COMBATTRE LES SECTARISMES IDENTITAIRES

 Par Nestor Bidadanure

L’idéologie de l’identitaire a le vent en poupe dans le monde et l’Afrique ne fait pas exception. Quand recule la mémoire historique, s’avance la mystification politique. L’oubli ne doit donc pas triompher du souvenir des résistances partagées pour un monde meilleur.    

 

La fabrication de l’ennemi intérieur        

 

Pour empêcher Kenneth Kaunda de se représenter aux élections de 1996, Frederik Chiluba,  n’avait pas hésité à remettre en cause la nationalité de son prédécesseur. L’équation était simple : les parents de l’ancien président étant originaires du Malawi, celui-ci ne méritait donc pas la nationalité Zambienne.

Quand à l’époque tombe cette fâcheuse nouvelle, beaucoup d’africains sont consternés. Kaunda n’est pas un homme ordinaire : il est le père de l’indépendance zambienne et fut un infatigable soutien à la lutte contre l’apartheid. Il faudra du temps, des pressions internationales et moult démarches juridiques pour que le vieux dirigeant soit rétabli dans ses droits. Lors des élections démocratique du mois de juillet 2006 en RDC, l’actuel président Joseph Kabila déploya arguments et ruse contre ses adversaires politique pour prouver qu’il est un congolais authentique sans aucune filiation de sang avec les Tutsi fussent-ils ses compatriotes.

En République Démocratique du Congo la campagne électorale  fut dominée par les débats sur la congolité des candidats au détriment des questions économiques et sociales. Fer de lance idéologique du génocide au Rwanda et des massacres au Burundi, le cliché colonial d’opposition des Hutu, prétendument bantu contre les Tutsi  tantôt classés dans la catégorie des hamites tantôt des nilotiques, continue de faire des victimes près d’un demi-siècle après les indépendances. Une des causes de la guerre qui mit fin au pouvoir de Mobutu en 1997, était bien la question de la nationalité qui était niée aux Banyamulengues, ces Congolais rwandophones. Le face à face actuel entre l’armée congolaise et les rebelles du général Nkunda, dans l’Est de la RDC, s’il s’explique par la présence des ex-forces armées rwandaises responsables du génocide de 1994 qui ont exporté leurs crimes en terre congolaise, provient également de la méfiance intercommunautaire dont le soubassement idéologique est l’intériorisation du mythe meurtrier d’opposition nilotique /bantu par certaines élites des Grands Lacs. Les Hutu et les Tutsi ont beau être tous des bantus, nombreux sont ceux et celles qui continuent à croire en bonne foi dans une cruelle mystification inventée pour les diviser.

 En Côte d’Ivoire, c’est au non de l’ivoirité que le président Bedié écarta de la course à la présidence l’ancien premier ministre de Oufouet  Boigny, Alassane Ouattara, accusé d’être un Burkinabé. Il faudra une longue guerre qui mit ce pays au bord de la partition, avant que la question de la nationalité des citoyens dits d’origine Bourkinabe trouve un début de solution. Outtara a retrouvé sa citoyenneté ivoirienne lors du forum de réconciliation nationale qui s’est achevé le 19 décembre 2001. Les crises extrêmes telles que le génocide au Rwanda, les massacres à caractère « ethnique » au Burundi, le Darfour, la question des négro-africains en Mauritanie ont généralement pour origine l’exclusion d’une ou plusieurs communautés nationales du partage du pouvoir et des ressources économiques. Dans ces cas, la fabrication de l’ennemi intérieur joue le rôle d’instrument au service d’une démagogie politique dont les fins sont la prise ou la conservation du pouvoir. Qu’elle prenne le visage religieux, ethnique ou régionaliste, l’intrusion de l’identitaire dans la sphère politique comme mode de gestion ou de contestation du pouvoir, constitue une régression : elle remet en cause la diversité constitutive des nations africaines et, ainsi, rompt avec le caractère rassembleur des luttes pour les indépendances.

Décoloniser les esprits.

