LE CNDD-FDD POURRA-T-IL GAGNER LES ELECTIONS PAR LA FORCE?
Par Gratien Rukindikiza
Burundi news, le 14/02/2009
Si la démocratie est le pouvoir du peuple par le biais de ses représentants, elle devient dans plusieurs pays africains synonyme du pouvoir des dictateurs élus par le peuple. Il devient de plus en plus intéressant de savoir pourquoi le peuple choisit ses dirigeants. Ces derniers reçoivent le mandat de régler les problèmes du pays, de l'accompagner vers le bien-être social et économique. Or, ceux qui sont élus deviennent des bourreaux contre ce même peuple qui les a portés au pouvoir.
Les dissensions internes au CNDD-FDD
Dans la simple logique, à l'approche des élections, le pouvoir du CNDD-FDD serait soudé pour affronter les prochaines élections. Or, la logique laisse la place à la nature humaine. Les divisions ne sont qu'un secret de Polichinelle. Les pratiques le démontrent. Deux camps se divisent au sein du CNDD-FDD. Le 2 è vice Président Ntisezerana est allié avec la ministre des finances, le directeur de cabinet du Président, Wagara et de Jérémie Ngendakumana, président du CNDD-FDD. Très paradoxal , que le Président ait son chef de cabinet allié à Ntisezerana qui lui met les bâtons dans les roues comme dans le dossier Interpétrole et aussi dans le dossier de renégociation de la dette du Burundi. Le Président de la République se retrouve dans un camp regroupant lui-même, encore lui-même et ses faux admirateurs de Basavyi. Il faut les entendre dire du mal de lui pour comprendre comment les courtisans sont forts dans la comédie.
Il n'est pas rare que la ministre des finances refuse de se présenter à la Présidence tant que le 2 è vice Président Ntisezerana n'a pas donné son feu vert. Les compétitions en cours actuellement est la mangeaille partagée. Si le camp du Président de la République détourne, il faut aussi faire de même dans le camp Ntisezerana. Œil pour œil, dent contre dent! Ce dernier camp n'hésite pas à nommer des gens complices à des postes juteux. Une visite du 2 è vice Président se prépare en Belgique avec des opérateurs économiques. A la manière de celle d'Alice Nzomukunda quand elle était à la même place, une main invisible du pouvoir est en train de saboter cette visite. Il n'est pas sûr que l'objectif soit atteint mais des informations sûres en provenance de Bujumbura l'affirment.
Un autre camp apparaît aussi et il est dans le collimateur du pouvoir. C'est le camp qui est appelé par des proches du Président comme étant le camp de Gitega ou le groupe Kirimiro. Le président du Sénat Rufyikiri en est le porte flambeau. Dans sa forteresse du Sénat, il résiste aux assauts du Président Nkurunziza. Les différents assauts pour le limoger à la tête du Sénat n'ont rien donné. Rufyikiri a été un bon stratège car ses lignes de défenses n'ont pas cédé. Aujourd'hui, c'est la guerre des tranchées. Des émissaires de la Présidence partent à l'étranger pour bloquer les voyages ou les rencontres du président du Sénat. Il est victime de ses bonnes relations avec l'église catholique et aussi de son aspect homme présentable et présidentiable du CNDD-FDD. Il a aussi le soutien de la communauté européenne. Ses tournées dans les communes font trembler les combattants retranchées derrière les lignes Maginot.
Derrière ces dissensions, les généraux tranchent et veulent arbitrer de leur façon. Ils tentent de ramener le calme sans pouvoir contrôler personne à part l'usage de force qui apparaît en tant que menace pour celui qui n'obtempère pas. Certains généraux portent les grades pour intimider les civils et sont des tigres en papier dans leurs métiers. En se politisant et en se montrant toujours CNDD-FDD, ces généraux risquent de perdre tout. Je me rappelle de ce conseil que je donnais aux officiers au cours d'une causerie morale des officiers en 1993. Une armée qui perd sa neutralité est vouée à l'échec et subira tôt ou tard des conséquences. Même aujourd'hui, les généraux anciens FDD qui s'affichent toujours dans le parti CNDD-FDD risquent d'avoir une carrière aussi courte que celle du CNDD-FDD au pouvoir. Par ailleurs, j'ai une grande admiration pour ce général ex FDD dont le travail est plus que admirable et son esprit rassembleur et humain. En toute franchise, je m'incline et la nation lui sera reconnaissante un jour. Je n'avancerai pas le nom pour son bien.
