Burundi news, le 04/04/2014

 

Les enfants des pauvres ont eux-aussi droit d’accès à l’enseignement universitaire !

31 mars 2014, Libérat NTIBASHIRAKANDI

Préambule

N’eut-été la bourse accordée aux étudiants burundais, la majorité des responsables tant politiques qu’académiques qui ont pris la mesure injuste de supprimer progressivement la bourse des étudiants ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui. Eh oui, la politique d’après moi, le déluge ! Et cette mesure est injuste dans la mesure où elle frappe les enfants des plus démunis, seul Dieu sait combien ils sont nombreux au Burundi ! Et pourtant, ce sont ces étudiants qui sont l’espoir pour leurs familles comme l’ont été les autorités du Ministère et des Institutions concernées.

Le marasme économique dans lequel le Burundi s’engouffre chaque jour et le désordre qu’on observe dans le système éducatif burundais ne sont pas ni de la responsabilité des parents, encore moins des jeunes burundais. La mauvaise gouvernance économique, politique et sociale est à l’origine de la crise financière grave qui secoue aujourd’hui le Burundi.   Cette mesure de suppression progressive de la bourse et de privatisation de la Régie des Œuvres Universitaires est donc une fausse solution à la gravité de la situation, il aurait fallu plutôt des mesures plus politiques pour améliorer sensiblement la gouvernance démocratique  qui est source de tous les malheurs des Burundais et plus particulièrement les pauvres les plus démunis.

Tous les Burundais, riches ou pauvres, jeunes et vieux sont directement ou indirectement concernés  par cette mesure, y compris nous les membres de la Diaspora Burundaise. Tous les Burundais devrions donc tous ensemble apporter un soutien total à toute la jeunesse burundaise, l’avenir du Burundi de demain et plus particulièrement aux étudiants burundais qui ont choisi la bonne voie de s’unir pour défendre leurs intérêts communs et ceux de leurs cadets, de résister pour que la mesure injuste de suppression progressive de la bourse soit revue. Si cette mesure passe, elle sera suivie par la privatisation de la Régie des Œuvres Universitaires si ce n’est pas déjà le cas !

Tous les Burundais devrions tous compatir avec les étudiants injustement harcelés, menacés ou détenus suite au refus de se faire inscrire de nouveau à l'Université du Burundi et à l'ENS, je pense notamment à ceux détenus au bureau de la police judiciaire de JABE depuis le 25 mars.

Je réitère mon appel adressé aux étudiants burundais dans son ensemble le 12 janvier 2014 au lendemain du 50ème anniversaire de l’Université du Burundi.

« Aux étudiants burundais, soyez tous de véritables « POILS » et des  « PLUMES » dans leur vrai sens : une élite, des types tout à fait bien, cultivés qui ne ratent aucune réunion scientifique, politique, culturelle, littéraire ou sportive, qui savent s’amuser dans le strict respect de l’autre ; de véritables éclaireurs en paroles et en actes des burundais et des modèles pour les jeunes. Vivez en paroles et en actes les valeurs de votre université, soyez soudés et unis, dépassez les clivages ethniques et politiques, elles sont sans fondement si vous comptez prendre la relève de la gestion de notre beau pays le Burundi. Défendez vos droits : enseignement de qualité et les meilleures conditions d’apprentissage sans violence et dans le strict respect de la loi. Bref, soyez des modèles pour vos frères et sœurs cadets.»

Un marasme économique voulu et entretenu au Burundi.

Le marasme économique dans lequel le Burundi s’engouffre chaque jour ne peut en aucun cas justifier cette mesure de suppression progressive de la bourse et de privatisation de la Régie des Œuvres Universitaires.