 

L’identitaire en tant que négation de la diversité et monopolisation du pouvoir par une ou quelques composantes d’une nation est une réhabilitation de la pensée coloniale qui ne voulait voir dans les pays colonisés que des tribus au lieu des citoyens. Ironisant sur des intellectuels aveuglés par l’identitaire, Julius Nyerere disait d’eux qu’ils sont comme les poissons dans l’eau car ils pensent que s’ils venaient à quitter les ghettos ethniques, ils étoufferaient. Pourtant, que d’hommes et de femmes sont tombés pour la liberté de tous en Afrique! Patriote et panafricaniste, dans son discours du 19 juillet 1960,  Patrice Lumumba s’adresse à ses compatriotes en ces termes : « …Il n’y a plus de Bakongo, de Bangala, il n’y a plus de Wagenia, nous n’avons qu’un peuple libre. Nous sommes tous des citoyens congolais et nous devons sauvegarder l’unité nationale…c’est cette unité qui fera du Congo une grande nation au coeur de l’Afrique, et le Congo va jouer demain un grand rôle pour libérer le reste de l’Afrique.

 Nous voulons que le continent africain soit un continent libre». A l’annonce de l’assassinat du héros de l’indépendance congolaise le 5 septembre 1960, d’immenses manifestations éclatèrent dans le monde. C’est que les paroles de Lumumba dépassaient les seules frontières du Congo et de l’Afrique pour être universelles. Rompant avec l’idéologie d’un système raciste qui hiérarchisait les êtres humains suivant la couleur de la peau, les Sud-africains ont surnommé leur pays « la nation Arc en Ciel ». A la hiérarchie négative, dévalorisante et aliénante des communautés, ils ont opposé la diversité positive de toutes les couleurs. A la république des communautés rendues inégales par l’apartheid, ils ont opposé l’égalité citoyenne devant la loi. En déclarant, dans l’article premier de la charte de la liberté en 1958  « l’Afrique du Sud appartient à tous ceux qui  y vivent Noirs, Blancs, Indien, Métis … », le Congrès National Africain ANC, avait déjà rejeté le piège de l’identitaire qui aurait consisté à opposer au racisme blanc le racisme noir.

La lutte contre le système raciste mobilisa les composantes de la nation Sud-africaine et remporta le soutien de L’OUA, des pays de la ligne de front, des non-alignés, des pays socialistes et des mouvements anti-apartheid. Après avoir bénéficié de l’aide de ses frères tunisiens, le Front pour la Libération Nationale, FLN, n’hésita pas, après l’indépendance de l’Algérie, à apporter un soutien actif aux mouvements de libération de l’Afrique australe. Libéré, Mandela remercia le peuple Algérien et ses dirigeants pour leur soutien dans les moments difficiles. En effet, l’Algérie, la Tanzanie,  l’Ethiopie… et surtout Cuba, ont apporté un soutien capital à la formation des cadres de la branche armée de l’ANC, MK. C’est aussi au Mozambique en lutte pour l’indépendance nationale que Yoweri Museveni, alors étudiant à Dar es Lam, rencontre le jeune Fred Rwigema avec lequel il va se lier d’amitié et planifier la résistance contre Idi Amin en Ouganda. Qu’importe le fait que Fred soit Rwandais. Ce qui compte à l’époque, c’est la libération de l’Afrique qui passe par la solidarité panafricaniste. Quelques années après la libération de l’Ouganda, Fred fonda avec d’autres exilés, le Front Patriotique Rwandais, FPR qui mit fin au génocide de 1994. C’est donc grâce aux projets trans-ethniques, à la solidarité panafricaniste et internationale que de nombreux pays africains ont pu conquérir leurs indépendances nationales.

Militant anti-colonialiste et poète Kateb Yacine avait l’habitude de dire de son identité politique ceci: « je suis algérien par mes ancêtres et internationaliste par mon siècle » et en parfaite harmonie avec le poète, Med Hondo, le cinéaste, nous dit : « je suis mauritanien par hasard et universaliste par conviction ». Au temps de la mondialisation où seule la constitution des grands ensembles économiques peut permettre de faire face aux défis de développement, les sectarismes identitaires sont les chaînes de l’esprit contre lesquelles il faut se rebeller.                  

 

 

Nestor Bidadanure : Afrique Asie