Le Burundi ou la métaphore de la bouse de vache

Burundi news, le 18/04/2014

Par Mushengeza Agero

Durant la saison sèche, l’incendie des forêts et de la brousse laisse du feu qui couve au sein de la bouse séchée. Le va et vient des gens et des troupeaux sur les collines laisse peu d’attention à cette incandescence du décor, d’un moment à l’autre le feu sous la bouse peut s’allumer et causer une incendie de brousse, toute image condensée du Burundi.

La vie au Burundi coule comme un fleuve tranquille. A l’intérieur du pays et dans la capitale, les gens cultivent et vont dans les bureaux. Parfois tout est lisse. Prenons les exemples du Quartier III à Ngagara dans la capitale et 200 km plus loin dans la ville de Kirundo au Nord du Burundi. Il est 7h du matin à Ngagara, le carrousel des voitures, des motos et des piétons envahit le quartier. Des uniformes bleus, rouges, kakis et beiges dans tous les sens se lancent à l’assaut des salles de classe à pied, en bus ou en voiture. A 200 km plus loin dans la jolie ville de Kirundo entourée de 5 lacs. Même frénésie scolaire et laborieuse à Kirundo. Les lycéens plus âgés se pressent en uniformes beiges et rouges alors que leurs cadets de la maternelle sont conduites à voiture au lycée la Fontaine. Par après, les parents se rencontrent au restaurant appelé « Cercle » pour manger du potage, discuter du dernier match Paris Saint Germain – Chelsea et de la hausse du prix du ciment. La construction de belles villas va bon train sur la colline surplombante de la ville à Bushaza. Curieusement, personne ne parle des derniers incidents de deux militants du FRODEBU NYAKURI de Jean Minani viennent d’êtres tués et les Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti présidentiel ont grièvement blessé deux militants du parti MSD à Rugero à 2km du centre.

La vie continue comme un fleuve tranquille à Kirundo. Seul dans cette satisfaction générale, un citoyen ordinaire de Kirundo se plaint de l’arrêt des travaux de pavages de la ville financés par la Coopération Technique Belge (CTB). Le reste des fonds alloués à ce programme ont été orientés vers le financement de la police. Une police décriée par tous, car toujours selon ce citoyen lambda, elle n’a rien fait pour empêcher les jeunes Imbonerakure de blesser les militants du MSD. Au contraire, elle leur prête parfois main forte pour harceler les militants de l’opposition. Des policiers s‘en vantent. Comme ce commissaire de police qui nous disait : « Ah ! les amis de Sinduhije … celui-là nous lui avons lancé des filatures et un jour, il a failli de peu ».

Le soir est tombé sur Kirundo et sur le Q3 à Ngagara. La bière coule à flots et à 200 km de la capitale, une touriste parle du bonheur à l’état pur. L’eau à gogo, la verdure, les rires des enfants et surtout la danse dans la rue à Kirundo. Mais la jeune infirmière hollandaise en psychiatrie qui vient voir ses parents retraités et anciens cadres à la CTB parle très peu français. Elle n’écoute pas la radio, ce qui l’intéresse l’Afrique et son exotisme. Elle ne sait pas qu’elle est le dindon d’une triste farce. Sous le vernis de sites tranquilles se cache la face d’un régime incapable de prévenir une situation catastrophique et le dysfonctionnement d’un système en mal d’anticipation, perspective et prospective.

Il y a une année, le marché central a brûlé avec des conséquences graves sur l’économie burundaise. D’aucuns parlent d’un événement comparable à l’effondrement du Tower Center à New York ou à l’incendie de Manhattan. L’année suivante, la rivière Gasenyi a débordé de son lit et a dévasté le quartier Gatunguru. C’est là où est érigé le futur quartier présidentiel. Cependant, rien n’a été fait pour l’aménagement du site. Les caniveaux sont tellement minces en largeur qu’on peut les calculer en cm.

