Ces boulimiques qu’on appelle Dignitaires au Burundi

 Léonidas NDORICIMPA.

Burundi news, le 17/02/2010


 

 Un jour, lorsque les historiens de la vie politique burundaise se pencheront sur la méthode de gouvernement du régime qui sévit actuellement au pays, il y a de fortes chances d’y trouver de beaux et longs chapitres sur la gestion des deniers publics, l’enrichissement personnel subit et éhonté des tout hauts dirigeants. Pourvus de fonctions éminentes, on les désigne ou ils s’autoproclament « Honorable Excellence », « Honorable », « Excellence » ou, de façon plus globale « Dignitaire ».

Que l’on comprenne  bien.  Le problème ne réside pas dans les titres honorifiques de ces « Dignitaires » mais plutôt dans le comportement diamétralement opposé aux titres dont ils sont affublés.

Qu’est-ce à dire ?

Le 24 décembre 2009, les « Honorables » représentants du Peuple ont eu la riche idée d’adopter deux projets de lois.

Le premier portait sur « la modification de certaines dispositions de la loi n°1/09/du 9/12/2004 sur la fixation du régime des indemnités et avantages des parlementaires en fin de mandat ainsi que le régime de leur inéligibilité, incompatibilités et sécurité sociale. »

Le deuxième concernait la loi n°1/020 du 09/12/2004 sur « la fixation du régime et avantages du Président de la République, des Vice- Présidents de la République et des membres du gouvernement ainsi que leurs indemnités et sécurité sociale à la fin de leur mandat. »

Le 28 décembre 2009, l’Assemblée Nationale adoptait la loi des finances pour l’exercice 2010. Avec un peu plus de Cent Quatre – Vingt Milliards  Bif de déficit  .Et pour cause !

Aux termes des deux lois approuvées le 24 décembre 2009, les parlementaires percevront à la fin de leur mandat des indemnités égales à quatre (4)  mois de toutes les indemnités et frais d’un parlementaire en période de session.  Aux ministres, il est accordé une allocation de fin de fonction de trois (3) mois de tous les frais et indemnités.

A ce petit viatique distribué aux parlementaires et aux ministres, il faut ajouter quelques menus avantages comme l’acquisition d’un véhicule, de matériel électronique et informatique importés hors taxe.

S’agissant des trois chefs de l’exécutif, ils bénéficieront de «  3 mois d’indemnités de fonction, des frais d’entretien et d’équipement du parc automobile et du palais, des frais de représentation, des frais médicaux pour eux et leurs enfants mineurs, au Burundi et à l’étranger, des frais de rapatriement du corps en cas de décès à l’étranger ». Et tutti quanti …

Quant aux quatre anciens chefs d’Etat au statut déjà spécial de Sénateurs à vie, ils empocheront eux aussi, comme les autres parlementaires, une indemnité de fin mandat bien qu’étant inamovibles. Comment justifier et qualifier cette IMPAMBA ? Une prime d’encouragement à bien rester accrochés à leur siège ad vitam eternam, appliqués à faire génuflexion devant leur divinité Argent ? Là, l’extravagance confine à  l’ubuesque. Les supposés  être ou avoir été SEBARUNDI, Pères de la Nation, se révèlent en réalité de véritables grippe-sous comme leurs complices parlementaires.

Celui que les connaisseurs comparent facilement à l’artiste français Georges Brassens –je veux désigner l’inénarrable Emmanuel Nkeshimana – se serait écrié en l’occurrence : « Mu kukigabura wamengo babaroze ! ». Traduction approximative : Comme des ensorcelés, pour s’arracher les morceaux du pays, ils se sont livrés à une véritable curée.

Face à cette obscénité, presse parlée, presse écrite, certains partis politiques, certaines organisations de la société civile…hurlent au scandale. 

