Au Burundi, il faut créer le rêve
et
libérer les énergies humaines
L’enseignement fondamental que m’a transmis la culture de mon pays, complété par celui puisé dans d’autres cultures m’a permis de comprendre de quelle ethnie j’étais : « je suis de l’espèce humaine, burundais, avec des valeurs qui donnent un visage à notre humanité commune ».
Un peuple en marche peut soulever des montagnes. Si on le veut, nous pouvons demain (dans 3 à 4 décennies) développer une agriculture très moderne et de qualité et ne plus mourir de faim, avoir l'énergie nucléaire, des ingénieurs qui voyagent et envoient des engins dans l'espace, demain nous pouvons trouver des vaccins contre le sida et la malaria dans nos laboratoires, nous pouvons faire tout ça. Tout ce qu’il nous faut, c’est un dirigent et son équipe capables de « créer le rêve, la fierté et la confiance dans le cœur des Burundais et en particulier les jeunes, qui sont le Burundi de demain ». Un pays dont ses enfants ne rêvent plus est un pays qui se meurt. Tout ce dont on a besoin, c’est quelqu’un qui nous fasse rêver autour d’un idéal de projet, quelqu’un qui nous aide à ressusciter nos valeurs culturelles tout en les projetant dans la modernité. C’est comme ça qu’on pourra apporter au monde notre façon de le voir et de se le représenter, et ce faisant que notre pays aura plus de dignité et de respect dans le concert des nations. Ubugabo burihabwa. Chaque enfant de notre pays doit sentir ce pouvoir, cette puissance qu’il a en lui de prendre son destin et celui de son pays en main1.
Nous devons dénoncer avec vigueur tous ces hommes politiques qui nous envoient en enfer, à cause de leurs intérêts et non ceux du peuple. En 1972, j’étais en fin de l’école primaire à Buhiga, mon professeur du nom de John a été arrêté devant nous et n’a opposé aucune résistance, on ne l’a jamais revu. Je me rappelle dans ma commune de Bugenyuzi, lorsque pendant les vacances, les étudiants à l’Université ou au Lycée se rencontraient à la messe du dimanche sans distinction d’ethnies, j’étais impressionné quand j’y repense aujourd’hui, de voir autant de futures forces intellectuelles pour le pays, pour une petite commune comme Bugenyuzi.
La majorité de ces jeunes ont été tués en 1972. Quel suicide pour un pays ? Sur les événements de 1972, les pouvoirs n’ont jamais fait la lumière sur ce qui s’est passé pour réhabiliter les familles victimes, établir les responsabilités pour que justice soit faite. Rien n’a été fait pour que les familles puissent faire leur deuil. Ce deuil concerne également tout le pays dans son ensemble, car cette année là, c’est aussi le Burundi qui s’est suicidé. Cette stratégie de ne pas reconnaître les responsabilités de ceux qui organisent de telles hécatombes par les pouvoirs en place veut nous faire porter tous le chapeau et, ça marche, car les boucs émissaires sont vite trouvés lorsque survient une autre crise. Les événements de 1993 sont la conséquence des événements de 1972. En 1993, des milliers de burundais (dont des centaines de ma famille) ont été emporté par ces événements. Pourtant je suis sûr et certain qu’un tutsi paysan ou non paysan de la colline Rwimbogo par exemple ou d’ailleurs n’est en aucun cas associé aux événements de 1972. Pourquoi s’en prendre à des innocents ? Pourquoi faire l’amalgame ?
Aujourd’hui, les burundais dans leur majorité ont compris que l’origine de nos problèmes vient des politiciens, qui, au lieu de marquer l’histoire de leur pays par des actes de bravoure en jetant les bases d’un vrai développement économique et social, préfère penser à leur ventre et à leurs proches, et sont prêts à trucider quiconque vient leur dire certaines vérités. Aujourd’hui les burundais doivent se battre pour un nouveau leadership capable de nous sortir de la pauvreté et de la précarité, nous devons nous battre pour faire tomber les pouvoirs autoritaires et corrompus, nous devons nous battre pour que la justice fonctionne comme il se doit et qu’elle puisse rester indépendante, nous devons nous battre pour des valeurs justes et humaines.
