Canada, 2007-08-22 (Burundi Bwacu) - "Si nous
voulons que les choses restent comme elles sont, il va falloir
que ça change " Guiseppe di Lampedusa
Les observateurs extérieurs au système (CNDD-F)DD ne manquent
jamais de relever ces derniers temps la dérive, pour ne pas dire
la descente aux enfers du Burundi sous la gouverne du parti
vainqueur des élections de l’été 2005. Même à l’intérieur du
système – si l’on peut vraiment parler du système, ce dont je
doute personnellement – des critiques commencent à se lever pour
appeler à rectifier le tir, pour éviter que tout s’effondre
comme un château de cartes.
Pour nous qui regardons cette situation de l’extérieur du pays
et de l’extérieur du parti – ou de la coalition au pouvoir, il
est difficile de voir les signes et les lignes qui dessineront
le futur du pays. La politique burundaise est devenue totalement
illisible. On ne parvient plus à identifier les centres à partir
desquels se décide le sort de la maison natale. Le parti
CNDD-FDD, divisé, tente de recoller les morceaux en remettant en
scelle ceux qui, hier, ont eu le tort de choisir Radjabu contre
Nkurunziza, dans le bras de fer qui a opposé les deux dirigeants
pour le contrôle des institutions. Le gouvernement, aéropage
hétéroclite de personnalités, tantôt proposées puis désavouées
par leurs partis respectifs, s’ils ne sont pas nommés après un
tordage de bras des puissances extérieures – suivez mon regard
vers un vice-président – peine à définir une direction commune.
La seule chose qui fasse consensus, c’est la volonté de
s’enrichir le plus rapidement possible au mépris des problèmes
dans lesquels se débat le peuple des collines. Quant aux deux
chambres du parlement burundais, elles peinent à contrôler
l’action du gouvernement et à l’infléchir dans le sens de la
volonté générale. L’obstruction systématique, comme si
l’opposition républicaine siégeait désormais dans les enceintes
de Kigobe, est devenue la norme. La scission du parti au pouvoir
a favorisé des sortes d’alliances contre nature, entre ceux que
le peuple a élus et ceux qui, de justesse, ont pu avoir leur
strapontins ou ne l’ont eu que parce que la cooptation liées aux
quotas a pu leur ouvrir les portes des deux chambres. Bref, le
pays est au bord du gouffre et comme le disait le mot célèbre,
il risque de faire un pas en avant. L’appel des 67
parlementaires vient à point nommé pour rappeler ce que nous dit
l’adage populaire à savoir que la montagne qui refusait tout
appel à la raison a brûlé au vu et au su de ceux qui lui avaient
prodigué de sages conseils.
Un scénario à la rwandaise
Avant la prise de pouvoir par le FPR en 1994, de nombreux
assassinats de dignitaires, soupçonnés d’être de mèche avec
l’opposition, eurent lieu au Rwanda. Le discours public,
largement promu par les médias ou relayé par eux, parlait d’ibyitso
- les traîtres – et appelait constamment à leur élimination, ce
qui faisait de leur meurtre un acte de bravoure.
Quels que fussent les auteurs de ces forfaits, le terrain était
donc propice à la diabolisation du pouvoir en place et à son
élimination, considéré comme un acte de salut public. En effet,
les meurtres étant signés avant même d’être exécutés, il était
facile de faire endosser au pouvoir en place les atrocités
commises et il lui était très difficile de protester de son
innocence. Or que voyons-nous aujourd’hui à Bujumbura ? Un
leader du groupe parlementaire CNDD-FDD menaçant de punir
sévèrement les auteurs d’une lettre ouverte au Président de la
République, un pseudo-journaliste, ignorant ou inconscient de
ses responsabilités éditoriales, stigmatisant les parlementaires
qui n’ont pas voté dans le sens du pouvoir, et allant jusqu’à
étaler au grand jour leurs cordonnées, comme s’ils les livraient
en pâture aux chiens et aux chacals. Un président de la
république lui-même, ridiculisant les parlementaires et essayant
de les tourner contre le peuple qui les a élus en prétendant
qu’en ne votant pas dans le sens du pouvoir, ils desservent les
intérêts de leurs électeurs. Et comme par hasard, une pluie de
grenades s’abat sur le domicile de certains des élus du peuple
qui ont appelé le Président à ramener le bon sens dans le débat
public. On se croirait aux dernières minutes du Titanic. Le pays
est-il mûr pour le retour d’un sauveur ?
