LA CRISE EST PLUS PROFONDE QUE NOUS LE CROYIONS 

Burundi news, le 23/06/2012

Par Gratien Rukindikiza

La crise économique qui sévit en Europe ne doit pas laisser indifférents les Africains. Les Burundais seront aussi touchés par cette crise car les aides vont baisser. Il est crucial de bien comprendre cette crise car elle aura des conséquences mondiales si elle ne trouve pas de solutions à court terme.

Une  crise économique naît des incohérences de l’économie liées aux décisions souvent partisanes ou populistes sans tenir compte de certains principes économiques. La crise de 1929 est née de la surproduction économique qui n’a pas trouvé des consommateurs. Le système économique a frôlé un effondrement sans précédent. Des mesures extraordinaires politico économiques ont pu sauver l’économie.

Aujourd’hui, la crise est complexe. La faillite de Lehman Brothers a été une goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les subprimes faisaient suite aux dépenses des Etats qui ont oublié de gérer les finances publiques,  de contrôler les politiques de crédit et qui ont oublié de participer à la relance économique.

A qui incombe la responsabilité de la crise ? Les banques ou les Etats ?

 La crise actuelle est très difficile à comprendre et de ce fait, difficile à  régler. Il y a quelques années, ce sont les banques qui ont été sauvées in extremis par les Etats. Elles manquaient de liquidités, elles ne se faisaient plus confiance.  Le marché monétaire du jour au jour entre les banques était au point mort. L’intervention des Etats a permis d’éviter le pire. La crise aurait eu pour conséquence la fermeture des banques. Seuls les Etats auraient été capables de rouvrir les banques ou de nationaliser toutes les banques. Au même moment, les Etats auraient été fragilisés par cette crise bancaire. Etant souverains, les Etats auraient fait redémarrer le système bancaire en mettant de côté les théories monétaires libérales.

Après avoir sauvé les banques, les Etats européens n’ont pas réussi à cacher ce qui était qu’un secret de Polichinelle. Leur endettement était très élevé mais il ne posait pas de problème quelques années avant. Le traité de Maastricht qui fixait  la limite des  déficits à 3 % du PIB était ignoré. Malheureusement, ces dépenses n’étaient pas orientées vers l’augmentation de la richesse nationale par le biais de la production. Certains Etats comme la Grèce avaient trafiqué les comptes pour rester proche des normes. La banque américaine Goldman Sachs qui avait aidé la Grèce à maquiller sa comptabilité fut la première à spéculer sur cette même dette grecque. La spéculation devenait alors plus intéressante contre les Etats que contre les matières premières. Les spéculateurs savaient bien que  les dettes souveraines étaient propices à la contagion. En attaquant la Grèce, l’Italie était aussi dans le viseur. L’Espagne, le Portugal aussi. La spéculation ne tient pas compte de vrais problèmes financiers. Elle est souvent provoquée dans le but de gagner plus.

Les banques ont spéculé avec l’argent des autres. Elles ont perdu avec les subprimes et les Madoff. La BCE tente de les sauver en leur permettant de facturer les prêts avec des marges qui ne peuvent être pratiquées nulle part. Quel commerce peut-il permettre d’acheter à 100 € et vendre à 400 €; voire 700 € ? Les banques obtiennent des prêts à la BCE à 1 % et prêtent aux particuliers à 4 %, à l’Espagne à 7 %. Ainsi, elles récupèrent l’argent perdu dans la spéculation sur le dos des citoyens et des Etats. Ces mêmes banques n’ont pas tout dit. Elles gardent des actifs pourris dans leurs bilans. Mais la comptabilité peut mener à tout. Les banques préfèrent les comptabiliser hors bilan. Elles refusent de communiquer sur ces actifs pourris, non récupérables. Les banques françaises refusent toujours de communiquer sur ces actifs. Elles les provisionneront progressivement sur 10 ans, 20 ans, pourvu que tout passe inaperçu. Si ces actifs pourris étaient provisionnés, ces banques se retrouveront dans la même situation que les banques grecques.

La fragilité des comptes des Etats détourne l’attention du public car les banques restent toujours fragiles. Elles prêtent aujourd’hui avec l’argent de la banque centrale européenne. On pourrait même se demander où sont passées les liquidités des banques.

