CONFERENCE DE L'ANCIENNE DEUXIEME VICE-PRESIDENTE DU BURUNDI, ALICE NZOMUKUNDA DU 11 NOVEMBRE 2006 A BRUXELLES

Nous publions un texte transmis à notre rédaction par la conférencière.

Mesdames, Messieurs,

Chers compatriotes, chers amis du Burundi,

Je vous remercie d’avoir répondu massivement à mon invitation.

Comme l’indique le thème de cette conférence, je voulais vous présenter aujourd’hui la « Situation économique et sociopolitique du Burundi, une année après les élections démocratiques », pour qu’ensemble, on l’analyse et qu’on tire les conclusions nécessaires à une amélioration pour que les Burundais aient les dividendes de cette restauration de la démocratie.

Politique et sécuritaire, après les élections démocratiques, la tâche était de ramener la paix et la sécurité sur toute l’étendue du territoire burundais par les négociations avec le FNL-PH.  

Le  renforcement des capacités des corps de défense et de sécurité, la spécialisation de la police pour en faire une police de proximité, le  désarmement de la population civile étaient nécessaires pour  ramener la confiance entre ces corps et la population.

Le deuxième objectif était aussi de  réconcilier le peuple burundais à travers la Commission Vérité Réconciliation.

Le troisième objectif était de réconcilier le peuple burundais et ses dirigeants pour renouer le dialogue entre les dirigeants et les dirigés.

Economique et sociale, Le Burundi dépendant à plus de 60 % des aides extérieures, nous avons un programme avec le FMI à respecter pour pouvoir bénéficier de ces aides et également pour pouvoir atteindre le point d’achèvement de l’Initiative Pays Pauvres Très Endettés - PPTE. Le respect de ce  programme aurait permis  la remise totale de la dette d’autant plus qu’en Août 2005, on avait atteint le point de décision.

Avec l’avènement du pouvoir démocratique, on devait passer de l’aide humanitaire à l’aide au développement.  La création du Comité National de Coordination des Aides - CNCA avait pour but de coordonner toutes les aides pour s’assurer qu’il y a une répartition équitable sur tout le territoire.

Pour générer plus de revenus et rehausser le niveau de vie de la  population, nous  avions l’objectif de renforcer le secteur privé, encourager toutes les initiatives des groupements et mouvements associatifs pour la production et la création de l’emploi   afin de  désengorger le secteur public qui est jusqu’à présent le grand employeur au Burundi.

Un accent  particulier était porté sur la Santé, l’Education et  l’Agriculture, ainsi que tous les programmes nous permettant d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développements - OMDs.

Une année après les élections, nous remarquons que la situation tant politique, économique que sociale s’est nettement détériorée contrairement aux attentes de cette population qui avait tant espéré après s’être choisie ses propres leaders !

 Il y a donc lieu de se poser des questions pour  savoir pourquoi  le décollage n’a pas eu lieu et comment remédier à cette situation d’autant plus que le Burundi n’est pas une île, et que la stabilité du Burundi s’inscrit dans la stabilité de la sous région. Certains comportements ne nous sont donc pas autorisés même si nous avons gagné les élections contrairement à ce que certains pensent et osent déclarer.

On n’a pas le droit de décevoir ce peuple qui a trop enduré les souffrances de plus de dix ans de guerre.

Le pouvoir d’achat étant faible, l’augmentation des salaires d’une partie des fonctionnaires a créé des mécontentements pour les autres, d’où des grèves interminables avec  des revendications salariales.

Le manque de dialogue et  la non considération des autres acteurs politiques  et sociaux tels que les partis politiques d’opposition, la société civile, les médias, les organisations de droits de l’homme contribuent à entretenir un climat social et politique malsain qui ne rassure pas le peuple burundais.

La corruption et les malversations institutionnalisées, le non respect des procédures des marchés publiques, le refus de la libéralisation économique, (Sucre, Cahiers scolaires, Véhicules du Parlement, Falcon 50, Maisons préfabriquées, …et aujourd’hui les engrais chimiques), bref le non respect du programme avec le FMI nous empêchent d’accéder aux aides promises, et donc maintiennent dans la pauvreté car il nous est impossible de passer au développement.