Un petit air de …déjà vu !
Tour le monde se rappelle du pourrissement de la situation
politique à la veille du renversement, en 1996, du régime dirigé
par Ntibantunganya Sylvestre. Le pauvre homme avait essayé, dans
la mesure de ses maigres moyens, d’arrêter cette marche vers le
chaos savamment orchestrée par un stratège planqué dans les
coulisses. Il était allé jusqu’à investir dans sa survie
physique et politique personnelle en abdiquant toute dignité et
en caressant dans le sens du poil une armée qui était en train
de massacrer son peuple… et qui l’avait rendu veuf. Rien n’y
fit. Le rideau est tombé quand un certain Gustave qui, dans les
coulisses manipulait les marionnettes, a fini par occuper le
devant de la scène et a renversé les institutions. A ce moment,
nous avons commencé un nouvel acte de la tragédie burundaise. Il
aurait été pire si Nyerere, médusé, n’avait pas crié au scandale
devant le projet de Buyoya de supprimer le Parlement. Il se
contentera de le diluer et nommant des ” élus „ !
Contrairement au pitoyable Ntibantunganya rescapé de l’hécatombe
du 21 Octobre 1993, le CNDD-FDD avait, dès le départ, les moyens
de ses ambitions politiques. Il n’a pas pris le pouvoir les
mains nues. À la légitimité issue des armes, il avait ajouté
celle issue des urnes. Il avait donc, logiquement, les moyens de
tenir un discours crédible et la capacité d’engager le pays hors
des sentiers où nous avons pataugé pendant longtemps, en croyant
que la seule légitimité issue des urnes suffisait à protéger nos
institutions des fauteurs de guerre. Qu’a-t-il fait de ces si
belles semences ? Pourquoi le fruit de cet arbre est-il si amer
? Pourquoi n’a-t-il pas été à la hauteur des promesses de la
fleur ? Peut-être que, comme je le disais dans un texte
antérieur, nous devons refaire nos devoirs et implanter
lentement, patiemment, une culture démocratique avant de parler
de changements et d’institutions démocratiques. Peut-être que
nous avons mis la charrue avant les bœufs, que nous avons rêvé
en couleurs, que nous ne sommes pas, au fond, mûrs pour la
démocratie, comme le prétendait un ancien président français, un
monarque républicain qui n’était pas lui-même follement amoureux
de la démocratie.
Et si tout basculait ? Et si le système DD s’effondrait ?
Alors que le président burundais semble avoir supprimé le verbe
écouter de son vocabulaire et que ce que nous vivons
actuellement au Burundi ressemble à s’y méprendre à une fin de
règne, j’ose à peine imaginer des scénarios heureux pour sortir
de notre crise institutionnelle. Ceux qui parlent à mots
couverts de limogeage du président n’ont que le chaos en tête,
un chaos revu, corrigé et peut-être augmenté à la place du chaos
actuel. Nul ne peut prédire avec exactitude quel homme prendrait
le pouvoir à la place du président actuel, tant décrié pour sa
préférence pour la prière et le sport, à la place de la tâche de
gérer la Cité que nous lui avons confiée. Mais à ceux qui
proposent son ” impeachment „, ce dernier n’a que, tantôt le
silence, tantôt l’arrogance et la provocation à offrir, alors
qu’il sait très bien qu’il doit son pouvoir aux suffrages des
deux chambres du Parlement réunies.
