant dans la répression, pour faire taire toute opposition jugée responsable de la méfiance croissante de la communauté internationale envers le régime. L’arrestation le 16 Août 2006 de Mr Gabriel Rufyiri, président de l’observatoire de lutte contre la malversation économique : Olucome, rentre dans cadre de l’offensive gouvernemental contre les libertés publiques. Mais encore plus inquiétant est la résurgence des attentats menés par des groupes anonymes dans des lieux publics ainsi que la multiplication des exécutions sommaires et extra-judiciaires de simples citoyens accusés d’appartenir au FNL par la police. Les corps des victimes sont systématiquement abandonnés au lieu du crime comme pour dissuader toute tentative de contestation du pouvoir par des citoyens.
Les persécutions dont souffrent les opposants politiques ainsi que les militants de la société civile renforcent l’impopularité de l’actuel pouvoir au sein de la population. L’emprisonnement des leaders des associations qui militent pour le respect des droits humains est mal accepté par la population. Celle-ci sait mieux que quiconque que c’est bien la société civile qui, de manière générale, a luttée pour un dialogue inclusif et contre la marginalisation des mouvements armés au moment où ceux-ci étaient dans une mauvaise postule diplomatique. Par ailleurs, le fait que certains de ces mouvements associatifs disposent des militants de base sur l’ensemble du pays et dans les camps de réfugiés en Tanzanie, où vit en exil prêt d’un demi- million de burundais, rend le problème de la violation des droits de l’homme une préoccupation qui touche l’ensemble des classes sociales. La politique répressive force aussi l’opposition à s’unir. Au parlement, les différentes tendances font de plus en plus cause commune pour dénoncer les dérives du pouvoir.
Méfiance des bailleurs
Il est cependant important de souligner que les pratiques répressives des autorités sont loin d’être soutenues par l’ensemble des militants du CNDD-FDD. Nombreux sont ceux qui n’en comprennent pas le bien fondé, d’autant plus que leur organisation avait su trouver des mots rassurants lors de la campagne électorale. Ils ne comprennent pas non plus pourquoi le pouvoir se coupe des moyens d’accélérer son programme de reconstruction nationale en confortant la méfiance des bailleurs de fonds et des investisseurs. Beaucoup espèrent que les tensions finiront par soulever débat au sein du CNDD-FDD sur l’orientation politique actuelle, car celle-ci porte le risque des ruptures internes.
La répression risque également de crisper la position de rebelles du FNL, au moment où les négociations avec le gouvernement semblent progresser depuis qu’ils ont abandonné l’exigence de démantèlement de l’armée. La crise actuelle fait douter de la volonté du pouvoir de mettre en place les fondements de la paix durable. Elle inquiète aussi la communauté internationale, qui aurait aimer transposer le modèle de compromis à la burundaise à d’autres zones de conflit en Afrique et pourquoi pas dans le monde. A moins d’une rectification sensible, la probabilité d’une crise majeure n’est plus à exclure au Burundi. Avec ses imprévisibles conséquences régionales.
La crise actuelle a commencé en 1993 après l’assassinat du président démocratiquement élu Ndadaye et a depuis fait plus de 300 000 morts. Les accords d’Arusha, signés en 2000, sous la médiation Sud-Africaine, ont défini les termes de partage du pouvoir entre les composantes Hutu, Tutsi et Twa, sans pour autant mettre fin à la guerre. Le cessez le feu du 16 Novembre 2003, entre le gouvernement de transition et les rebelles des Forces de Défense de la Démocratie, a permis la mise en place d’une nouvelle transition clôturée par les législatives remportées par le CNDD-FDD avec 59 sièges (le FRODEBU 24, l’UPRONA 10 et le CNDD de Nyagoma 5). Le président actuel, Pierre Nkuruziza, a été élu par le parlement le 19 Août 2005. Actuellement, les négociations se poursuivent entre le gouvernement et le dernier groupe rebelle des Forces Nationales de Libération (FNL).