Une milice pour intimider est un piège pour celui qui l'organise
Dans un pays qui a une armée ou une police, une milice n'a pas de place. Soit la milice disparaît, soit la police ou l'armée disparaît. Nous avons vu l'exemple au Rwanda en 1994. Nous sommes en train de constater les effets au Burundi. Les milices du CNDD-FDD à Kirundo, à Gitega qui s'entraînent sur la colline de Kirera en commune Gitega et à Makamba en commune Kayogoro constituent une menace pour la démocratie. Les cadres du parti CNDD-FDD ne peuvent pas dire qu'ils ne sont pas au courant. Ces milices sont composées en grande partie par les démobilisés et sont épaulées par une partie de la police et de l'administration. Elles sont destinées à intimider la population. L'organisation de ces milices est le fait des gens du pouvoir qui commettent deux erreurs de raisonnement. Les autres formations politiques seraient bêtes de ne pas organiser des milices de leurs côtés pour rivaliser avec celles du CNDD-FDD ou pour les neutraliser. Le FNL est plus aguerri et plus frais. Sa discipline de combat est un atout qui devrait inquiéter s'il s'agissait de former des milices. La population peut aussi se coaliser contre ces milices. Ces milices fragilisent la police déjà moribonde dirigée par un ancien FAB très en retard au niveau de l'organisation de la police. Le général Ndayishimiye a laissé faire la police, de peur de ne pas plaire au CNDD-FDD. Cette police est devenue une vraie milice. Elle est dans un état tel que les officiers policiers reconnaissent l'état lamentable.
L'autre erreur commise est que la présence des patrouilles armées en dehors de la police et de l'armée est source de confusion mortelle. Une patrouille de militaires qui rencontre une patrouille de milice armée désarme la milice au mieux, au pire, elle tire sur la milice. Rien ne dit qu'il ne s'agit pas de fauteurs de trouble et d'ailleurs, c'est le cas. En cas d'élections, si les milices patrouillent dans le pays, cela signifie qu'il n' y a plus d'armée au Burundi. Il faut savoir que par principe, les milices, dans un pays doté de police et d'armée, deviennent facilement indépendantes car non commandées au niveau national. On ne peut jamais entretenir une milice et une armée. Une des deux finit par échapper au contrôle. C'est un choix à faire.
Qui va gagner les élections de 2010?
C'est une question que tout Burundais se pose. Tout compétiteur se dit qu'il sera le gagnant. Les surprises ne manquent pas. Les certitudes en matière électorale n'existent pas. L'ancien Président Buyoya avait la certitude d'être élu par le peuple burundais mais il a perdu. Il a perdu et il a accepté son échec.
Les forces principales annoncées sont le CNDD-FDD, le Frodebu, l'UPD qui monte, le FNL et d'autres partis qui peuvent créer la surprise. Les candidats à la Présidentielle sont presque connus. Le Président Nkurunziza est candidat du CNDD-FDD, Ndayizeye, candidat du Frodebu, Rwasa, candidat du FNL, Nyangoma, candidat du CNDD etc...
Le Président Nkurunziza sera en position de force s'il se présente en tant que candidat libre, laissant de côté les casseroles attribuées au CNDD-FDD. Il pourrait invoquer la main mise du parti sur le système qui l'a empêché de diriger librement. En se présentant comme candidat du parti CNDD-FDD, il devra comprendre que les Burundais ont l'intention de dire au revoir au pouvoir du CNDD-FDD, y compris à ceux qui sont présentés par ce parti. Les luttes internes au CNDD-FDD ne feront que compliquer la tâche de Nkurunziza.
