LES DESSOUS DE LA GUERRE AU MALI

 Burundi news, le 27/01/2013

Par Gratien Rukindikiza

Une guerre peut en cacher une autre. Comme si un géant cachait une maison en train de s'effondrer, le Mali a été une victime indirecte de la guerre contre Kadhafi en Libye. Les pays occidentaux, en tête la France, ont déclenché un soutien aérien au profit des rebelles libyens menacés à Benghazi. La détermination de l'ancien Président Sarkozy de faire tomber Kadhafi était juste l'opposé de l'accueil en grande pompe de Kadhafi à Paris. Selon certains journaux, Kadhafi aurait financé la campagne présidentielle de Sarkozy en 2007. Les Etats n'ont pas d'amis mais des intérêts. Cela n'a pas empêché que Kadhafi soit tué sous les caméras occidentales.

La fuite tolérée des Touaregs armés vers le Mali

Après la défaite de Kadhafi, les Touaregs maliens venus à son secours sont rentrés avec des armes de Kadhafi sous l'œil des  satellites espions et des drones. Ces convois surarmés ont traversé l'Algérie car le Mali n'a pas de frontière avec la Libye. Ils ont traversé deux fois la frontière algérienne, une fois pour entrer et une autre fois pour sortir. Tant qu'ils quittaient la Libye et l'Algérie, leur parcours ne posait aucun problème; sauf au Mali. Au début, c'était le mouvement MNLA (Mouvement national pour la libération de l'Awazad) qui a commencé la guerre au Mali. Face aux échecs cuisants sur le terrain, les militaires maliens s'en ont pris à leurs chefs et surtout au Président ATT. Les soldats et sous officiers sont allés chercher le capitaine Sanogo, proche de la troupe et aussi un mécontent du fait qu'il n'avait pas avancé de grade.

Le putsch de Sanogo et la désorganisation de l'armée malienne

Le capitaine Sanogo a renversé ainsi le Président ATT le 21 mars 2012. Cette accélération des événements à Bamako, révolte militaire et putsch, a démobilisé les militaires encore présents au Nord du Mali. Des colonels sur le terrain se retrouvaient sous le commandement d'un capitaine. Pire, les militaires occupés au putsch manquaient sur le terrain, fragilisant ainsi le front Nord. Le colonel Gamou, un Touareg, grand combattant basé à Kidal, s'est replié, sous la poussée de la rébellion, vers le Niger voisin avec ses hommes. Le colonel Dakouo, un arabe malien, basé à Gao,  s'est replié à Sevaré (Mali), un aéroport pouvant accueillir de gros porteurs. Le colonel Meidou, basé à Tombouctou,  a rejoint la Mauritanie.  L'armée malienne venait de perdre deux colonels importants et ceux-ci sont toujours en attente d'un retour pour rejoindre les champs de bataille.

Des témoignages signalent que certains officiers supérieurs se retrouvaient sous les ordres des subalternes recevant les ordres du camp Kati où siège le capitaine Sanogo. Face à la progression de la rébellion, l'armée malienne s'est repliée dans la moitié Sud. Les trois colonels formaient le verrou vers Mopti  et en quittant ces villes, les rebelles les ont occupées. Comme la désorganisation issue du putsch ne suffisait pas, les bérets rouges, proches de l'ancien Président Toumani Touré (ATT), ont voulu prendre la revanche contre les bérets verts de Sanogo; une tentative de putsch qui a été sévèrement réprimée. Les bérets rouges, très aguerris au combat, ont été mis en prison pour certains, d'autres cantonnés dans des lieux sécurisés. Voilà une autre partie de l'armée malienne démembrée.

Cette armée avait souffert aussi de l'usure du pouvoir d'ATT. Naguère bien organisée, bien entraînée, cette armée qui compte 50 généraux (Disparus dans la nature!) est aujourd'hui dans la même situation que l'armée congolaise ou centrafricaine. La corruption et le népotisme ont fait le travail de l'ennemi. Les chars d'assaut russe T55 et T34,  dont les dernières pièces de rechange ont été achetées il y a 10 ans, étaient absents sur le terrain.