Les Etats ont fermé les yeux devant la spéculation bancaire même si les dirigeants savaient que cette spéculation était une bombe à retardement. Aujourd’hui, plus de la moitié de la spéculation est faite par les ordinateurs sans intervention de l’homme. Des certains mini crash sont l’œuvre des ordinateurs qui perdent les pédales. Tant que ça rapporte de l’argent, personne ne semble s’en préoccuper, au premier rang les pouvoirs élus pour protéger les peuples.

Les Etats ont dépensé tout en sachant que cet argent ne créait pas des richesses et affichaient un luxe insolent au nom des dettes colossales.

La responsabilité actuelle incombe aux Etats et aux banques.

L’Europe cherche une solution tardive

L’Europe connaît une vraie crise. Il est difficile de dire qu’elle est économique d’autant plus que plusieurs économies ne sont pas encore dans la récession. L’Europe cherche des solutions à un problème mal posé. Les économistes ne font que se ridiculiser en fonction de leurs idéologies. Cependant, les libéraux ont disparu de la circulation. Les Etats sont appelés à la rescousse, ce qui est contraire aux idées libérales. Le premier pays libéral au monde, j’ai nommé les Etats-Unis d’Amérique, a été sauvé en 1929 par les idées interventionnistes de l’Etat.

Comprendre le problème posé fait partie de la réponse. L’Europe ne connaît pas la même crise. Certaines vérités sont aussi cachées dans le jeu du chat et de la souris entre les Etats et les agences de notations.

L’Allemagne, pays réputé solide des pays de la zone euro, cache ses faiblesses. L’Etat est riche, le peuple est pauvre. L’Allemagne tire sa croissance de ses ventes en Europe. Ce n’est pas la consommation intérieure qui tire la croissance comme en France. Un fait souvent ignoré, c’est que l’Allemagne a un déficit commercial avec certain pays de l’Est. Pour une raison simple, l’Allemagne fait fabriquer des pièces détachées de son industrie dans les pays comme la Bulgarie, Tchéquie, où la main d’œuvre est moins chère. Les ouvriers allemands ne font que l’assemblage. La voiture sortie de l’usine allemande est allemande mais les pièces détachées viennent de l’Est. Si on oublie cet élément, le coût d’une voiture allemande est de loin inférieur à celui de la voiture française.

Si les pays de la zone euro plongent dans la récession, l’Allemagne plonge aussi et ne pourra se relever qu’après la croissance économique des autres pays. La seule solution qui restera aux Allemands viendra du professeur Hollande, la croissance par l’investissement.

L’Espagne a son endettement élevé mais ce n’est pas ce dernier qui le handicape énormément. L’Etat espagnol endetté est dans l’obligation d’aider son secteur bancaire menacé  par le fameux boom immobilier sans acheteur. Des villes entières construites dans l’idée de faire venir les retraités fortunés de l’Europe et de la Californie sont comme des tentes dans le désert. Ces villes n’ont que des gardiens qui les sécurisent sans habitants. Les banques qui y ont investi l’argent des épargnants ne peuvent pas se faire payer. C’est de l’argent parti en l’air. Ce problème dure plusieurs années. Au lieu de stopper le phénomène à temps, le gouvernement espagnol de ce temps (Zapatero) se contentait des compliments sur la croissance économique, d’une économie dynamique qui construisait sur le sable mouvant. Voilà ce qui peut s’appeler construire des châteaux en Espagne devenus des mirages à crise.

Cette crise espagnole est unique en Europe. Elle est différente de celle qui sévit en Italie et en Grèce. Ce sont plutôt des crises d’endettement des Etats et qui entrainent aussi les économies nationales. En Espagne, ce sont les banques qui entrainent l’Etat espagnol dans la tourmente.

Quelques soient les causes de ces crises, la solution passe par le portefeuille. Qui peut financer ? Les Etats du Sud de l’Europe ne pourront pas rembourser les dettes sans des mesures keynésiennes de croissance.

Mauvaises solutions pour la Grèce, mauvais résultats  

Depuis le début de la crise en Grèce, beaucoup de milliards ont été versés à la Grèce. Des mesures ont été prises pour réduire le personnel et les dépenses de l’Etat. Ces mesures ont entraîné l’économie réelle qui sombre dans la récession. La Grèce est comme le serpent qui se mord la queue. En remboursant les échéances bancaires, l’Etat grec ne fait que s’appauvrir et est obligé de demander de nouveaux fonds pour rembourser les prochaines échéances et de ce fait, les dépenses de l’Etat manquent de financement. L’Etat emprunte pour payer les fonctionnaires.