Le Jet présidentiel vendu au détriment de l’intérêt du pays

L’incurie des magistrats fait que des personnes sans dossiers croupissent en prison des petits voleurs à la tire sont emprisonnés quand la corruption et les malversations économiques sont devenus un sport national. Le Jet présidentiel a été vendu au moins disant parce que le deal était déjà consommé. L’on ne parle pas de lingots d’or en réserve à la banque nationale partis dans la fumée des brigandage international. L’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques (OLUCOME) dénonce la mauvaise gestion du Fonds de 4 milliards à la présidence destinée aux Bonnes Initiatives qui servent à satisfaire la lubie footballistique du Président Fondateur fou du ballon rond. Celui-ci entretient royalement une équipe de football qui s’entraine dans un stade à dix mille places construit dans le village natal du Président. Le même fonds de bonnes initiatives qui a importé des boutures d’avocatiers par l’entremise d’une société dirigée par la première dame. Surfacturée, cet achat de plants d’avocatiers a coûté des milliards de nos francs. Toujours est-il que le Burundi se trouve en déficit alimentaire et 71% de la population de Ngozi, fief du Président Fondateur est démuni. Entretemps, le budget de l’Agriculture a été multiplié par quatre, la Banque Mondiale et la coopération bilatérale ont injecté des milliards dans le secteur. Malheureusement, la Ministre de l’Agriculture cotée médiocre par le Président Fondateur à cause de l’état calamiteux de l’Agriculture n’a rien fait en termes d’objectifs et de stratégies pour prévenir la sous-alimentation et le déficit en vivres au Burundi. Sans accès à la nourriture, le Burundais ordinaire ne peut non plus étudier dans de bonnes conditions.

Le monde éducatif va à la dérive

La gratuité de l’enseignement a été proclamée avec tambours et trompettes, il y a de cela dix années. Dans cette optique, le Président Fondateur a lancé des campagnes de construction de salles de classes. Mais faut-il faire remarquer que ces constructions architecturales et pédagogiques ne suivent pas les normes. Elles ont poussé comme des champignons dans toutes les communes. Hélas, il n’y a pas eu de mesures d’accompagnement en termes de mobilisation de moyens matériels et humains pour encadrer ce million de jeunes à l’Ecole Primaire. Les enseignants sont débordés par des classes surpeuplées. L’éducation se trouve être au rabais et les spécialistes de l’éducation poussent des hurlements de colère. L’école burundaise, une des meilleurs d’Afrique dans le temps se meurt. L’Ecole fondamentale pour pallier au régime d’internat a été mise sur pied sans préparation aucune d’enseignants ou d’un cursus approprié.

La bourse des étudiants a été coupée, sans explications aucune. Les analystes parlent d’une bêtise gouvernementale à la veille des élections de 2015 et d’une indifférence affective caractéristique de décideurs au caractère criminel. Presque tous viennent de familles pauvres ou orphelines, certains de leurs parents ont été tués durant les tragiques événements de 1972, 1993, etc. A leur époque estudiantine, les conditions sociales économiques permettaient de vivre décemment. On ne comptait qu’une seule université publique. Au moment où ces lignes sont couchées sur papier, les universités privées ont pignon sur rue. Les enfants des puissants et riches étudient au Kenya, en Ouganda, au Rwanda, en Europe, en Asie, aux USA et dans les universités privées de la place. Les enfants des pauvres quant à eux risquent de passer une année blanche. Ils pèsent comme un fardeau sur le dos de parents plus pauvres qu’eux, avec leur maigre bourse de 30 mille francs mensuels. A peine 20 USD, si on divise par 30, il recueille 0,6$ par jour, soit moins de 2$ par jour en deçà du seuil de l’indice mondial de la pauvreté. Ils devaient se loger, se nourrir, se faire transporter, s’habiller avec 0,6$ par jour. Maintenance cette maigre pitance leur est coupée. En aval, l’Etat burundais se trouve dans l’incapacité d’organiser le troisième cycle pour ses assistants. Dans un domaine où la méritocratie compte, le quota ethnique empoisonne la vie académique. Le manque d’anticipation et de programmation stratégique fait que les institutions universitaires étrangères venues à l’aide du Burundi ont cessé unilatéralement leurs activités. Le réseau universitaire belge accuse le gouvernement burundais de mauvaise gestion de dossiers de la bourse d’études des étudiants du 1er et 2eme cycle et de l’envoi à l’étranger des doctorants. Quand bien même les doctorants ne risqueraient pas le chômage avec l’opportunité d’enseigner à l’université et à œuvrer comme médecin spécialiste, leurs cadets sont voués au chômage. C’est triste de voir des diplômés universitaires s’entasser comme « commissionnaires » dans la rue. Les pays voisins du Burundi possèdent une économie émergente. Rien n’est fait pour les rendre compétitifs sur le marché sous-régional de l’emploi avec l’introduction de filières porteuses dans les universités.

