COMMISSION NATIONALE POUR LA VERITE ET LA RECONCILIATION

Loi n°1/018 du 27 décembre 2004 portant missions, composition, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale pour la Vérité et la Réconciliation.
Mis à jour : jeudi 6 janvier 2005.
 

LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE,

Vu la Constitution Intérimaire Post-transition de la République du Burundi, spécialement en son article 159, 3°, 13ème tiret ;

Vu le Décret-loi n° 1/6 du 4 avril 1981 portant Réforme du Code Pénal ;

Vu la loi n° 1/015 du 20 juillet 1999 portant Réforme du Code de Procédure Pénale spécialement en ses articles 52 à 55 ;

Vu la Loi n° 1/017 du 13 décembre 2002 déterminant les Missions, les Compétences, l’Organisation et le Fonctionnement de la Commission Nationale de Réhabilitation des Sinistrés ;

Le Conseil des Ministres ayant délibéré ;

L’Assemblée Nationale de Transition et le Sénat de Transition ayant adopté ;

PROMULGUE :

CHAPITRE I : DISPOSITION GENERALE.

Article 1 :Il est créé une Commission Nationale pour la Vérité et la Réconciliation, ci-après nommée « la Commission », dont les missions, la composition, l’organisation et le fonctionnement font l’objet de la présente loi.

CHAPITRE II : MISSIONS.

Article 2 :La Commission est chargée des missions suivantes :

a) Enquêter pour :

-  établir la vérité sur les actes de violence graves commis au cours des conflits cycliques qui ont endeuillé le Burundi depuis le 1er juillet 1962, date de l’Indépendance ;
-  qualifier les crimes autres que les actes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ;
-  établir les responsabilités ainsi que l’identité des coupables ;
-  indiquer l’identité des victimes.

b)Au terme de l’enquête et aux fins d’arbitrer et de réconcilier :

-  arrêter ou proposer aux institutions compétentes des mesures susceptibles de promouvoir la réconciliation et le pardon ;
-  traiter des revendications découlant des pratiques passées se rapportant au conflit burundais ;
-  décider la restitution aux ayants droit des biens dont ils ont été dépossédés et la réparation des biens détruits, et arrêter des indemnisations conséquentes à charge de l’auteur ;
-  proposer toute mesure politique, sociale ou autre qu’elle juge appropriée, visant à favoriser la réconciliation nationale.

c)Clarifier toute l’histoire du Burundi en remontant aussi loin que possible pour éclairer le peuple sur son passé.

Article 3 :Le mandat de la Commission est de deux ans. Il peut être prolongé d’une année ou plus si le Gouvernement l’estime nécessaire.

La prolongation se fait au plus tard quinze jours avant l’expiration du mandat.

Article 4 : La Commission peut déterminer les crimes politiques pour lesquels une loi d’amnistie pourrait être votée.

Les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ne sont pas amnistiables.

Article 5 :La Commission mène ses investigations aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

CHAPITRE III : COMPOSITION.

Article 6 :La Commission est composée de personnalités reconnues pour leur probité, leur intégrité, leurs compétences techniques et leur capacité à transcender les clivages de toute nature.

Elles sont choisies, après une large consultation, dans un souci de cohésion et de rassemblement de toutes les composantes de la nation en veillant au respect des équilibres de la société notamment ethniques, régionaux et de genre.

Article 7 :La Commission comprend 25 membres. Après consultation avec le Gouvernement, le Président de la République nomme les membres de la Commission en concertation avec les Bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

Article 8 :Tout membre de la Commission doit :
-  être de nationalité burundaise ;
-  être âgé d’au moins trente cinq ans révolus ;
-  jouir de ses droits civils et politiques ;
-  n’avoir jamais été condamné pour crime ou délit sauf pour les condamnations résultant d’infractions non intentionnelles ;
-  être de bonne moralité et un artisan de la vérité et de la réconciliation nationale.

Article 9 :La qualité de membre de la Commission est incompatible avec l’exercice de toute fonction à caractère public.

Article 10 :Les membres de la Commission en provenance des services publics sont placés en position de détachement par rapport à leur statut.