Aujourd'hui et demain, le peuple Burundais doit ouvrir les yeux et donner le pouvoir à des femmes et des hommes intègres. Peu importe qu'ils soient de telle ethnie ou telle autre, l'essentiel est de pouvoir nous rendre la dignité, le développement pour tous, et que notre pays puisse retrouver le respect dans le concert des autres nations. Détrompons-nous, celui qui persécute l’autre par le fait qu’il n’est pas de son ethnie ou pour ses idées ne t’épargnera pas si tu te mets au travers de son chemin, même s’il est de ton ethnie. Ce sont les valeurs de justice, d’équité, de tolérance, et de développement pour tous qui renforceront notre fraternité en tant qu’humains et burundais.
Lorsqu’on verra les burundais ensemble dans la rue, faire une révolution orange à la burundaise, non pas pour dire que le tutsi ou le hutu est mon ennemi, mais pour faire tomber les régimes et systèmes politiques (et ceux qui incarnent ce système) par lesquels notre malheur à tous arrive, alors le burundais aura progressé dans sa vraie lutte pour la liberté. C'est cette façon d'aliéner les peuples qu'il faut combattre avec toute notre force. Bravo à tous les médias privés et associations, etc., qui se battent aujourd’hui pour avoir un Etat de droit, pour s’interroger sur la manière dont on pourrait mieux aborder les questions de développement. Car le développement est très accessible et se trouve au creux de nos mains. Un peuple en marche soulève des montagnes et rien ne lui résiste.
S’adapter à son environnement et tirer profit des effets de la modernité
Dans la nature, il y a des lois naturelles implacables que l’homme aura du mal à se défaire comme la tendance à écraser le faible. « wigira ikirago, bakakuyorerako umwavu ». Lorsque le Burundi et l’Afrique subsaharienne en général tergiverse à entrer dans la modernité sans renier nos différentes cultures, on s’expose aux dictats de l’extérieur, on se met dans des situations de faiblesse, en quête permanente de l’aide extérieure. Il faut absolument sortir de ce cercle vicieux, par des projets bien pensés et ambitieux pouvant nous permettre d’accumuler progressivement de la richesse, et sortir de la forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Cette richesse accumulée nous permettra d’avoir une certaine autonomie interne dans nos actions de développement.
Revenons un peu aux lois naturelles. Nous savons qu’en permanence, toutes les espèces vivantes vont chercher à s’adapter aux changements de leur environnement, pour ne pas disparaître. C’est ce qu’a fait l’Afrique durant plusieurs siècles. Il est aussi reconnu que l’Afrique a réalisé de la créativité depuis des siècles, développé de nombreux modèles d’organisation politiques. Elle s’est adapté à sa façon à des situations parfois difficiles. Une sorte de métaphysique de la survie2. Aujourd’hui, il est question de se réapproprier et de faire vivre davantage nos cultures respectives. Cette renaissance du Burundi par exemple, elle ne serait rien d’autre que la réhabilitation de notre culture et de notre identité, et d’en être fiers. Ensuite, il faut se projeter dans une vision moderne de notre pays.
Cette vision moderne, ambitieuse et volontariste doit être bien comprise par le peuple entier , en vue de réduire très rapidement la pauvreté et se hisser ensuite au rang de pays intermédiaire, voire développé sur 3 à 4 décennies. Nous devons sérieusement nous inspirer des modèles asiatiques de réussite économique.
