LES DESSOUS DE LA GUERRE SOMALIENNE

 Burundi news, le 22 avril 2007

Par Gratien Rukindikiza

En politique, la vérité est rarement connue. Les causes réelles d’une guerre sont rarement connues. Souvent, les historiens découvrent la vérité après plusieurs années, voire des décennies. Des zones d’ombre subsistent à la lecture des écrits sur certains conflits. Les Burundais se demandent par exemple pourquoi en 1972, l’ancien Président Micombero avait renvoyé le gouvernement quelques jours avant l’attaque d’avril 1972, pourquoi des soirées dansantes étaient organisées dans tout le pays la nuit de l’attaque et Micombero a évité de justesse la mort.

En Somalie, le conflit dure plus de deux décennies. Après la chute de Siad Barré, la Somalie est confrontée à une guerre interne sans précédent. Le gouvernement de transition a demandé aux Etats africains d’intervenir pour l’aider à rétablir l’ordre. Le Burundi a répondu à l’appel et compte envoyer 1 700 militaires alors que l’Ouganda a déjà 1 800 militaires à Mogadiscio. Le Burundi subit la pression de l’Ouganda pour qu’il envoie assez rapidement les troupes.

Ce conflit somalien est mal connu et les informations sont très superficielles. Nous allons tenter de l’expliquer autrement.

Les belligérants sont financés par les monarchies arabes et ont une aide matérielle, politique et morale  de l’Érythrée. Contrairement à ce qui est propagé, ces combattants ne sont pas tous des islamistes. Aujourd’hui, le conflit est devenu ethnique. Les Hawiye affrontent les Darod du Président du gouvernement de la transition. Ces miliciens du Président  sont aidés par des troupes surarmées de l’Éthiopie. Les islamistes sont presque tous du clan Haberbir appartenant aux Hawiye. Ils sont un noyau à la tête du mouvement mais se battent côte à côte avec d’autres combattants non islamistes du même clan.

L’Éthiopie et l’Érythrée peuvent s’affronter directement en Somalie

L’histoire entre l’Éthiopie et l’Érythrée est complexe. Deux anciens compagnons qui s’affrontent dans un duel mortel.

En 1947, l’Italie se retire des colonies africaines dont l’Érythrée. La Grande Bretagne veut la rattacher à l’Égypte et le Soudan. Les Américains veulent rattacher l’Érythrée à l’Éthiopie, la France préfère le maintien de la tutelle italienne et l’URSS opte pour l’indépendance de l’Érythrée. En décembre 1950, l’ONU confie l’Érythrée à l’Éthiopie avec une certaine autonomie de l’Érythrée.

En 1962, la guerre de libération de l’Érythrée commence et est dirigée par le Président actuelle Issaïas Afeworki. En 1975, dans les montagnes de Tigré en Éthiopie, les Tigréens prennent les armes contre le Président Mengistu. Ce mouvement est dirigé par le Premier ministre actuel Éthiopien Meles Zenawi. Sa mère est Érythréenne. En mai 1989, les Tigréens subissent une grande perte et se réfugient chez les Érythréens. Meles Zenawi et Afeworki mènent la guerre ensemble contre Mengistu jusqu’à la prise du pouvoir en 1991. L’Éthiopie accorde l’indépendance à l’Érythrée et Afeworki devient Président en 1994. En 1998, la guerre éclate entre les deux frères en raison du tracé de la frontière, des problèmes de contrôle monétaire de l’Érythrée et de l’accès à la mer. La guerre durera jusqu’en 2000. Un accord de paix est signé à Alger sous les auspices de l’OUA. La fin de la guerre n’a pas signifié la fin de la haine entre les deux régimes.

Aujourd’hui, ils rêvent d’en découdre, chacun voulant faire tomber l’autre. Le conflit somalien offre une belle occasion aux deux frères ennemis de s’affronter. L’Éthiopie est entrée en Somalie avec des dizaines de divisions, non pas pour sauver la Somalie mais pour servir les intérêts des Américains qui veulent chasser les Islamistes et aussi pour bloquer une certaine influence érythréenne en Somalie. Le contrôle de la Somalie par Somaliens interposés est une course contre la montre entre l’Érythrée et l’Éthiopie.

L’Érythrée a une superficie de 125 000 km2 alors que son voisin éthiopien a 1 127 127 km2. L’Érythrée a 3, 5 millions d’habitants contre 50 millions d’Éthiopiens. Ce déséquilibre démographique crée des appétits chez les uns et un réflexe d’autodéfense chez les autres.

Les deux pays risquent de s’affronter ouvertement en Somalie. Celui qui gagnera cette guerre sera en position de force car il aura un allié de taille en cas de conflit ouvert. L’Éthiopie gagnerait un accès à la mer alors que l’Érythrée pourra encercler l’Éthiopie. L’Érythrée, en cas de conflit, pourra affronter l’Éthiopie sur deux fronts.

La place des Burundais dans ce conflit somalien

La compréhension de ce conflit permet de réfléchir. Est-ce que le Burundi a des troupes capables de séparer les deux puissances de la sous région en cas d’affrontement direct en Somalie ? La réponse est non. Y aller pour faire comme les Ougandais qui se terrent en attendant la fin du mois pour être payés n’est pas à la gloire du pays. Par ailleurs, la mission de maintien de la paix ne se conçoit pas dans un pays en guerre. Je suis convaincu que les autorités militaires burundaises n’enverront jamais leurs troupes si elles risquent un fiasco. Par ailleurs, en cas d’accord entre les belligérants et le gouvernement transitoire, le Burundi pourrait y envoyer des troupes et cette action ne ferait que conférer une très bonne considération de l’Armée burundaise en Afrique.