LA CRISE ECONOMIQUE EN EUROPE, QUELLE CRISE?

 

Par Gratien Rukindikiza

 Burundi news, le 14/01/2012

Une fois n'est pas coutume, votre média Burundi News plonge dans la politique économique de l'Europe sans parler du Burundi. Burundi News s'adresse aux Burundais du Burundi et de l'étranger ainsi qu' à tous ceux qui s'intéressent à l'actualité burundaise. Ces lecteurs ont besoin de comprendre ce qui se passe en Europe. Burundi News étant basé en France, cette entorse à la règle assignée de parler de la politique burundaise exclusivement serait tolérée par nos lecteurs.

Quand le sauveur se noie à la place du sauvé

La crise actuelle en Europe, qui est actuellement une crise des Etats européens, une crise liée à la dette publique, peut être caricaturée comme un pompier qui tente de sauver une personne plongée dans une rivière, sans moyen de s'en sortir. Cette personne sort de l'eau, sauvée par les pompiers et retrouve sa vitalité  alors que le pompier qui l'a sauvé est en train de se noyer. Ce pompier se prive des outils de secours pour ne pas se noyer,  considérant que le matériel est fait pour sauver les autres et non pour lui.

Après la fameuse crise des subprimes aux USA, très mal gérée par les Etats Unis, les banques européennes ont été contaminées. Dès le départ, l'erreur commise par les Etats Unis est d'avoir laissé ce système de prêt aux non solvables se proliférer et accepter la titrisation  de ces subprimes; ce qui signifiait que le poison des subprimes allait se répandre dans les produits financiers du monde. La deuxième erreur est d'avoir laissé les citoyens américains crouler sous les intérêts des taux variables passant du simple au double et priver de logements des millions de citoyens. Les Etats Unis auraient dû intervenir et refuser cette part variable ou même la prendre en charge. Si les propriétaires étaient restés dans leurs maisons tout en continuant à payer sur base des premiers remboursements en laissant le pouvoir public subventionner ou prendre des parts dans plusieurs banques afin de participer aux décisions, la crise des subprimes aurait été évitée. En plus, les aides publiques accordées aux banques à la suite des subprimes auraient été épargnées.

Avec le système de titrisation, les banques européennes ont constaté qu'elles avaient dans leurs portefeuilles de titres financiers des subprimes, qui ne seront jamais remboursés. Certaines ont commencé par nier, d'autres ont minimisé. La vérité a fini par éclater quand les banques ont refusé de se prêter de l'argent entr'elles sur le marché monétaire. Le système bancaire a été asséché. Les banques manquaient de liquidités, de devises car il y avait une méfiance entre les banquiers. La question était de savoir qui était le suivant à déposer le bilan. 

Face à cette situation, c'est l'économie réelle qui subissait les conséquences. Les spéculateurs se frottaient les mains pour miser sur la chute de telle ou telle banque. Les Etats européens ont décidé d'agir en apportant des dizaines de milliards d'euros aux banques sans pour autant les nationaliser. Les Etats européens n'avaient pas de liquidités. Ils étaient très endettés mais les maux étaient différents. Les Etats ont emprunté pour prêter aux banques. Les banques ont retrouvé la santé financière, presque. Jusque là, l'état des caisses de l'Etat n'attirait pas  l'attention des dirigeants. Les peuples de l'Europe retrouvaient la confiance. Ils avaient oublié que les spéculateurs s'attaquaient souvent aux proies faciles. Les banques devenues fortes, c'était le tour des Etats. Les Etats ont sauvé les banques mais les banques ne sauveront pas les Etats.

Le tour de la Grèce, l'Italie, le Portugal, l'Espagne, ....