1 - chaque jour qui passe sans paix définitive c’est toujours un jour de perdu sur le chemin de la liberté et du développement pour notre pays. C’est un jour triste pour tous les burundais qui meurent de faim ou par manque de soins de santé. Nous sommes victimes de systèmes politiques qui ont du mal à anticiper les événements et projeter notre pays dans l’ère moderne et le développement pour tous. C’est pour cela que les Burundais dans leur ensemble demande au Président Nkurunziza et son équipe de ne plus perdre un jour de plus et de conclure rapidement les négociations avec Rwasa. La réconciliation à l’intérieur du parti CNDD-FDD doit se faire rapidement, car tout cela ne présage rien de bon. Il faut éviter des situations d’antagonisme et d’injustice qui pourraient créer des conditions de frustration, susceptibles de déclencher la création de nouvelles rebellions armées. Les burundais sont fatigués, et ont besoin de pain, de robinets, de lumière, et vivre paisiblement. Maintenant que la paix définitive va nous être annoncée dans les temps qui viennent avec l’intégration du mouvement de Rwasa dans les institutions, etc., ça serait vraiment invivable pour les burundais, de voir naître d’autres rebellions ou mouvements armés dans le pays.
2 - réconciliation définitive des Burundais. Etablir la vérité et les responsabilités, rendre justice. C’est à ce titre que le pardon est possible. Car le peuple burundais doit ouvrir les yeux pour rester intraitable vis-à-vis de ces politiques véreux, qui ont semé la graine de l’idéologie de la haine. Leur stratégie est celle de nous faire ensuite porter le chapeau (tous les burundais) et créer le sentiment de responsabilité collective, comme si tous les burundais avaient commis l’irréparable. Je peux le dire sans l’ombre d’un doute dans ma conscience que la source de nos malheurs durant ces 5 dernières décennies est le fait de ces politiciens véreux, sans amour de leur pays et de leur peuple, qui transforme un pays en propriété privée, et de plus sans projet ni vision sur le long terme. Ils sont là pour collecter l’aide et la distribuer comme bon leur semble. Ils sont incapables de créer la richesse. Ils maintiennent le pays dans la dépendance, ils endettent leur pays pour je ne sais quoi. Toi burundais de tout bord, sort de tes ethnies et saches bien que le hutu ou le tutsi que tu auras élu parce que de ton ethnie, et s’il s’avère ensuite que c’est quelqu’un ou quelqu’une qui est encore dans l’obscurité (dans les ethnies) et incompétent, ta voix aura servi à choisir le désespoir au lieu d’un avenir meilleur pour l’ensemble des enfants de notre pays.
3 - créer un musée du souvenir et de la mémoire. Ainsi, une liste complète et des photos si possible de toutes les victimes des massacres, des génocides, etc…doivent être constituée et rassemblées pour que nous puissions avoir un lieu digne de ce nom, qui nous rappellera les périodes noires de notre histoire, afin qu’on reste vigilant pour ne plus tomber dans ce type de barbarie.
4 - les burundais peuvent innover de manière révolutionnaire dans le processus de choix de nos dirigeants, en étant très exigeants dans le processus d’accès à la magistrature suprême. Après tout ce que, nous peuple burundais, venons de vivre ces 5 dernières décennies, nous devons mériter mieux et faire en sorte que la femme ou l’homme qu’on investit au poste de chef de l’état, nous démontre suffisamment sa conviction pour défendre les valeurs fondamentales de l’humanité (respect des droits de l’homme, ...) et l’identité culturelle de notre pays, sa capacité de mobilisation des burundais autour d’un projet visionnaire qui nous sortira de la précarité et de la pauvreté, etc.… Nous pouvons mettre en place des mécanismes qui nous permettent d’évaluer les capacités de ceux qui veulent nous gouverner. C’est une question que nous devons nous poser.
Le développement, c’est dans la tête que ça se joue, c’est un état d’esprit, c’est du travail intelligent qui s’inscrit dans la durée, c’est la prise en compte des enjeux géopolitiques, etc…
Le Président Nkurunziza a lancé depuis bientôt une année une réflexion sur la vision 2025 du Burundi. Mais à ma connaissance, on ne sait pas comment cette perspective est en train de se construire, quelles sont les personnes associées à cette démarche ? S’agit-il d’une démarche volontaire et complètement interne et conduite par les dirigeants et experts burundais, ou s’agit-il encore de la nième initiative téléguidée de l’extérieur ? Cette projection du Burundi devrait en principe bénéficier de l’apport des uns et des autres, ou de toute personne qui souhaite donner son avis sur ce projet important pour l’avenir de notre pays. La diaspora burundaise est-elle associée à la démarche ?