Le putsch de Sanogo a été condamné à l'unanimité. La CEDEAO  a exigé le retrait de la Présidence de Sanogo au profit du président du Parlement, Dioncounda Traoré. Ce dernier devenu Président à la place de Sanogo le paiera cher car des manifestants pour le moins non spontanés ont pu pénétrer dans son palais sous le regard amusé de sa sécurité et il a été très sérieusement tabassé. Il sera soigné en France pendant quelques semaines. L'ancien  Premier ministre Modibo Diarra a été débarqué par Sanogo qui a instauré un pouvoir parallèle à Kati. Son tort serait d'avoir voulu s'imposer en tant que politicien et ne pas respecter les ordres de Sanogo, qui n'est plus Président. Au Mali, avant le déclenchement de l'opération serval par la France, il existait trois pouvoirs, celui du Président (très minime), celui du Premier ministre et celui de Sanogo ayant son siège à Kati. Sanogo recevait les rapports du chef d'Etat major, du ministre de la défense et celui de la sécurité. Il a aussi créé un groupuscule politique chargé de préparer son retour au pouvoir.

Le MNLA se fait détrôner par les islamistes de l'ACQMI, MUJAO et Ansar Dine

Le MNLA, mouvement des Touaregs revendiquant un Etat Azawad, avait enregistré des succès sur le terrain contre l'armée malienne. Les mouvements islamistes dans le Sahel ont compris qu'il y a un terrain à conquérir. Le MNLA a été évincé par les islamistes. Leurs revendications,  qui avaient eu une oreille attentive dans certaines capitales européennes, ont été réduites à néant face au danger islamiste. Un nouveau Sahelistan naissait et la France avait peur que ce mouvement s'étende dans  d'autres pays de la zone d'influence française.

La France intervient en urgence au Mali pour sauver le Mali et surtout sauver le Président Traoré

Alors que la communauté internationale et la CEDEAO mettaient en place un dispositif d'intervention des militaires de la CEDEAO dans un délai de plusieurs mois, les islamistes ont déclenché une offensive vers Konna, mettant en déroute les militaires maliens se trouvant dans cette ville. La ville de Mopti, dernier verrou des militaires maliens avant Bamako était menacé. En plus, Sevaré, prévu pour accueillir des gros porteurs acheminant les troupes africaines était dans le collimateur des islamistes. Le ministre de la défense française,  Le Drian, a annoncé que les islamistes auraient été à Bamako en deux jours. Propos alarmistes ou pure réalité?

L'armée française est intervenue très rapidement pour stopper les colonnes rebelles. Tactiquement,  l'Etat major français a sous-estimé la force de ces rebelles islamistes. Des hélicoptères non blindés ont été lancés dans la bataille alors que ces islamistes disposaient des armes de gros calibres. C'est ainsi qu'un pilote d'un hélicoptère a été touché  mortellement.  Comme on le dit dans l'armée, la rapidité a primé sur la sécurité.

Un autre évènement inattendu a failli se passer à Bamako si la France n'était pas intervenue rapidement. Le capitaine Sanogo voulait reprendre le pouvoir en expliquant que Traoré a démontré son incapacité à reconquérir le Nord. Ceci dit, Sanogo est chargé de réorganiser l'armée en vue de la reconquête du Nord du Mali.

Le putsch devait se dérouler dans la nuit de l'intervention de l'armée française. Politiquement, le terrain était préparé par une manifestation pro Sanogo. Le capitaine Sanogo avait toujours refusé que les militaires de la CEDEAO se positionnent à Bamako. Il avait même exigé que les troupes ne soient pas envoyées, prétextant que l'armée malienne avait besoin uniquement de matériel militaire et du renseignement.

Le Président Hollande avait bien compris le jeu du capitaine Sanogo. Juste au moment où les avions frappaient les colonnes des islamistes, les forces spéciales  débarquaient à Bamako, officiellement pour défendre les expatriés français et l'ambassade mais officieusement pour défendre le Président Traoré contre un putsch. Le dispositif mis en place a dissuadé le capitaine Sanogo qui a préféré garder son silence pendant les premiers jours de l'opération. Il n'est plus l'interlocuteur des Etats majors qui s'installent au Mali. Le Président Traoré peut s'affranchir du capitaine Sanogo d'autant plus que le Président français a déjà annoncé que les militaires français quitteront le Mali après les élections.

