Qu'est devenue la connivence entre le CNDD-FDD, la presse privée et la société civile ?

 Burundi news, le 15 septembre 2006

Michel KIPOKE

Le Burundi vient de franchir une étape importante vers la paix définitive sans fastes et, du moins, dans une indifférence relative. Il s'agit de l'accord de cessez-le-feu signé à Dar Es Salaam entre le gouvernement et la dernière rébellion du PALIPEHUTU-FNL. La raison de cette discrétion réside dans l'atmosphère politique lourde qui s'est installée dans les sphères gouvernementales et parlementaires à Bujumbura. Les polémiques sur les différents putschs, la démission de la Vice-Présidente de la République, la désignation houleuse de sa remplaçante à ce poste, le bras de fer entre le pouvoir d'une part, la presse et la société civile d'autre part ont éclipsé la paix des braves conclue entre le Président de la République, Pierre NKURUNZIZA, et le chef du PALIPEHUTU-FNL, Agathon RWASA.

Ce profond malaise politique qui arrive à reléguer au second plan la fin d'une guerre meurtrière longue de 13 ans a plusieurs raisons. Mais on peut s'arrêter sur l'une d'entre elles, sans prétendre qu'elle est la plus prépondérante ni la plus déterminante. Il s'agit de l'impatience et la mauvaise humeur de la société civile et de la presse face à un pouvoir du CNDD-FDD qu'elles jugent autiste, arrogant, sourd et surtout peu reconnaissant à leur égard. Lorsque le CNDD-FDD avait signé l'accord de cessez-le-feu avec le gouvernement de Pierre BUYOYA, la société civile et la presse libre naissante au Burundi avaient pris faits et causes pour l'ancienne rébellion. Elles avaient succombé aux charmes de la détermination du CNDD-FDD à rompre avec les ghettos ethniques et les pratiques dictatoriales du passé. Les acteurs importants de la société civile et de la presse avaient même mis de côté leur impartialité pour soutenir publiquement le parti de Hussein RAJABU, l'homme fort de cette rébellion. Ainsi a-t-on vu un des dirigeants de l'institution de régulation de la presse au Burundi se présenter à un rassemblement du CNDD-FDD arborant un tee-shirt et la casquette du mouvement. L'effet de contagion de cet engouement pour le CNDD-FDD a été immédiat dans l'opinion publique. Une soixante de parlementaires du FRODEBU ont fait défection au profit du CNDD-FDD. Certains caciques de l'UPRONA n'ont pas hésité à succomber, discrètement certes, à cet emballement de l'opinion. La vague de sympathie de la population pour le parti de Pierre NKURUNZIZA a été médiatisée à volonté par la presse privée. Cette sympathie pour l'ancienne rébellion avait été amplifiée par la société civile, au point de susciter la colère du Président Domitien NDAYIZEYE à l'égard de certains journalistes et activistes des droits de l'homme.

Après un an d'exercice du pouvoir, qu'est devenue cette connivence assumée et affichée entre la société civile, la presse privée et le parti CNDD-FDD ? La réponse à cette question peut expliquer une partie du malaise actuel à Bujumbura. Le CNDD-FDD, qui a remporté haut la main toutes les élections, semble supporter de moins en moins les injonctions, les dictats et les dénonciations, pas toujours fondées d'après les dirigeants de ce parti, de la société civile et de la presse. L'ancienne rébellion les accuse d'être devenues de véritables forces d'opposition politique et elle n'est pas loin  de les traiter comme telles. En réaction, les acteurs de la société civile et de la presse privée trouvent de plus en plus difficile à digérer les leçons, l'arrogance et les admonestations d'un pouvoir qu'ils avaient soutenu, en mettant parfois de côté leur impartialité et leur éthique professionnelles.

Qui a tort et qui a raison dans ce divorce à rebondissements entre le CNDD-FDD d'une part, la presse privée et la société civile du Burundi d'autre part ? Ce divorce est-il inévitable ou est-il déjà consommé ? Qui remportera ce bras de fer ? Quelles que soient les réponses à ces préoccupantes questions, il y a une seule certitude sur les victimes que sont : la paix au Burundi et dans la région des Grands Lacs, l'espérance des Barundi, la reconstruction et le développement du pays. Les protagonistes du malaise actuel à Bujumbura devraient y penser de temps en temps.