Tous les indicateurs économiques du Burundi sont au rouge. Le pouvoir d’achat des Burundais a beaucoup chuté au cours de ces dernières années et la majorité de nos compatriotes sont devenus très pauvres. Et ce sont les plus démunis qui souffrent de ce marasme économique. Et ce qui est étonnant, l’état continue à dépenser comme si le Burundi ne souffrait pas d’une crise financière grave. L’on assiste à des croisades de prière qui mobilisent beaucoup de moyens financiers et des cadres de l’état qui pendant plusieurs jours par an délaissent le travail pour prier! L’on assiste également à l’ouverture de nouvelles ambassades du Burundi à travers le monde : Iran, Portugal, Cuba, Pays-Bas, Grande Bretagne, Brésil, etc. est-ce une priorité ? L’on assiste à la construction des stades dans les différentes provinces du Burundi au détriment des projets de développement qui apportent des richesses au pays. Les services de la documentation qui font des montages pour emprisonner des hommes politiques ou pour diviser les partis politiques d’opposition sont obligés de corrompre des citoyens burundais pour qu’ils participent dans les différents coups bas montés de toute pièce. Combien coûtent ces montages au trésor public ? Et l’entretien des milices Imbonerakure ? Et combien coûte la location des amphithéâtres par l’Université du Burundi ? Et combien coûte le phénomène de  marchés qui ne cessent de bruler à travers le Burundi ? Sur un autre registre, combien coûte au trésor public tous les dossiers de corruption : la vente de l’avion présidentielle, les cahiers ougandais,  l’exploitation de l’or, le Nickel, etc. ?

Bref, le Burundi n’est pas pauvre, il est pauvre en gouvernance économique, démocratique et sociale. Est-ce normal, malgré la crise économique et financière dans lequel le Burundi est entrainé chaque jour que les plus démunis, en particulier ces pauvres étudiants soient les premiers à payer les pots cassés ?

 

Le désordre dans le système éducatif et clivages sociaux.

Toutes les mesures prises au cours de ces dernières années ne font que renforcer le désordre dans le système éducatif burundais ayant notamment comme conséquence d’augmenter les effectifs dans les classes et dans les amphithéâtres. La conséquence des effectifs pléthoriques voulus est la détérioration du niveau des apprenants et surtout le coût élevé qu’occasionne le fonctionnement des écoles et des universités. L’école fondamentale en est un bon premier exemple : beaucoup d’élèves (suite à la mesure de promotion collective) sans nombre de classes suffisantes et d’enseignants qualifiés ! Le gouvernement a été obligé de réduire le nombre d’enseignants par classe (2 enseignants). L’école fondamentale ne fait que renforcer des clivages sociaux. Un enfant qui fréquente une école fondamentale du Saint-Esprit, SOS Bujumbura, etc. n’aura pas le même encadrement, les mêmes conditions d’apprentissage et les mêmes connaissances qu’un enfant d’une école fondamentale d’un coin perdu de l’intérieur du pays. Et pourtant, ces enfants passeront hélas le même examen en fin de cycle ! Il est tout à fait logique que « les résultats de l’examen de fin cycle sont liés à plusieurs facteurs dont les principaux sont relatifs à la qualification des enseignants, aux pratiques de classe et d’évaluation, à l’inégalité dans la répartition des ressources humaines et matérielles. Or, l’on sait très bien qu’il existe une dichotomie entre les écoles de la Mairie de Bujumbura et les écoles de l’intérieur qui sont mal desservies en enseignants qualifiés »[1].

Dans un rapport de juin 2010 sur « Les grands défis de l’examen d’état dans le système éducatif burundais » rédigé par Pascal Mukene et Alain Burlaud, on y retrouve les clés de réussite de l’examen d’état. Les auteurs ont demandé aux responsables de trois écoles qui se classent régulièrement bien  à l’examen d’état en Mairie de Bujumbura : le Petit Séminaire de Kanyosha, le Lycée du Saint-Esprit et le Lycée SOS. Ces responsables considèrent comme clés de réussite :

-        Des effectifs d’élèves réduits et faciles à encadrer : dans les trois écoles, les effectifs des élèves par classe varient entre 30 et 40. Ce qui facilite  un encadrement individualisé et une facilité de suivi-évaluation.