Certains prétendants du CNDD-FDD au pouvoir savent que le Président Nkurunziza ne les permettra pas de se présenter en 2010. Ils savent aussi que si Nkurunziza est réélu, il changera la constitution pour rester Président à vie. Si un cadre du CNDD-FDD veut être candidat en 2015, il a intérêt à ce que Nkurunziza ne soit réélu en 2010 pour préparer le terrain. Même si Nkurunziza ne modifiait pas la constitution pour briguer la Présidentielle en 2015, l'état de délabrement du pays sera tel que le CNDD-FDD aura une image négative qu'aucun candidat de ce parti ne pourra espérer gagner les élections présidentielles. Or, si le Frodebu arrive au pouvoir en 2010, le CNDD-FDD pourra se refaire la santé dans les habits de la démocratie en reprenant le vrai travail de terrain pour mobiliser en 2015. C'est cette équation qui peut faire échouer le Président Nkurunziza en 2010. Que le Président Nkurunziza me pardonne d'avoir donné des pistes de stratégies à ses concurrents au sein du CNDD-FDD. Mea culpa!
L'ancien Président Ndayizeye a des chances pour gagner. Ses chances résident dans le rejet du système CNDD-FDD. Il doit aussi convaincre sur deux points. L'image de rassembleur au niveau ethnique et les garanties que Ndayizeye de 2010 ne sera pas le Ndayizeye de 2003 à 2005 surtout au niveau de la corruption. Ce sont les deux points majeurs qui feront de lui le nouveau patron du pays. Il devra rassembler aussi les autres partis politiques opposés au CNDD-FDD. Ndayizeye devra proposer des voies et moyens pour développer le Burundi, rassurer les Burundais traumatisés par des décennies de terreur et de dictature. Il devra apparaître comme un sauveur. S'il n'arrive pas à se faire comprendre ainsi, la marche vers la Présidence sera impossible.
Si le FNL, l'UPD, le CNDD de Nyangoma n'apportent pas le soutien au candidat Ndayizeye, leur union peut faire basculer les choses. Le FNL est fort dans la partie Imbo et Bugesera, Le CNDD de Nyangoma est bien ancré à Bururi, Makamba et Rutana. L'UPD progresse à Muyinga, Kirundo, Ngozi et à Bujumbura. Ce sont des forces à ne pas négliger. Une force non des moindres, celui qui pourra rassurer les tutsi et les hutu aura une avance pour devancer ses concurrents. Le CNDD-FDD y était parvenu en 2005. Aujourd'hui, le langage change et ce parti ne rassure plus toutes les composantes nationales. Aucune n'est rassurée. Celui qui ne rassure pas les tutsi, ne rassure pas les hutu.
Et les législatives?
Les élections législatives de 2010 vont donner une sévère leçon à ceux qui ont hypothéqué la démocratie. Le CNDD-FDD n'aura pas de majorité. Il sera difficile pour un seul parti politique d'avoir la majorité. Seule une coalition des partis pourra avoir la majorité. Si le Président Nkurunziza est réélu, il devra cohabiter soit avec le Frodebu, soit avec le FNL, soit avec l'Uprona. La tâche ne sera pas facile. Cette situation de faiblesse politique des partis dans l'opinion est le résultat de l'échec même de la démocratie. Le Burundi n'a pas pu fabriquer de vrais patriotes capables de se rassembler pour proposer quelque chose de nouveau. Le Burundi manque un Obama capable de fédérer, de rassurer, de proposer et d'incarner l'espoir. Qu'il soit hutu ou tutsi ou twa, un vrai espoir est attendu comme un messie au Burundi. Pour 2010, il est trop tard. La nation burundaise pourra le créer pour 2015. Un vrai défi. Ce peuple travailleur a besoin d'avoir la paix et le pain. Les dirigeants doivent l'aimer, penser à son avenir plutôt que de regarder l'avenir de leurs poches et de leurs villas.
En définitive
La misère qui sévit au Burundi saute aux yeux à tout visiteur. Je le rappelle toujours de cette phrase du jeune Arthur Matteudi de retour du Burundi : " Les Burundais sont très gentils mais le pays va très mal". Je me pose toujours la question de savoir comment les dirigeants se sentent quand ils détournent l'équivalent des médicaments pour soigner toute la population burundaise en quelques mois. Sont-ils fiers d'ériger des villas au moment où la population de Kirundo meurt de faim?