Nous sommes retournés à la situation de l’aide humanitaire car  les bailleurs de fonds se désistent et refusent d’accorder un appui budgétaire s’il n’y a pas garantie de bonne gouvernance et du respect des droits de l’homme.

L’exemple de l’aide de 60 millions  d’Euros que la Belgique vient d’octroyer au Burundi qui ne sera pas versée au Budget de l’Etat, mais qui sera plutôt gérée conjointement et sur des projets identifiés est un signal fort.

C’est un clin d’œil qui devait nous interpeller.

Nous assistons aujourd’hui à des tueries aussi bien dans les quartiers de  la capitale, sur les collines qu’au sortir des prisons, … et ceci dans l’impunité totale malgré les dénonciations de la population.

La justice n’est plus au service de la population et ceci de manière très flagrante et décourageante de telle sorte que certains même préfèrent une justice populaire.

La gestion du dossier putsch  dépasse l’entendement  surtout avec la nomination  de nouveaux magistrats pour s’assurer que le procès soit prononcé de manière dirigée.

Nous sommes entrain d’assister à l’implantation d’une dictature avec des dérives autoritaires et totalitaires.

Les Burundais ont aujourd’hui  une  maturité politique  sans précédent.

Ils  n’assisteront pas et ne tolèreront pas longtemps ces injustices, ces arrestations, ces massacres des leurs et cette pauvreté grandissante sans réagir.

Etant donné que la population civile dispose toujours des armes, la pauvreté,  le désespoir, l’absence de justice, les frustrations sont les facteurs d’un probable  dérapage qui pourrait déstabiliser le Burundi.

Un dérapage burundais ne va pas épargner nos voisins. Le risque est régional. Les armes qui sont données à certains citoyens pourront demain déstabiliser le Rwanda ou le Congo. Le Congo vient de terminer sa phase électorale et nous souhaitons qu’il entre dans la phase démocratique dans la grande cohésion nationale. La communauté internationale souhaite la stabilisation des voisins du Congo pour enfin asseoir la paix dans la région des Grands Lacs.

Le Rwanda, soucieux de la sécurité à ses frontières, souhaite aussi la stabilisation du Burundi. La situation sécuritaire actuelle du Burundi ne peut que poser des questions sur la sécurité aux frontières.

Je voudrais signaler ici que le risque de génocide dont il est question, qui n’a rien à voir avec le génocide des Tutsis, contrairement à la façon dont certains sites ou groupes d’extrémistes ont essayé de l’exploiter, car ils se sont évidemment trompés en regardant même sur terrain ceux qui sont régulièrement massacrés et mutilés, ça prouve que personne n’est épargnée.

Il s’agit donc d’un génocide politique, qui est lié à l’implantation de cette milice dans tout le pays face à l’existence d’une armée et police régulières et la possession des armes par la population. C’est une situation très dangereuse qu’il faut absolument refuser avant qu’il ne soit trop tard !

A travers cette conférence,  je tenais à vous présenter cette situation et lancer un cri d’alarme pour ne pas croiser les bras et laisser tomber ce peuple qui n’ose pas réagir maintenant, par peur. La peur de perdre un poste, la peur d’être arrêté ou d’être tué, font que chacun observe un silence. Mais pour combien de temps ?

Nous devons prendre nos responsabilités pour que ces victimes résignées sortent du gouffre et pour que le pas déjà franchi dans la démocratie ne recule pas.

Le Burundi était présenté comme modèle africain ; comme un « SUCCES STORY ».  Nous devons nous investir tous, nous  n’avons pas le droit de perdre cette considération !

Il y a encore des chances de récupérer cette confiance, à condition que chacun accepte de s’investir en ce qui le concerne pour qu’on se ressaisisse afin de  se remettre sur les rails.

Il est encore possible, et j’y crois fermement, mais demain ça sera trop tard !

Levez-vous donc, apportez votre pierre pour bâtir ensemble.  Le Burundi n’est pas une propriété privée de personne. C’est notre pays à nous tous, c’est le pays de tout un chacun parmi vous ! Nous devons donc le construire ensemble et le protéger même si c’est au prix de notre sang !

Comme disait l’autre : Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux !

 

Je vous remercie.