Article 11 :Le mandat de membre de la Commission prend fin dans les conditions ci-après :
-  indisponibilité ;
-  absence prolongée dans les conditions prévues par le Règlement d’Ordre Intérieur de la Commission ;
-  démission ;
-  décès ;
-  défaillance constatée par l’autorité de nomination après avoir pris l’avis du bureau de la Commission ;
-  incapacité physique ou mentale constatée par une commission médicale.

Article 12 :En cas de vacance de siège, le Président de la République en concertation avec le Vice-Président de la République et les bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat, nomme un nouveau membre.

Article 13 :Le mandat des membres de la Commission est rémunéré. Le statut des membres de la Commission est fixé par Décret du Président de la République.

CHAPITRE IV : ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT.

Article 14 :Avant d’entrer en fonction, les membres de la Commission prêtent le serment suivant : « Moi (Nom), je jure devant le Président de la République et le Peuple Burundais que j’accomplirai ma mission dans le souci de découvrir la vérité aux fins de favoriser et promouvoir la réconciliation nationale. »

Article 15 :La Commission est présidée par un Bureau composé d’un Président, d’un Vice-Président, d’un Secrétaire Général et d’un Secrétaire-Général-Adjoint. Ils sont nommés par le Président de la République en concertation avec le Vice-Président de la République et les Bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

Le Bureau de la Commission est composé en tenant compte des divers équilibres de la société burundaise notamment politiques, ethniques, régionaux et de genre.

Article 16 :La Commission peut s’organiser en sous-commissions. La Commission recrute un personnel nécessaire et suffisant au niveau local et central pour le meilleur accomplissement de ses missions.

La Commission se dote d’un Secrétariat Exécutif chargé de coordonner les services.

Article 17 :La Commission se réunit de plein droit dans les quinze jours ouvrables à compter de la date de nomination de ses membres pour élaborer et adopter son Règlement d’Ordre Intérieur.

Article 18 :Dans l’exercice de leurs fonctions, les membres de la Commission ainsi que le personnel d’appui sont indépendants vis-à-vis des pouvoirs publics, des partis politiques ou de tout groupe d’intérêts.

Article 19 :La Commission est dotée d’un budget propre. Elle jouit d’une autonomie administrative et financière.

Avant l’installation de la Commission, le Gouvernement met à sa disposition tous les moyens matériels et financiers nécessaires.

Article 20 :La Commission dispose de larges pouvoirs d’investigation. Elle dispose d’un accès libre à toute source d’information. Elle exploite toutes les sources d’informations notamment :

-  les plaintes des victimes ;
-  les dépositions des témoins ;
-  les déclarations des présumés auteurs ;
-  les informations fournies par les associations de la société civile ou par les organisations politiques ;
-  les sources judiciaires ;
-  les rapports et documents officiels ;
-  les documents et informations détenus par les Etats étrangers, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales étrangères ;
-  les témoignages des personnalités de grande expérience.

Elle peut requérir toute expertise nécessaire à l’information de son opinion.

Article 21 :La Commission dispose des pouvoirs de perquisition et de saisie dévolus au Ministère Public qu’elle exerce dans les limites des dispositions pertinentes du Code de Procédure Pénale.

La Commission peut requérir l’assistance de la Police et d’autres services de l’Etat si nécessaire pour donner effet aux pouvoirs de coercition lui reconnus par la présente loi.

Article 22 :Les personnes appelées à comparaître devant la Commission sont tenues d’y répondre. Le refus de comparution constitue une infraction punissable d’une peine d’un an à deux ans de servitude pénale et d’une amende de dix mille à cent mille francs ou de l’une de ces peines seulement.

Article 23 :Les services publics ou privés appelés à livrer des documents jugés utiles par la Commission sont tenus de les communiquer. Le refus de livrer à la Commission les documents demandés constitue une infraction punissable d’une peine de deux à cinq ans de servitude pénale et d’une amande de vingt mille à deux cent mille francs ou de l’une de ces peines seulement.

Article 24 :Le refus de déposer, le refus de prêter serment et le faux témoignage devant la Commission constituent des infractions punissables de la même peine que celle prévue à l’article précédent.

Article 25 :Personne ne peut se prévaloir de sa fonction, de ses privilèges et immunités, de l’amnistie ou de la prescription ou de tout autre motif pour se soustraire à la compétence de la Commission.

