SILENCE ON DETRUIT L'ARMEE BURUNDAISE

 Burundi news, le 02/04/2016

Par Gratien Rukindikiza

La haine d'un humain peut conduire à s'autodestruction. Un pays a toujours besoin de son système de sécurité solide. Depuis l'âge de la pierre taillée, l'homme a toujours cherché à protéger son territoire. Les moyens ont évolué. Les royaumes ont été constitués grâce aux armées soit des professionnels; soit des appelés. L'unité d'une armée a toujours fait sa force. Les grandes armées divisées ont succombé à la moindre attaque. Si Menelik II a résisté aux assauts des Italiens en Italie lors de la bataille d'Adoua en Ethiopie le 1 er mars 1986, c'est parce que son armée était très soudée et prête à se sacrifier pour défendre le royaume. L'Armée de Mobutu lors de sa chute a cédé face à la très jeune armée rwandaise en raison de ses divisions internes. L'Armée de Mwezi Gisabo a chassé l'esclavagiste Rumaliza du fait de sa cohésion.

Aujourd'hui, l'Armée burundaise, naguère connue pour son professionnalisme, nécessite une analyse pour comprendre sa situation actuelle. Est-elle victime du troisième mandat ou du système de Nkurunziza?

La fusion de deux forces, une réussite

Le Burundi était un cas d'école jusqu'à la fin du deuxième mandat au niveau de la fusion de deux corps armés. Les ex-FAB, ancienne armée et ex- FDD, ancienne rébellion ont fusionné au sein des forces de défenses nationales FDN. Les Burundais doivent cette fusion réussie au général Niyoyankana qui a conduit la mission avec une grande honnêteté et un professionnalisme hors du commun. Malgré plusieurs obstacles politiques, cette nouvelle armée a survécu au montage du faux putsch attribué à l'ancien Président Ndayizeye et son vice-Président Kadege.

Cette armée constituée à 50 % de hutu et 50 % de tutsi avait fait ses preuves en Somalie pour chasser El Shebab de la capitale.

La politisation de l'Armée, début de sa destruction

Elle avait résisté aux sirènes du CNDD-FDD, parti au pouvoir. Ce parti avait pu récupérer la police et les services de renseignement qui répondaient plus au parti au pouvoir qu'aux organes de commandement classique. C'est après le coup d'Etat manqué de Niyombare que les divisions au sein de l'armée se sont révélées. Cette tentative de putsch a été attribuée à tort aux ex- FAB et surtout aux tutsi qui étaient majoritairement dans les manifestations contre le troisième mandat. Bien avant, des groupes de certains officiers ex- FDD avaient été constitués au sein du corps de l'armée pour la répartition des missions futures. Ils ont été rassurés qu'en cas de fautes militaires, ils seront protégés. Des pelotons officieux des ex- FDD ont été constitués et ont commencé à faire des opérations. C'est ainsi qu'une attaque à Cibitoke en 2014 a été combattue par des militaires  ex- FDD accompagnés des miliciens Imbonerakure. A côté de ces pelotons, des commandements parallèles ont vu le jour sous la protection du chef d'Etat major de l'Armée Prime Niyongabo.

Le virus de la politisation a atteint l'Armée. Les militaires ex- FDD s'identifiaient au parti au pouvoir qu'à l'Armée. Toute armée qui se met au service d'un parti politique est vouée à sa disparition.

Après la tentative de coup d'Etat, une période sombre pour les ex- FAB

L'Armée avait fait un travail remarquable lors des manifestations. Elle était acclamée par la population. Aujourd'hui, elle est huée. Cependant, l'Armée huée est celle qui agit hors chaîne de commandement. Après la tentative, Nkurunziza a transféré des camps militaires réputés proches des manifestants ou des putschistes dans d'autres lieux. Le 1 er bataillon para est parti à Mujejuru, proche de Jenda et le 11 è bataillon blindé à Muzinda. Il a mis à la tête des camps réputés proches du pouvoir des hommes à lui, des officiers prêts à massacrer la population pour le compte de Nkurunziza. Le commandant du camp Muha et celui du camp Muzinda, bataillon génie de combat ont tué des centaines de Burundais parce qu'ils ne soutiennent pas le troisième mandat de Nkurunziza. Le commandant du camp Muzinda le lieutenant colonel Darius Ikurakure a été tué par un militaire isolé à l'Etat major de l'Armée le 22 mars 2016.

Depuis l'assassinat du général Adolphe Nshimirimana, les militaires ex- FAB étaient surveillés. Beaucoup ont perdu des postes de commandement ou leurs adjoints ont repris officieusement le commandement.