A ce propos, il m’a été rapporté qu’un journaliste a tendu un micro baladeur à un quidam dans la rue pour lui demander son avis sur les fameuses indemnités desdits « Dignitaires » ; la réaction fut fulgurante et du genre « Ces gens-là ne sont que des goinfres qui ne pensent qu’à leurs gouffres de ventres … A nous qui crevons la dalle, ils se bousculent pour quémander nos voix lors des élections puis, une fois élus, on ne voit plus leurs couleurs…!!! »

Ceci signifie que le citoyen lambda, d’habitude très respectueux envers l’autorité,  est révulsé par l’impéritie,  le cynisme de la classe dirigeante et par les scandales à répétition dont il est victime.

L’interviewé se serait encore plus étranglé de colère s’il avait su, comme nous l’apprend l’Observatoire de l’Action Gouvernementale (OAG), ainsi que l’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques (OLUCOME),  que les indemnités en question atteignent des hauteurs stratosphériques.

Comment peut-on comprendre en effet que le budget 2010 alloué à l’ensemble de 4 (quatre) MINISTERES soit inférieur à ces rallonges généreusement offertes à une poignée d’oligarques ?

Il s’agit du MINISTERE chargé de combattre le SIDA ; du MINISTERE de la Jeunesse, des Sports et de la Culture ; du MINISTERE du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme et du MINISTERE des Droits de la Personne Humaine et du Genre.

Ces 4 MINISTERES sont nantis d’un peu plus de 7 Milliards Bif. Au moment  167 parlementaires, 30 membres du gouvernement et quelques assimilés aux ministres se partagent la bagatelle de 9 Milliards Bif.

Soulignons au passage que, selon le rapport de l’OAG,  le budget de la PRESIDENCE (non compris les 2 vice-présidences) est supérieur à celui du Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage . Un léger accroissement de 47% par rapport à 2009.

C’est absolument délirant quand on sait que les salariés «  normaux » (fonctionnaires, employés, ouvriers …) ne peuvent plus joindre les deux bouts du mois. Si tant est que l’expression « joindre les deux bouts  » ait encore un sens au Burundi. Je crois qu’il n’y a plus de bouts et que l’expression idoine pour désigner ce que les barundi vivent au quotidien est : Gufundikanya amazi .  Intraduisible.

L’expression est empreinte de résignation, assurément.

Le régime use d’une stratégie très efficace pour anesthésier durablement les consciences. Elle est aussi simple que monstrueuse. Elle consiste à enchaîner une multitude de scandales de toutes sortes, les uns plus horribles que les autres. Il se produit alors un amoncellement d’horreurs de telle manière qu’une horreur chassant l’autre, une accoutumance résignée s’installe chez les honnêtes citoyens.    

 

 Merci donc à certains partis  politiques , à certaines organisations de la société civile et à une certaine presse qui ne cessent de sonner le tocsin pour entretenir une mémoire vigilante.

 

Il convient de décerner  une mention spéciale à l’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques (OLUCOME) qui accomplit une action aussi remarquable que courageuse. Je pense en l’occurrence aux avis et considérations contenus dans le document que l’Observatoire avait déjà adressé au Président de la République le 24/10/2007 à propos du décret n°100/281 du 25/9/2007 mettant en application la loi n°1/020/ du 9/12/2004 portant statut du Chef de l’Etat à l’expiration de ses fonctions. Ledit décret y est décrié parce  jugé inique et irrespectueux de la chose publique.   

 

Félicitations aussi bien sûr aux individus patriotes qui crient haro sur les ventriotes  - néologisme qui sied à merveille à nos « Dignitaires » - prédateurs qui ont institué un régime kleptomane.

Je pense notamment  à l’article lumineux d’un certain Chrysostome

Harahagazwe paru dans « Burundi News » le 18/01/2010, sous le titre

« Drame haïtien : les leçons burundaises. »

 Chr.Harahagazwe nous rappelle que «  D’ores et déjà,  nous sommes considérés comme des Haïtiens de l’East African Community. »

Avec cette différence que le Burundi subit une calamité que l’opinion internationale devrait appréhender à sa  juste mesure.

 Par ce billet je rejoins la bronca qui a surgi face à la boulimie de nos « Honorables » et autres « Excellences. »

La sagesse populaire nous enseigne que «  Uvumwa na benshi ukaruhira gutota. »


 

                                                             Léonidas NDORICIMPA.