La vision est un processus entièrement interne à un pays. C’est foncièrement légitime qu’un pays définisse son avenir. Personne ne peut développer ton pays à ta place, et si ç’est le cas, c’est que ton pays est occupé.
Avec un leadership déterminé, conjugué à l’engagement des burundais derrière et devant leurs chefs, le pays peut exploser de développement en peu de temps.
Les pays asiatiques ont pu réussir grâce à leur détermination et leur discipline, à être les maîtres de leur destin. Et surtout, c’est grâce à un leadership clairvoyant et constamment engagé pour garder le cap des réformes et des transferts de technologies, et en faisant passer l’intérêt supérieur de la nation avant ses propres intérêts. Ceci, se fait bien évidemment dans un esprit de faire gagner les sociétés nationales et les citoyens, à créer des capacités internes d’assimiler des technologies extérieures et à les améliorer pour devenir compétitif ensuite sur le marché mondial.
Lorsque les peuples se reconnaissent dans leurs dirigeants, lorsqu’ils sentent qu’ils sont sur le bon chemin du développement, alors ils s’engagent sans compter. Les hommes au pouvoir dans notre pays doivent arrêter de passer un temps fou à gérer les postes et à se tirer dans les pattes en permanence.
En conclusion,
Pour notre pays et dans un premier temps, il faudrait qu’on se fixe un cap sur les domaines prioritaires, à savoir : l’acquisition des compétences dont on a besoin aujourd’hui et demain pour accompagner notre vision du Burundi en 2040, le cap sur la sécurité alimentaire d’ici 2020, le cap sur la santé, l’hygiène et la qualité de vie.
La paix définitive retrouvée, le Burundi peut faire un bond en avant. Ce bond nécessitera un nouveau leadership, capable de libérer les énergies du peuple burundais, capable de les mobiliser pour accompagner cette vision de notre pays. Le peuple burundais doit retrouver la confiance dans la grandeur de sa culture d’ubushingantahe, de solidarité, pour se propulser dans une modernité propre à lui. Nous aurons l’occasion dans les prochains écrits d’échanger dans le détail, sur les piliers essentiels de la vision du Burundi en 2040, et sur les modalités de son financement. Car, les bonnes idées sont plus rares que les moyens financiers, et quand il y a de bonnes idées et la volonté politique, tout devient possible. Un peuple en marche soulève des montagnes : par sa conscience, son abnégation, sa culture de l’excellence et dans l’humilité.
Je termine par ces quelques mots, comme une prière pour notre pays : « que tout ce sang versé ne le soit pour rien, mais nous serve de leçon et de mémoire, pour que nous puissions dire maintenant et pour toujours, plus jamais ça, et place à la fraternité du peuple burundais ».
Hippolyte Ndikumwami
Bibliographie
1 : Ndikumwami, H. et Mubumbyi, J-B. « le système éducatif, clé du développement de l’Afrique », ed. www.associationarchive.com, 2006. Dans ce processus de mise en place d'une stratégie de développement, l’Afrique doit se projeter et définir entre autres les besoins en femmes et hommes compétents dont elle a et aura besoin pour accompagner ce développement. Cette éducation devra être porteuse d’un sens, d’une âme, pour que les nouvelles générations se sentent libres, et sentent avec une forte conviction ce pouvoir qu’ils ont d’être les maîtres de leur destin. Car, aujourd’hui la jeunesse africaine subit injustement cette vision erronée de nos politiques sans lendemain qui nous maintiennent dans la dépendance extérieure, et dans ce constat encore réel aujourd’hui : que les affaires africaines se jouent fondamentalement à l’extérieur du continent. Il faut ouvrir une ère nouvelle, pour que toute cette énergie humaine sacrifiée puisse enfin s’exprimer réellement, en construisant l’Afrique de demain et en contribuant substantiellement à la construction du monde de demain.
2 : Balandier, G., conférence sur « les défis de l’Afrique » à l’unesco à Paris, 31 mai 2005
3. Conférence sur les enjeux de l’eau en Afrique, organisée par l’OCDE/BAB, Bercy à Paris, 5 juin 2007