Débats d’idées : Salvator NAHIMANA.

 

QU’IL EST DIFFICILE DE CONSTRUIRE SUR DU SABLE MOUVANT !

 

 

Les Français ont l’habitude de dire que « impossible » n’est pas français ; les Barundi ont ajouté « Ingendo y-uwundi iravuna ». Vous comprendrez qu’il est difficile de se mettre dans la peau d’une autre personne. Pour avancer lentement mais sûrement, il faudrait que tous les responsables politiques Barundi acceptent de faire une pause de réflexion. Ici, j’entends par responsable politique, toute personne qui a un mandat du peuple et/ou responsable, quelque soit son niveau, dans un parti politique  qui répond aux lois de la République du Burundi.

         Pourquoi cette pause ?

 Tout Murundi ou même tout étranger constate que chaque fois que les préalables pour un décollage politique et économique du Burundi commencent à voir le jour, ils sont tout de suite balayés par des politiciens irresponsables. Que faudrait-il donc pour que la levure prenne ?

Plusieurs actions doivent être déclenchées simultanément.

 

         A/ L’école.

 

L’école doit se ressourcer et apprendre aux enfants à transformer leur nouveau savoir en techniques qui permettraient la transformation positive de leur environnement. Comment se fait-il que sur les collines, les gens n’aient pas beaucoup changé et leurs outils, et leurs méthodes de travail malgré le nombre d’enfants qui ont été à l’école ?

Comment se fait-il que les collines n’aient plus leurs caniveaux de lutte contre l’érosion ? Il semblerait pourtant qu’ils étaient obligatoires à l’époque coloniale.

Il est vrai que l’école a été conçue pour assister le colonisateur dans ses tâches administratives et plus tard le remplacer. Aujourd’hui, le colonisateur étranger aurait-il été remplacé par le colonisateur local ? Si non comment expliquer les malversations de tout genre, au cours des régimes élus ou pas, qui maintiennent cette majorité de la population dans le dénuement.

Il faut absolument donner un cadre de réflexion aux experts Barundi de l’enseignement afin qu’ils tirent les conclusions sur l’école d’hier et d’aujourd’hui pour mettre sur pied l’école du développement individuel et national.

        

         B/ L’épanouissement personnel et collectif.

 

Cet épanouissement n’est possible que si la justice est équitable pour tout le monde. Une analyse du malaise chronique burundais doit être faite sans faux-fuyants. Cette analyse doit dégager les responsabilités individuelles des crimes de sang qui ont été commis et qui freinent cet épanouissement. Le Burundi est peut-être encore le seul pays aujourd’hui où tout un groupe peut-être incriminé suite à des forfaits commis par des individus.

 Personne n’investira à long terme si elle ne se sent pas protégée et si elle n’a pas confiance en ses concitoyens. La justice doit rétablir la confiance entre les personnes. Les Barundi ne doivent pas se voiler la face : les événements de 1972 ont marqué les esprits. Vous constatez que les écrits, les conversations des Barundi, reviennent régulièrement sur cette année. Pourquoi, les personnes qui dirigent le Burundi ne prendraient pas une pause avec les partenaires politiques pour éclaircir ce qui s’est passé cette année-là ? Ensuite, prendre des décisions qui rétablissent les personnes dans leur droit moral. Le constat est que ce traumatisme est véhiculé de génération en génération et gâche toute évolution épanouie des citoyens. L’impunité moderne que tout le monde déplore serait née à cette époque. Tant que ce traumatisme ne sera pas soigné, il génèrera toujours les mêmes réflexes et la maladie risque de se transmettre de père en fils jusqu’à ce que tous les membres de la famille burundaise soient touchés, si ils ne le sont pas déjà.

Si le Murundi ne se projette pas lui-même dans l’avenir, s’il est frileux dans son investissement personnel, parce qu’il n’est pas sûr à court et/ou à long terme de récolter ce qu’il aura semé, tout développement devient impossible. Il est connu que toute aide extérieure est bénéfique quant elle appuie les efforts internes. N’oublions pas l’adage qui dit « Aide-toi et le ciel t’aidera ».

 

         C/ Un leadership clairvoyant.

 

L’histoire des peuples montre que les révolutions ou les lendemains meilleurs ont été portés par les générations aisées, épanouies dans leur société du moment. Nous avons l’exemple des leaders qui ont lutté pour l’indépendance du Burundi. Ces leaders étaient les plus aisés dans leur société burundaise de l’époque. Au lieu de se servir, ils servaient le peuple. Ils avaient, semble-t-il, honte de posséder ce qu’ils avaient par rapport à leurs compatriotes qui n’avaient presque rien de l'économie moderne.

Qu’en est-il depuis quelques années ? Petit à petit, les valeurs de la société burundaise ont changé, mais négativement. De plus, le système socio-économique n’a pas engendré une classe aisée, généreuse qui s’engage corps et âme pour tirer le reste de la population vers le haut. Même le peu de jeunes qui grandissaient dans l’aisance locale se détachaient de leur milieu et copiaient maladroitement l’Occident. Quant aux autres, ils luttaient pour sortir de ces campagnes de « l’intérieur » ou de ces quartiers urbains mal viabilisés. Vous comprendrez qu’ils étaient loin de penser aux autres sans avoir assouvi leurs désirs personnels. Comme les hommes politiques émanent de cette évolution, il ne faut pas s’étonner que leur amour du peuple reste uniquement dans les discours officiels.

 

         Il faut donc se ressaisir, car il est impossible de construire sur du sable mouvant. Une pause de réflexion entre Barundi est nécessaire. Ne dit-on pas que du choc des idées jaillit la lumière ? Et que le linge sale se lave en famille ? Les Barundi ont montré ce qu’ils pouvaient faire : qu’on apprécie ou pas, le minimum d’honnêteté intellectuelle nous fait constater que les conférences nationales des cadres de la 2ème république, ont, à leur époque, été des pépinières de projets de développement. Le foisonnement des idées lors des débats sur l’unité nationale a abouti à l’acceptation du multipartisme. Le combat récent des médias a fait évoluer pas mal de choses et j’en passe.

 

         Ma conclusion est qu’il faut une pause pour réfléchir sur les traumatismes nationaux et trouver les remèdes appropriés pour sortir de cette léthargie. Les déceptions accumulées jusqu’à cette date sont énormes.  Il faut savoir que le monde n’arrête pas de tourner, la distance à parcourir est encore énorme.

Le Burundi a des atouts internes et externes pour décoller.  Ne perpétuons pas le proverbe qui dit que « So akwanka akuraga ivyamunaniye ».