-        Un encadrement responsable : les directions sont très impliquées dans  l’encadrement des élèves. Un service de suivi scolaire dirigé par un psychologue pour les élèves en difficulté scolaire ou sociale qui travaille en collaboration avec les titulaires et les préfets (Saint-Esprit) ; réunions de concertation entre le personnel et les élèves et des réunions pédagogiques mensuelles pour analyser les résultats (Lycée SOS) ; l’encadrement et le suivi des élèves est assuré par des grands séminaristes dont la conscience professionnelle est bien garantie.

-        Droit de recrutement de meilleurs élèves : les élèves sont triés parmi les meilleurs. Le Lycée SOS organise un concours à l’entrée pour les élèves qui proviennent d’autres écoles.

-        Un personnel enseignant qualifié : droit de regard des directions pour le recrutement des enseignants.

-        Un personnel enseignant très motivé : Une rémunération plus motivante et cela va de pair avec les efforts qu’on est en droit d’exiger.

-        Un rythme de travail serré : études surveillés ou les élèves reviennent à l’école deux fois par semaine.

-        Organisation des activités parascolaires : Clubs, compétitions sportives ou intellectuelles (génies en herbes : compétition sur des sujets de culture générale).

-        L’ouverture des horizons par les TICs : Saint-Esprit et SOS ont un parc informatique et offrent une formation en Informatique, les élèves ont l’opportunité de manipuler TICs pour leur développement intellectuel.

-        Période spécifique de préparation de l’examen d’état : Les trois écoles bloquent chaque fin d’année une période d’environ deux semaines réservées à des exercices d’entraînement à l’examen d’état sous la supervision des enseignants.

 

La décision du gouvernement burundais de coopter un nombre important d’élèves ayant ratés l’examen d’état et les faire réussir est un deuxième exemple de mesure qui est à l’origine des effectifs pléthoriques dans les premières années des universités burundaises. Ce qui est grave c’est un mauvais service qu’on rend à ces élèves car s’ils ne maîtrisent pas les prérequis de base que vérifient en principe l’examen d’état, ils sont incapables de réussir leur première année ! Si l’Etat burundais ne dispose pas des moyens financiers suffisants, ni les infrastructures d’accueil d’un nombre important d’étudiants pourquoi ce système de cooptation ou de délibération ?  Comme je l’écrivais en 2010, l’enseignement supérieur et universitaire doit être réservé aux plus doués bien sûr les conditions d’encadrement depuis le primaire devraient être améliorés et être les mêmes afin d’éviter des clivages sociaux soulignés ci-haut. 

Les dix premières écoles à l’examen d’état, classement - édition 2013 – enseignement général.

 

 

Les disparités sociales qu’on observe dans les écoles depuis l’enseignement maternel se répercutent donc dans l’enseignement secondaire. D’où les critères d’octroi de la bourse : avoir obtenu 69,2% favorisent les lauréats des écoles mieux classées à l’examen d’état, idem pour les deux autres catégories : note comprise entre 69,1% et 66,5% qui seront inscrits gratuitement dans les universités publiques sans appui supplémentaire, note comprise entre 64,4% et 64,2% recevront un appui de 200.000 FBU s’ils inscrivent dans une université privée, ce montant sera versé directement à l’institution.

Quid des solutions de la crise occasionnée par la suppression de la bourse.

1.     Reprise immédiate des cours.

Comme je le soulignais en 2011[2], l’expérience burundaise a déjà démontré que les improvisations et les précipitations dans les réformes du système éducatif ont conduit à des échecs et des conséquences néfastes pour les générations futures. Cette mesure de suppression progressive de la bourse n’a pas été objet d’une étude préalable. En témoigne les critères injustes de classification des étudiants en trois catégories sans tenir compte de l’aspect social ! Ce n’est pas la première fois qu’une mesure soit contestée et qu’elle soit retirée quelques jours après. Le Ministre Saïdi Kibeya est revenue sur sa décision en 2010 de supprimer les redoublements à l’école primaire et de fixer un taux maximum de redoublement à 10% à l’école primaire publique à régime d’internat. Le Ministre Gamaliel Ndaruzaniye sous  Buyoya I a copié un modèle tunisien de pondération en fonction de l’âge des écoliers comme critère de redoublement. Une marche manifestation des étudiants de l’Université du Burundi et le tollé de contestations tous azimuts que cela a suscités ont conduit le gouvernement burundais à retirer la mesure. L’instauration du système de prêts-bourse et de la décision de supprimer la bourse accordée aux étudiants de l’UB sous Bagaza n’a pas fait long feu, non plus.