Le Nord du Mali, riche en pétrole et en uranium

Plusieurs médias affirment que le Mali est pauvre. Le Nord du Mali, un désert, intéresse plusieurs pays. Le mouvement touareg dispose des soutiens qui seraient liés à ce sous- sol. Le Nord du Mali a des gisements de pétrole et de l'uranium inexploités. Les Américains ont déjà dépensé 500 millions de dollars pour former des militaires maliens à combattre le terrorisme. Pour ceux qui connaissent les Américains, c'est une somme qui doit avoir un retour sur investissement. Malheureusement, plusieurs militaires touaregs formés ont rejoint les mouvements islamistes et combattent le pouvoir du Mali. Le capitaine Sanogo a été formé par les Américains dans le même cadre de la lutte contre le terrorisme. C'est lui qui a été à la tête du putsch.

La France restera au Mali le temps qu'il faudra, disait le Président Hollande. Certains analystes disent que cette zone du Nord intéresse Areva et Total, des sociétés françaises. Les matières premières énergiques sont très convoitées depuis l'entrée en lice du futur géant chinois.

L'Afrique a une particularité. Les peuples africains souffrent de ses nouvelles richesses. La République centrafricaine a son uranium et ses diamants, la RDC a son or et son cobalt, le Mali a son pétrole et son uranium, le Soudan a son pétrole. Ces peuples souffrent parce qu'ils sont riches.

Le Mali, futur bourbier?

On sait comment on commence la guerre mais jamais comment on la  termine. La France est au Mali. Les militaires français ignorent la stratégie qui sera adoptée par ces mouvements islamistes. Si c'est la guérilla comme en Afghanistan, il faudra s'armer de patience. L'autre paramètre est la véritable force africaine. Comment pourra-t-elle réagir face à une rébellion sans commettre des massacres? Qui pourra financer cette force pendant des années? La France a aussi ses problèmes budgétaires avec le fameux 3 % de déficit par rapport au PIB fixé par l'Europe et un repère par Hollande. Pourra-t-elle financer cette guerre sur plusieurs années tout en étant seule puissance au Mali? Et l'opinion française? Elle soutient cette initiative mais l' opinion change en fonction des imprévus. S'il y a beaucoup de morts de militaires français, le débat pourra être relancé et l'opinion pourra changer.

La question touareg

Les Touaregs réclament leur territoire. Un pacte de paix avait été signé avec le pouvoir en avril 1992. Beaucoup d'officiers et militaires avaient intégré l'armée malienne. Les Touaregs se plaignaient de ne pas avoir assez de pouvoir dans le Nord. L'ancien Président ATT a voulu en faire des alliés, souvent les yeux fermés. Ceux qu'il a considérés comme des alliés sont devenus ses ennemis comme Iyad Ag Ghali.

La guerre est lancée. Est-elle contre les Touaregs? Non, mais les mouvements rebelles Ansar Dine, MUJAO et MNLA ont recruté chez les Touaregs. Il est difficile de discuter de la question touareg du fait que les islamistes ont pris le dessus du mouvement indépendantiste touareg.

Cette question touareg sera renvoyée après les élections présidentielles au Mali. La guerre a déjà gâché la chance des Touareg d'avoir un Etat indépendant AZAWAD.

Les grands perdants de l'attaque française

L'offensive d'Ansar Dine sur Konna a planté un couteau dans le dos des Algériens et Burkinabé. Ansar Dine était présenté par ces deux pays comme des modérés, à différencier des islamistes. Pourtant Ansar Dine coupait les mains et les pieds en guise de punition. Les deux  pays tenaient à ce qu'il y ait des négociations. Ansar Dine, dirigé par son chef Iyad Ag Ghali, a fait semblant de négocier pour préparer la guerre. C'est en sortant des négociations qu'ils ont lancé leurs combattants sur Konna à la grande surprise d'Alger et d'Ouagadougou.

En ouvrant l'espace aérien à la France, l'Algérie devenait la cible des islamistes. Ces derniers ne posaient pas de problème à l'Algérie comme s'il y avait une sorte de pacte de paix.

Et les Maliens

Aujourd'hui, il y a des forces étrangères au Mali venues le délivrer des islamistes. Même si c'est la France qui a sauvé le Mali, la France reste l'ancien colonisateur du Mali. Le Mali est un Etat souverain qui devra être capable de s'assumer et renvoyer toutes les forces étrangères. Toute force étrangère, quelque soit sa mission dans le pays finit par se comporter comme étant en terrain conquis. Les Maliens doivent restructurer leur armée pour qu'elle soit capable de protéger le pays.

Pour le moment, il s'agit de gérer l'urgence, c'est-à-dire la guerre. Le nouveau Président élu aura la lourde tâche de conduire le Mali vers un développement inclusif, y compris du Nord et aussi de trouver une solution définitive à la question touareg.