LA CONCESSION DU PORT DE BUJUMBURA, VISION A COURT TERME
Burundi news, le 15/12/2012
Par Gratien Rukindikiza
Ce sont des histoires de corruption qui sont à la une de l'actualité burundaise ces derniers jours. La concession du port de Bujumbura en est une. Elle sera cédée à une nouvelle société non encore créée avec un montage digne de l'école élémentaire. Dans ce montage, l'Etat cèdera 10 % à une nouvelle société non précisée pour un montant de 150 millions de francs bu. Certains estiment que l'Etat sera lésé. Il s'agit des parts de la concession du port tout en sachant qu'une concession est limitée. Il ne s'agit pas d'une vente du port de Bujumbura. Il continuera à être du domaine public jusqu'au jour où l'Etat décidera de privatiser le port, l'aéroport et bientôt l'armée et la police.
La situation financière de la concession du port de Bujumbura
La concession du port de Bujumbura a des capitaux propres de 761 272 680 frs bu. Les immobilisations ou les biens de la concession non consommables pour les non initiés sont de 2 505 896 263 frs bu. Les produits en stocks qui sont une richesse pour l'entreprise sont de 397 302 727 frs bu. Cette concession a des comptes en banque de 195 948 830 frs bu auquel il faut ajouter ce que lui doivent les clients et autres débiteurs pour 247 128 240 frs bu. En tout, cette concession a une richesse de plus de 3,5 milliards de frs bu. Pour être plus proche de la réalité, il faut retirer les dettes que cette société doit rembourser qui sont de 360 millions de frs bu.
D'emblée, c'est une société riche mais dont sa force réside dans les biens d'équipements déjà amortis et qui sont les outils du travail. Si cette concession est une société de gestion et d'usine à produire les bénéfices avec les biens d'autrui, elle ne devrait pas inscrire dans son patrimoine les équipements du port de Bujumbura. Faisant apparaître dans son bilan ces équipements, il va de soi qu'ils appartiennent aux associés. En cas de dissolution de la concession ou de problème d'insolvabilité bancaire, aucun texte ne serait opposable aux tiers créanciers. Ces équipements seraient saisis et vendus aux enchères, à moins que l'Etat oppose sa préemption afin de garder le port dans son giron.
Comme nous venons de le démontrer, les biens meubles et immeubles se trouvant dans le bilan de la concession appartiennent à la concession et sont pris en compte dans l'évaluation de la concession à céder. Si le terme de la concession arrive à échéance, cette concession ne pourra pas emporter ou vendre le port qui appartient à l'Etat si on entend le port en tant que bout du territoire souverain burundais.
Si l'Etat maintient sa volonté de céder 10 % de son capital dans la concession, le minimum est de ne pas brader en dessous de 360 millions de francs bu, si et seulement si les autres éléments du bilan sont sans effet sur la valeur de la concession. Or, il n'en est pas le cas.
La rentabilité et vision à court terme
Cette concession est une manne du ciel pour les associés. Ils ont constitué le capital de la société à 350 millions de frs bu. Disons qu'un million de 1992 a vu sa valeur se multiplier par 5 ou 7. Mais toujours est-il que c'est ce montant qui a été débloqué. Les associés se partagent des dividendes de plus de 600 millions par an. En ramenant au franc actuel ce capital, nous pouvons dire qu'ils se remboursent leur mise tous les trois ans. Quelle est une autre société qui peut dire ainsi sans être endettée?
Cette rentabilité à court terme aiguise les appétits et entraîne des arrangements pour accéder à ce gâteau. C'est l'Etat qui perd son trésor. Avec cette rentabilité, les 10 % des parts pourraient être vendues facilement à 700 millions, voire un milliard de francs bu.
Cette concession a une vision à court terme. Elle est devenue comme une vache à lait qui donnerait beaucoup de lait à son propriétaire sans que ce dernier s'occupe de planter des herbes de fourrage. La trésorerie de la concession se dégrade en fonction de ce partage de la totalité des bénéfices.
Situation qui devra se dégrader
Les nouveaux associés sont connus dans les salons de Bujumbura. La Président Nkurunziza est du nombre même s'il passe par de prête noms. Les nouveaux arrivants ont besoin de grosses parts du gâteau. Comme l'ouragan, il prend tout, même en détruisant et ne laisse rien derrière.
Les immobilisations de la concession sont presque entièrement amorties et ne reste que 20 % à amortir. Certains équipements datent de 1992 et ont besoin d'être remplacés ou innovés. Malheureusement, les associés ont chaque fois empoché les bénéfices sous forme de dividendes sans constituer des réserves en dehors des 10 % du capital qu'on appelle des réserves légales. Les réserves réglementaires sont de 52 millions de frs bu; ce qui est dérisoire.
La concession a une bonne situation financière, crédible car elle n'est pas endettée. On remarque que c'est une gestion à l'ancienne mélangée avec une faim qui aspire les dividendes. Elle devra emprunter pour moderniser le port au risque de ralentir ses activités et aussi faire baisser les bénéfices. En dehors d'un emprunt, la concession n'est pas en mesure de renouveler son matériel.
La trésorerie est passée d'un milliard cent cinquante six millions au 31 décembre 2011 à six cent quarante quatre millions de frs bu au 30 juin 2012. Il y a une baisse de plus de 500 millions. Il y a lieu de remarquer que les associés n'hésitent pas de retirer leurs dividendes même si la situation de la concession peut en avoir besoin. La concession a distribué 621 345 713 frs de bénéfice en totalité auquel elle a ajouté le report à nouveau de l'année 2010 non distribués. C'est cet appétit vite assouvi qui conduit les dignitaires du régime à vouloir s'en approprier.
Toutefois, un bilan contient rarement des comptes d'attente. Or, celui de la concession avait 15 416 966 frs bu en compte d'attente et 30 657 728 frs bu le 30 juin 2012. Un tel compte signifie que les comptables n'ont pas su comment imputer ces montants. Il y a lieu de se demander comment le bilan peut être approuvé par les commissaires aux comptes avec de tels montants non affectés. Ce qui est très étonnant, ces montants sont une dette que la concession doit à une personne morale (Sans jamais s'imaginer qu'il s'agit d'une personne physique, ce qui serait grave). Ce n'est pas non plus une provision non encore réalisée. Est-ce que les comptes échapperaient aux comptables de la société?
Décidément, cette concession nous réserve des surprises. Ceux qui comptent empocher des centaines de millions chaque année doivent réfléchir comme un économiste qui disait qu'il faut analyser le court terme car à long terme, nous serons tous morts. Les nouveaux arrivants n'auront pas de vision à long terme pour redynamiser le port. Or, c'est cette vision à court terme qui ruinera la mise de cette nouvelle concession. S'ils ajoutent la médiocrité des futurs dirigeants à cette vision, la concession du port de Bujumbura se mettra alors à l'école du COTEBU.