Continuer à prêter à la Grèce est comme prêter à une personne en faillite. L’Etat grecque n’est pas encore en faillite. Mais, il ne peut pas continuer à rembourser sa dette et relancer son économie. Les intérêts de la dette coûtent exactement 9% de son PIB sans parler du remboursement du principal. Elles étaient de 7 % il y a environs un an.

Sauver la Grèce passe par un moratoire de 2 ans sans payer ni intérêts, ni capital et aussi lui faire un don de plusieurs dizaines de milliards pour relancer l’économie à travers les dépenses d’investissement de l’Etat. Au bout de deux ans, avec l’aide technique des donateurs, la Grèce pourra relever son économie. Elle aura coûté moins de 10 % de ce qu’elle va coûter à l’Europe.

Sauver l’Espagne passe dans une recapitalisation des banques via un groupement de banques publiques chargé de relancer l’économie en crise. Ce groupement prêterait à 1.5 % à l’Espagne et au secteur bancaire.

Dans tous les cas, le sauvetage de l’Europe nécessite une grande croissance, une vraie politique de creuser les trous pour les reboucher. Le manque à gagner des premières années sera récupéré avec les mesures fiscales d’accompagnement de la croissance.

La crise est profonde. Les petites mesures actuelles ne font qu’aggraver la crise. Une crise profonde appelle des mesures extraordinaires. Mieux vaut faire plus que de rater le cours de l’histoire.

Le monde est aussi en crise

La croissance économique de la Chine faiblit. Le boom immobilier qui a accompagné le boom économique est une vraie bombe à retardement. Il n’est pas sûr que les banques récupèrent leur mise dans cet immobilier qui a surestimé la pause du taux de progression de la croissance chinoise. L’Europe n’achète plus assez pour soutenir cette économie chinoise qui dispose des disparités et inégalités sociales. L’Afrique continue sur sa lancée mais ne peut pas absorber la production chinoise.

L’Inde souffre aussi de sa demande intérieure faible. Les exportations indiennes concurrencent  la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud. Ces pays disposent encore des liquidités monétaires. Demain, ils devront anticiper la pause de leurs économies. La baisse des exportations vers l’Europe ne fera qu’affaiblir leurs économies. Ces pays ont l’avantage d’avoir des monnaies nationales car ils pourront les dévaluer pour rester compétitifs et avoir des liquidités. Cependant cet avantage génère un inconvénient majeur. Chaque pays est isolé et ne peut pas être  aidé par un autre pays ou un groupe de pays qui a la même monnaie. Le monde est devenu un petit village. Quand la case d’un voisin prend feu, il faut songer à arroser la sienne avant que l’incendie ne l’atteigne. La récession en Europe qui découlera de cette politique de rigueur fera chuter les ventes des autres pays comme l’Amérique du Nord, la Chine, l’Inde etc… Comme ces pays doivent la croissance de leurs économies sur les exportations, une baisse importante des importations européennes créera sans aucun doute le ralentissement économique de ces pays, le chômage et ainsi que des déficits budgétaires liés à la réduction de l’assiette fiscale.

La croissance sera mondiale, la récession le sera aussi. C’est pour cette raison que les autres pays de la G20 réclament des mesures de croissance de la part de l’Europe.

L’Europe est devenue la proie facile des spéculateurs. Elle doit se protéger contre les spéculateurs en pensant à d’autres mécanismes de levée de fonds hors des domaines spéculatifs. L’Europe devrait créer un pôle bancaire public chargé de financer les Etats, en concertation avec la banque centrale de l’Europe (BCE) et les ministres des finances. Il est difficile de mutualiser les dettes dans un premier temps.  Il serait judicieux de commencer par une période transitoire de garantie des dettes publiques des pays menacés par les spéculateurs. Cette garantie devrait être assortie d’un moratoire de remboursement des dettes pendant deux ans pour des pays comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal éventuellement. Ceux qui ont prêté ne perdront pas leur argent et leurs bilans ne seront pas affectés par des provisions.

Pousser la Grèce à rembourser à tout prix ses dettes est contre productif. Ce pays risque de se mettre en faillite et d’entraîner toute l’Europe. Le plus important est de sauver d’abord la monnaie unique. Sauver cette économie européenne est aussi sauver l’Europe des catastrophes humaines. La montée des extrémismes en Europe se nourrit des problèmes économiques que subissent les ménages. Si la politique conditionne l’économie, l’économie influence aussi la politique. Les deux sont très liées. La crise économique est la pire des ennemis de la politique.