Donc, la sagesse recommande me semble-t-il de libérer tous les étudiants emprisonnés, d’annuler toutes les décisions et sanctions prises suite à ce bras de fer entre le Ministère et les étudiants à la seule condition que les étudiants regagnent tout de suite les auditoires en attendant que les états généraux de l’éducation soient organisés pour débattre toutes les questions relatives à l’enseignement au Burundi.

2.     Mesures politiques urgentes.

Le Président Nkurunziza devrait prendre des initiatives pour répondre à l’appel des citoyens burundais qui ne cessent de s’exprimer sur les radios locales, à travers les manifestations organisées au Burundi et dans les pays occidentaux. Cet appel vient aussi des pays amis et des organisations internationales. Le pays va très mal, le peuple souffre et les caisses sont vides. Pourquoi ? La mauvaise gouvernance politique, démocratique, économique et sociale. Il faudrait un nouveau « gouvernement de combat », très réduit à l’image de ce que Hollande compte faire en France. Ce « gouvernement de combat » aurait pour une mission première de restaurer les libertés politiques et publiques, restaurer la confiance entre le Burundi et ses bailleurs, restaurer une véritable démocratie en paroles et en actes et mener une politique de reconstruction du Burundi basée sur un programme de développement bien pensé[3].

3.     Mesures d’austérités immédiates possibles.

Il serait urgent de trouver le montant nécessaire pour payer la bourse. Il faudrait me semble-t-il identifier les postes budgétivores : parlement, sénat, armée, justice, charroi de l’état, la pléthore des employés de l’état, etc. et surtout pas toucher aux secteurs sociaux : éducation, santé et agriculture ; identifier les ressources cachées qui ne rentrent pas dans les caisses de l’état : douanes, impôts locatifs, les commerces non enregistrés, le transport privé, etc. Ceux qui ont détourné, les petits poissons comme les grands  doivent être poursuivis et doivent  rembourse.

4.     Etats généraux de l’éducation.

C’est au cours des états généraux de l’éducation que la question de la bourse sera débattue et des solutions concertées seront proposées.

Conclusion

Le Burundi ne peut pas se permettre d’hypothéquer son avenir dans un monde qui devient de plus en plus « concurrentiel » suite à l’intégration régionale, à la mondialisation et à l’essor des technologies de l’information et de la communication. L’éducation est une question nationale et la question de bourse des étudiants est une affaire de tous les partenaires de l’éducation. Les conditions d’apprentissage des étudiants doivent  être les mêmes, question d’égalité des chances oblige. Nous conseillons vivement les décideurs politiques de revenir sur leur décision et prendre toutes les dispositions pour que tous les étudiants des universités publiques puissent bénéficier de la maigre bourse. C’est question de volonté et de choix politique en attendant que la problématique soit débattue et qu’une solution appropriée soit trouvée au cours des états généraux de l’éducation souhaités par bon nombre de Burundais.


 

[1] P. Mukene & A. Burlaud, Les grands défis de l’examen d’état dans le système éducatif burundais, juin 2010.

[2] L. NTIBASHIRAKANDI, L’école primaire passe de six ans à neuf ans, une fausse solution à un vrai problème, janvier 2011. http://burundi.news.free.fr/actualites/educationprimaire.pdf consulté le 2 avril 2014.

[3] L. NTIBASHIRAKANDI, Plaidoyer pour une politique de reconstruction du Burundi basée sur un programme de développement bien pensé, avril 2007.  http://www.arib.info/index.php?option=com_content&task=view&id=785  consulté le 2 avril 2014.