Les spéculateurs se sont attaqué à l'Etat grec trahi par ceux qui l'avaient aidé à maquiller les comptes pour être dans les normes européennes. C'était un secret de Polichinelle que la Grèce trichait, que les impôts ne rentraient pas dans les caisses de l'Etat grec, que l'Etat grec vivait au dessus de ses moyens. Quand la crise de la dette grecque a vu le jour, les autres Etats européens sont intervenus pour aider la Grèce. Une, deux, trois mais les remèdes ne suffisaient pas. On parle même de faire sortir la Grèce de l'Euro. La dette grecque inquiète mais elle devient minime par rapport à ce qui est en Italie, en Espagne, pourquoi pas la France. L'Europe s'interroge, qui va sauver l'Europe. Le couple franco allemand s'agite mais les mesures prises pour l'Europe semblent être une goutte dans un océan. La crise était et est  plus forte que les Européens ne pouvaient s'imaginer. Pourtant la solution est à leur portée.

Ces Etats pointés du doigt par les agences de notations américaines ne peuvent que lever des fonds à des taux de 6, voire 7 % alors qu'un particulier peut avoir un prêt en France de 3 %. L'augmentation des taux signifie des dizaines de milliards de plus à rembourser au titre des intérêts. Des Etats empruntent aux taux exorbitants juste pour rembourser rien que des intérêts. Au moment où ces Etats subissent cette crise de la dette, ils continuent aussi à emprunter pour financer des déficits budgétaires. C'est comme un malade qui se soigne et qui a du mal à guérir et qui continue à s'infecter.

La crise de la dette en Europe ou un serpent qui se mord la queue!

Tout étudiant de la faculté d'économie apprend que les Etats se refinancent auprès des banques centrales. Les banques privées prêtent au secteur privé ou semi public. Les Etats ne doivent pas se refinancer sur le marché privé au risque d'assécher les liquidités destinées à l'économie.

Par ailleurs, l'Europe a choisi une autre voie, inconnue aux économistes avant l'euro. Pour en arriver là, il faut remonter à l'Allemagne avant Hitler, l'Allemagne des années 1930. Pour acheter un pain, il fallait une brouette de billets. Cette inflation a marqué les Allemands. Elle peut être un des éléments de  l'origine de l'ascension  de Hitler. Après la deuxième guerre mondiale, l'Allemagne a consolidé sa monnaie "Mark". C'était une monnaie solide ayant la mission principale de lutter contre l'inflation et promouvoir des exportations. La création de l'Euro a été faite à l'image du mark à tel point que certains  politiciens européens appelent l'Euro par le terme de l'Euromark.

Aujourd'hui, les Etats ont une monnaie unique. Une banque centrale européenne bat la monnaie. Cette monnaie n'est pas prêtée directement aux Etats. Ils doivent emprunter sur le marché privé comme les autres acteurs. Cela se fait dans le cadre de la lutte contre l'inflation. Sous l'influence des Allemands, l'Europe a adopté une constitution qui limite les déficits des Etats à 3 % du PIB. Petit à petit, certains Etats ont dépassé les limites. Les pays nordiques ont fait un effort alors que les pays méditerranéens ont adopté une attitude laxiste. L'Allemagne a pris des mesures sans précédent pour réduire le déficit et exporter plus. Le SMIC de fait est passé à 5 € alors qu'il est de 9.22 € en France. Les cotisations patronales au profit des salariés sont entre 20 et 30% alors qu'en France, elles sont proches de 45 %. Des retraités ne pouvant plus vivre avec leurs maigres retraites retournent dans les entreprises travailler à mi temps; ce qui ne se retrouvent presque pas en France.

La banque centrale européenne prête en général à 1 % au moment où les taux aux Etats italiens, espagnols etc... avoisinent 6 %. Les banques reçoivent des prêts de la banque centrale européenne à 1 % et prêtent aux Etats à 6 %. Les Etats propriétaires de la banque centrale européenne se laissent étrangler par ces dettes. Une situation inconcevable. Les banques se font des bénéfices en milliards d'euros au dos des Etats comme si les banques avaient pris le dessus des pouvoirs politiques.

L'Europe possède sa solution mais refuse de l'appliquer. Il suffit de laisser la banque centrale prêter aux Etats directement, c'est -à-dire à 1 % pour que les Etats comme l'Italie sort de la crise. Si on tient compte des dernières mesures budgétaires du gouvernement italien, les prêts à 1 % à l'Italie lui permettraient de sortir de la crise.