Nous allons donc vers un point de rupture dont nous ne savons
pas quelles forces, dans les coulisses, sont en train de
préparer les lendemains. Ce que nous savons avec certitude,
c’est que ce ne sont pas des lendemains qui chantent. Le
grenouillage d’un certain parti perdant des élections de 2005
pour récupérer des ministères stratégiques lors du récent
remaniement ministériel n’augure rien de bon. Même si les
journées ville morte et leurs cortège de victimes n’étaient plus
au menu…
Il est une autre chose que nous savons avec certitude. Si nous
sommes incapables de concrétiser les promesses de changement
qu’incarnait le parti aux commandes de la République, les
acteurs étrangers nous en proposeront un, brandi à toutes les
sauces comme un professeur émérite en démocratie. Gustave –
puisque c’est de lui qu’il s’agit - a ses entrées chez Manuel
Baroso, l’homme à la tête de l’Union européenne. Il a ses
entrées dans les cercles politiques parisiens et belges, toutes
tendances confondues, alors que Paris et Bruxelles restent des
centres majeurs de la politique européenne en Afrique.
Gustave est dépêché partout en Afrique où l’on tente de bâtir un
semblant d’ordre démocratique. Et il est un conférencier très en
demande dans les cercles académiques américains. S’il a enfermé
dans des camps de concentration des milliers de nos compatriotes
où certains sont morts comme des chiens, ce n’est là que péchés
de jeunesse. On lui pardonne d’autant plus ses péchés qu’un
pouvoir issu de la majorité démographique qui, pour la première
fois, est représentée par les forces de défense et de sécurité,
se révèle incapable de gérer adéquatement le pays, pour faire
advenir un ordre social et politique de nature à favoriser le
développement économique d’un peuple qui n’attend que la fin des
tracasseries du pouvoir pour se prendre en charge.
Quand le système DD aura épuisé toutes ses cartouches et qu’il
se sera complètement brûlé, discrédité même auprès des modestes
citoyens qui l’ont mis en place, il se trouvera des gens dans
les cercles des décideurs internationaux – FMI et Banque
mondiale en tête - pour affirmer que les majorités
démographiques sont incapables de gouverner un pays et que les
minorités actives et éclairées, fussent-elles soutenues par des
pointes de baïonnettes comme chez nos voisins du Nord, sont les
seules à pouvoir faire régner un semblant d’ordre, fut-il musclé
et étroitement surveillé par un service de sécurité aussi
expéditif qu’omniprésent.
La situation socioéconomique et la crise institutionnelle
actuelles que vit le Burundi sont inacceptables. Politiquement,
moralement, humainement. Pour parodier ce paradoxe de Guiseppe
de Lampedusa, ” Si les partisans du système CNDD-FDD veulent que
les choses restent comme elles sont, il va falloir que ça change
„. Ne pouvant se faire harakiri, le système CNDD-FDD doit
redresser vigoureusement la barre, pour reprendre le cap. Si ce
changement stratégique n’intervient pas, le bateau CNDD-FDD
coulera et nous coulerons tous avec. Il y aura peut-être des
gagnants dans cette nouvelle donne, mais ce ne sera sûrement pas
le peuple burundais.
La crise que traverse mon peuple et mon pays me rappelle
l’histoire de Sisyphe, ce héros tragique condamné par les dieux
de l’Olympe à rouler éternellement une pierre qui, rendue au
sommet d’une montagne, retombait aussitôt, obligeant le pauvre
condamné à reprendre sa longue et lourde tâche. J’imagine un
Sisyphe, éreinté, qui s’éteint et lègue sa pénible tâche à son
fils qui, à son tour, la léguera au sien. On peut bien finir par
aimer le défi que représente cette tâche – après tout il y a des
peuples qui semblent condamnés à mener une vie dure et épuisante
–mais que cela devienne la norme pour des générations de
personnes, on finit par devenir un peuple de psychopathes qui
s’ignorent. Ce compatriote qui disait que nous sommes tous des
polytraumatisés ne croyait pas si bien dire .
Fabien Cishahayo |