DESERTEURS OU PATRIOTES DU 21 OCTOBRE 1993 ?

Par Gratien Rukindikiza

 Burundi news, le 29 décembre 2005

Celui qui a été pendu n’était pas coupable. Le coupable était celui qui l’a pendu. Ces cas ne sont pas rares dans l’histoire. Un voleur qui tabasse celui qui est volé pour avoir crié. Tout dépend de celui qui a le pouvoir, le pouvoir de la force, le pouvoir d’agir, de décider. Celui qui devait accéder au pouvoir a été assassiné. On connaît le cas de Trotsky en URSS du temps de Lénine. Staline a arrangé l’affaire pour accéder à son poste. Mirerekano devait succéder à Rwagasore. Muhirwa a pris sa place et Mirerekano a perdu la place et la vie. Que l’histoire est injuste. L’avenir ne rend pas justice, elle tue pour la deuxième fois les victimes de l’injustice.

Au Burundi, le 21 octobre 1993, le Président Ndadaye a été assassiné par un groupe de militaires, avec un soutien d’une bonne partie de l’armée. Ceux qui ont soutenu les putschistes ont eu droit à plusieurs avantages sauf quelques pions sacrifiés pour amuser la galerie. Certains sont devenus des généraux. Quelles récompenses pour un crime contre les institutions !  Ceux qui ont gardé la neutralité négative, coupables de non assistance des personnes en danger ont sauvé leurs carrières. Les quelques rares officiers légalistes qui ont dit non, qui ont refusé d’assumer l’irréparable, sont devenus des « déserteurs », une façon de leur coller une étiquette de nuisance. Tu combats le putschiste, le putschiste te combattra ! Il fallait savoir ! J’ai entendu cette phrase plusieurs fois.  

Le ridicule ne tue pas. Les putschistes qui sont partis en Ouganda n’étaient pas des déserteurs ! Ils sont rentrés au Burundi sans qu’ils  soient jugés pour désertion. Ceux qui ont refusé d’assumer, qui ont manifesté leur mécontentement par rapport à cette folie meurtrière d’une partie de l’armée ont été contraints de rester ou de se réfugier à l’étranger. L’acte est en soi louable car rentrer dans l’armée commandée par les putschistes étaient une façon de légitimer l’assassinat du Président Ndadaye et ses collaborateurs.

 Le Major Bugegene a été brutalisé, ligoté par des militaires pour avoir refusé de cautionner l’acte des putschistes. Face à ces actes, sans un autre appui au sein de l’hiérarchie, il est parti au Congo en attendant que les putschistes cèdent le pouvoir. Les putschistes lui ont collé l’étiquette de déserteur. Le Capitaine Mushwabure qui a déserté le palais et qui a laissé le Président de la République à la merci des putschistes alors qu’il était chargé de sa sécurité n’ a pas été jugé de désertion. Pourtant, il a passé plus d’une semaine sans rejoindre l’armée. Si cela ne s’appelle pas désertion, il faudra revoir le code militaire. Deux poids, deux mesures. Bugegene est considéré toujours comme déserteur. Pendant son jugement, les juges militaires affirment que le commandement militaire existait au moment de son départ au Congo. Ils restent muets à la question de savoir   qui commandait cette armée putschiste en ce moment. Celui qui avait le commandement est alors responsable de la mort du Président Ndadaye. Le ministre de la défense du Président Ndadaye, le Colonel Ntakije était à l’ambassade de France. Il était alors déserteur de l’armée car il avait quitté son poste pendant plusieurs jours. Il n’a pas été jugé pour désertion.

Le Capitaine Rukindikiza était « envoyé » à l’Ile Maurice au moment où les putschistes assassinaient le Président. Il avait été écarté pour ne pas empêcher les putschistes, en mémoire de ce qui s’est passé dans la nuit du 02 au 03 juillet 1993. La chasse aux légalistes avait commencé. Rukindikiza était du nombre. Les putschistes gardaient le contrôle de l’armée. Dans le but de se désolidariser, le Capitaine Rukindikiza a refusé de rejoindre cette armée tant qu’elle restait commandée par des putschistes. Ces derniers en profitaient pour lui coller l’étiquette de déserteur comme ils avaient voulu l’accuser d’insubordination pour avoir posé des actes nécessaires à la protection des institutions. Déserteur ou patriote ? La réponse dépend de celui qui juge et l'histoire jugera.

Bugegene et Rukindikiza continuent à être victimes de la machination des putschistes. Les assassins du Président Ndadaye n’ont pas été jugés. Ce sont les légalistes qu’on tente de juger. Le monde à l’envers. Aujourd’hui, le CNDD-FDD est au pouvoir. Ce mouvement est né après la mort du Président Ndadaye avec le but de restaurer la démocratie si on en croit aux textes. Va-t-il fermer les yeux comme les autres pouvoirs face à une telle injustice ? Pourquoi ne pas réhabiliter les deux officiers, ou tout au moins reconnaître leurs actes ? Qui a dit que les putschistes ne contrôlent plus l’armée ?