Le coup d'Etat a beaucoup fragilisé les ex- FAB et ils ont perdu la confiance en eux-mêmes. La maltraitance du général Cyrille Ndayirukiye, la crème de l'Armée burundaise, ex FAB, a plongé les ex- FAB dans la stupeur et ont compris que le pouvoir est prêt à tout pour se défendre.

Aujourd'hui, l'Armée burundaise est divisée. On trouve d'un côté les ex- FAB et d'un autre côté les ex- FDD. Même si on voit sur le papier des officiers ex- FDD et ex- FAB ensemble, ils reçoivent souvent des ordres venant de sources différentes, surtout pour les ex FDD. Sur le terrain, les militaires qui vont tuer sont des ex- FDD en laissant les ex- FAB dans les camps militaires. Une animosité se développe entre les deux groupes du fait que ces ex- FDD, hutu, vont tuer des tutsi, ayant des liens de parenté avec les militaires tutsi ex- FAB.

Nkurunziza aimerait remplacer les ex- FAB par des imbonerakure. C'est ainsi que les accords d'Arusha sont combattus car ce sont ces accords qui ont permis une telle fusion de l'Armée. Pour se maintenir au pouvoir coûte que coûte, Nkurunziza doit réduire à néant ces ex- FAB par des intimidations, des assassinats sélectionnés etc....

Une Armée divisée, une Armée affaiblie

 L'Armée burundaise est divisée. Les militaires qui maîtrisent l'art militaire sont surtout les ex- FAB car ils ont eu beaucoup de formations. Depuis l'intégration, il n'y a plus de formation militaire proprement dite comme avant. Les militaires qui maîtrisent les armes lourdes sont les ex- FAB. Si le Burundi était attaqué, le pouvoir aura du mal à recoller les morceaux pour mener à bien cette guerre. Compte tenu de la situation actuelle, certains militaires pourraient passer à l'ennemi. Un militaire ne peut combattre que quand il est moralement en phase avec celui qu'il défend ou la cause défendue. Un régime qui intimide celui qui veut qu'il le défende aura du mal à défendre sa stabilité.

Les bataillons d'élite de l'Armée burundaise étaient le bataillon commando de Gitega, le 1er bataillon para et le 11 è bataillon blindé. Ces bataillons sont dominés par les ex- FAB. La volonté du pouvoir est de les affaiblir; exactement ce que l'ennemi du Burundi aurait fait s'il avait la possibilité.

Une Armée malade de l'AMISOM

La Somalie est le remède miracle qui tue de l'Armée burundaise. Les Burundais disent que l'AMISOM tue plus que la police. Les militaires burundais, alléchés par l'argent de l'AMISOM, ne veulent pas se mettre à dos le pouvoir. Le silence est de rigueur car critiquer ou dire qu'il y a des choses à changer est synonyme de ne pas prendre l'avion pour la Somalie. Les officiers ex- FAB sont devenus doux comme des agneaux pour mériter l'AMISOM. Les militaires attendent leur tour comme les enfants de Karamoja en Ouganda attendant la nourriture du temps de la famine. Nkurunziza sait bien que tant qu'il y aura l'AMISOM pour les militaires burundais, il y aura le silence à l'Armée. La corruption qui sévit en Somalie au sein du contingent burundais est devenue aussi le cancer de la mission. Cette mission a mis à jour les divisions au sein de l'Armée. Des militaires ex-FAB ont refusé de manger de peur d'être empoisonnés  par les ex-FDD. Du jamais vu dans l'Armée burundaise.

Quel avenir de l'Armée burundaise?

Il sera facile de réconcilier la société burundaise mais la tâche sera difficile pour l'Armée. Le fossé qui s'est creusé est grand. Cette réconciliation ne pourra se réaliser qu'avec la démocratisation de la vie politique burundaise et une justice indépendante.

L'Armée burundaise a perdu de son professionnalisme. C'est ce professionnalisme qui la mettait à l'abri de l'influence des politiciens. Tant que le CNDD-FDD exercera une main mise sur les corps de sécurité, la désintégration de l'Armée sera une réalité.

L'avenir de l'Armée burundaise dépendra aussi de la confrontation ou pas au sein de l'Armée. Si les ex-FAB et ex-FDD en reviennent aux armes, le problème ethnique surgira et les militaires de l'AMISOM en Somalie seront contaminés. La ligne rouge sera franchie et il est difficile de savoir si une partie des ex-FAB ne rejoindra pas une rébellion naissante pour la renforcer.

L'avenir de l'Armée est lié au règlement politique de la crise burundaise. Si la crise perdure, il y a beaucoup de risques que l'Armée burundaise vole en éclat à travers des affrontements  meurtriers.