Article 26 :La Commission apprécie la force probante de toutes les sources d’information et décide en âme et conscience, en tout équité et dans un esprit de réconciliation nationale.

CHAPITRE V : PROCEDURE.

Article 27 :La Commission est saisie par la victime ou son représentant dûment mandaté, par ses ayants droit ou par toute autre personne physique ou morale intéressée. Elle peut se saisir d’office.

Article 28 :La saisine de la Commission se fait par une déclaration verbale ou par une lettre dûment enregistrée par la Commission et qui décrit sommairement la violation alléguée et fixe l’indemnisation postulée. Elle indique aussi l’identité du présumé auteur ainsi que son adresse.

Article 29 : La plainte est dénoncée au présumé auteur qui est invité à comparaître devant la Commission dans un délai qu’elle fixe.

En cas de saisine d’office, la Commission invite directement le présumé auteur à comparaître à une date qu’elle précise.

La date est communiquée à la victime ou à son représentant, à ses ayants droit ainsi qu’aux témoins éventuels.

Article 30 :La Commission ne peut valablement siéger que si les quatre cinquièmes des membres sont présents.

Article 31 :Les séances de la Commission sont publiques. Le huis clos peut toutefois être décidé en cas de besoin. Le délibéré se fait toujours à huis clos.

Article 32 :La procédure devant la Commission est contradictoire. Elle est aussi gratuite.

Article 33 : Les parties s’expriment dans l’une des deux langues officielles, en l’occurrence le Kirundi et le Français.

Article 34 :La victime ou le présumé auteur peut demander la récusation d’un membre de la commission sur base des faits prouvés. La Commission apprécie souverainement et discrétionnairement.

Article 35 :L’examen d’une affaire devant la Commission se fait dans l’ordre suivant :

-  le Président de la séance invite le plaignant à étayer sa plainte, si la Commission s’est saisie d’office, le Président porte à la connaissance du présumé auteur les accusations mises à sa charge ;
-  le présumé auteur réplique sur l’accusation portée contre lui ;
-  les témoins à charge ou à décharge sont entendus ;
-  le présumé auteur prend la parole le dernier ;
-  la Commission effectue toute autre démarche qu’elle estime nécessaire à la manifestation de la vérité et à la promotion de la réconciliation.

Article 36 : Avant la déposition, les témoins prêtent le serment suivant : « Moi (nom), je jure de dire toute la vérité, rien que la vérité ».

Article 37 :Un membre du Secrétariat Exécutif désigné par le Président de la Commission tient note de la procédure, de l’identité des témoins et des parties ainsi que leurs déclarations.

Article 38 :Les décisions sont prises par consensus ou à défaut, à la majorité de deux tiers de ses membres.

Article 39 :Les décisions de la Commission sont exécutoires. Elles s’imposent à tous et elles sont sans recours.

Article 40 :Dans le strict respect des points a et b de l’article 2, les affaires en rapport avec les jugements ou arrêts coulés en force de chose jugée sont recevables devant la Commission.

Celle-ci les examine dans le souci de la découverte de la vérité et prend des décisions qu’elle juge nécessaires pour la réconciliation des Burundais.

Toutefois, seules les affaires en rapport avec les jugements ou arrêts coulés en force de chose jugée relatives aux assassinats et aux procès politiques peuvent être réouvertes devant les cours et Tribunaux.

Les affaires en demande de réparations soumises à la Commission et tranchées par celle-ci ne peuvent plus être portées devant les Cours et Tribunaux.

Article 41 :Au cas où les conclusions de la Commission seraient en contradiction avec les décisions judiciaires, la Commission propose des mesures susceptibles de promouvoir la réconciliation nationale.

Article 42 :A la fin de son mandat, la Commission établit un rapport qu’elle adresse au Président de la République, au Gouvernement, à l’Assemblée Nationale, au Sénat et au Conseil National pour l’Unité Nationale et la Réconciliation.

Ce rapport est rendu public.

CHAPITRE VI : DISPOSITION FINALE.

Article 43 : La présente loi entre en vigueur le jour de sa promulgation.

Fait à Bujumbura, le 27 /12 /2004

Domitien NDAYIZEYE.-

VU ET SCELLE DU SCEAU DE LA REPUBLIQUE DU BURUNDI

LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET GARDE DES SCEAUX

Didace KIGANAHE