La paupérisation gagne du terrain

L’Office Burundais des Recettes (OBR) ne parvient plus à percevoir les recettes attendues. A l’image du pays, l’économie est sinistrée. Au moment où l’économie financière connaît une hémorragie et une stagnation, les impôts augmentent, les prix montent de même que l’inflation. Les devises étrangères manquent et la Banque Nationale quand elle ne fait pas recours à la planche en billets, se trouve en manque des liquidités faute d’impression de monnaies équivalentes aux réserves en devises. La paupérisation des masses se déploie dans toute sa misère. Le burundais ordinaire se trouve au bas de l’échelle mondiale pour l’accès aux besoins basiques : l’eau potable, l’électricité seul 2% de la population y ont accès, l’alimentation, la santé, etc. Même la classe moyenne est touchée, manger 3 fois est devenue un luxe pour les instituteurs, les policiers et les militaires. Une anecdote qui en dit long, un agent de police a été attrapé en flagrant délit de vol d’une chèvre avec un fusil en bandoulière. Un proverbe africain est éloquent à ce niveau. « Umuntu aba intwari ku rugamba, nta ntwari y’inzara ibaho ». Toute personne peut être brave sur le champ de bataille mais nul n’est brave sur le champ de la faim. Il fait partie d’un corps qui dépossède les marchandes des quatre saisons de la vente des vivres, les empêchent de survivre dans la rue après l’incendie du marché. Les derniers chiffres révèlent que 63% de la population burundaise sont mal nourris.

Les libertés publiques

Politiquement, l’espace est verrouillé. Le Ministre de l’Intérieur passe tout son temps à faire le casting des partis d’opposition et du barreau. L’argent qui devait servir dans la lutte contre la malnutrition est utilisé pour diviser les principaux partis de l’opposition et à l’achat des consciences.

Le foncier foncièrement foncier

Une Commission Nationale Terres et Autres Biens a été instrumentalisée par le pouvoir pour distribuer gratuitement des propriétés immobilières et foncières sous prétexte de réparations. Une démarche qui ne vise que des buts électoralistes. Le drame est que les spoliés passent dans l’opposition et que l’institution chargée de rendre justice aux victimes a été mise sur pied et fonctionne de manière inconstitutionnelle.

Des maisons spoliées avec l’épée de Damoclès sur base d’hypothèques bancaires, ce qui risque de bloquer complètement l’accès au crédit et paralyser le système bancaire. Mgr Séparion Bambonanire le Président de la CNTB fait la pluie et le beau temps. D’une part, il constitue la voie obligée pour l’accès au titre de propriété, d’autre part sans sa main levée, nul ne peut accéder au crédit. La propriété immobilière est devenue un enjeu important. Dans un des pays les plus pauvres et les plus surpeuplés du monde, la maison et la terre sont devenues un appât électoral, l’hameçon sur lequel mord les laissés-pour-compte.

Nous nous trouvons alors à la croisée des chemins. Le Président Fondateur construit des stades dont le coût peut créer des emplois et financer le développement. Le drame reste son inconscience face à la descente aux enfers du pays. Les enfants du pays ont faim du manioc, du lait et non d’un ballon de football. Au petit déjeuner, à midi ou le soir, le Président Fondateur doit se souvenir qu’on ne mettra pas à table le ballon de football.

Comme la bouse de vache qui inlassablement se consume dans l’incandescence, sur la colline le feu social chauffe inexorablement. Nous sommes assis sur un volcan où tous les ingrédients se trouvent là pour faire exploser la marmite.

Pourtant, malgré l’avertissement de la Communauté Internationale pour nous alerter d’un génocide imminent, nous sommes paradoxalement convaincus de sortir de la masse. Le Président Fondateur a manqué d’une voix pour changer la constitution et briguer un troisième mandat. Il manque encore une brindille pour embraser la bouse tranquille sur les collines burundaises.