Si les Etats européens continuent à appliquer la rigueur et à maintenir la politique monétaire contre l'inflation, le suicide collectif est garanti et les peuples risquent de payer cher. Au cas où les Etats voudraient contourner le traité européen, il suffirait de nationaliser certaines banques pour que celles-ci prêtent aux Etats avec un faible taux d' intérêt. Ainsi, recevant les prêts de la Banque centrale européenne à 1 %, ces banques prêteraient à 1.50 %. La France gagnerait plus de 40 milliards d'euros car elle paierait 1.5 % sur 1 800 milliards d'euros de dette au lieu de payer 3.5 à 4 % selon les marchés.

Admirer l'Inde, le Brésil, la Chine, l'Argentine et l'Afrique du Sud, du jamais vu mais aussi une leçon

L'Europe est au stade d'admirer les économies des pays émergents à tel point que certains les sollicitent pour les aider. Les liquidités de la Chine, de l'Inde permettraient d'éviter des problèmes à plusieurs pays européens si elles étaient prêtées à moins de 1%.

Ces pays émergents n'ont pas fait des miracles, ils ont continué à appliquer les principes monétaires comme l'occident a préconisé. L'argent a été affecté à la production, à l'innovation, à l'industrialisation contrairement aux européens qui affectent le gros du capital financier à la spéculation. L'économie réelle (l'industrie et services) manque de capitaux, excepté l'Allemagne. En laissant les banques jouer des milliards  à la bourse au lieu de financer l'industrie et  la technologie, l'Europe se prive des moyens pour sauver son économie pour les décennies à venir.

La spéculation a pris un tournant inquiétant. Des sociétés de spéculation ont vu le jour. Ces sociétés ayant des bureaux dans les beaux quartiers, avec seuls outils les ordinateurs et téléphones, sont devenues des spécialistes des matières premières, du blé etc... Avec des ordinateurs, ils achètent une grande production mondiale du blé avant récolte et vendent au moment où un pays producteur connaît des problèmes climatiques ou autres. En restant dans un bureau, des milliers de tonnes de blé sont vendus sans que le spéculateur en voit la couleur. Il amasse au passage des bénéfices énormes plus que  le  producteur. Le spéculateur n'a pas besoin d'avoir de gros montants, il suffit d'une caution de la banque pour devenir milliardaire en quelques mois. Cette masse monétaire de la spéculation ne profite pas à l'économie réelle et est moins chère que les emprunts des Etats.

En privant l'économie réelle des capitaux, les Etats constatent que les recettes baissent, que les cotisations sociales des salariés baissent. Ainsi, les déficits des caisses de retraite, de maladies, de chômage rentrent dans les dettes des Etats. Plus il y a des dettes à rembourser, plus les Etats demandent aux citoyens de payer plus d'impôts et de cotisations sociales. Plus les citoyens payent  d'impôts dans un pays en récession, moins ils consomment. Or, la consommation est le moteur de relance dans certains pays européens. De ce fait, les dettes augmentent et les Etats ont du mal à payer les intérêts de la dette sans parler de remboursement. C'est le cercle vicieux de la pauvreté des peuples.

La seule façon d'arrêter l'hémorragie est de regarder autrement l'économie, de considérer que le travailleur est au cœur de la machine économique, de remettre la spéculation financière au service des peuples et non contre les peuples à défaut de lutter contre cette spéculation. Cela veut dire que les produits de la spéculation doivent être taxés plus que les autres recettes. Les Etats devront tôt au tard revoir la priorité de la banque centrale européenne. La lutte contre l'inflation dans une période de récession n'a pas de sens. Si une inflation génère la croissance et  le plein emploi, quoi de plus normal que de la tolérer jusqu'à certaines limites. Dès que la croissance sera au rendez-vous et que les bases seront consolidées, la lutte contre l'inflation pourra être relancée mais sans la rigueur actuelle.