ALLOCUTION  A  L'OCCASION  DE  L'INAUGURATION  DES  NEGOCIATIONS DE  PAIX  AVEC  LE  GOUVERNEMENT  DU  BURUNDI.

Excellences Messieurs les Chefs d'Etat,

Excellences Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Excellence Monsieur le Médiateur,

Mesdames et Messieurs les membres des Commissions Techniques;

Mesdames et Messieurs.

Encore une fois nous voici rassemblés à Dar es Salaam pour rechercher la paix tant désirée par le peuple burundais depuis plusieurs décennies. Certes pour parvenir à cette paix qui n'est restée jusqu'ici qu'un joli slogan, il nous faut relever trois grands défis que sont l'ethnisme et tous ses corollaires, le terrorisme d'Etat entretenu par tous les gouvernements de Bujumbura et enfin la fausse interprétation de la démocratie!

Bien entendu, sous l'angle d'une vision simpliste, certains diront que cette rencontre n'est que de trop puisque dit-on, tout a été réglé à Arusha, que le gouvernement en place a été élu par le peuple, qu'il y a une nouvelle armée et que sais-je encore; autrement dit, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes!!! Pourtant, la précarité de la situation socio-politique et économique du Burundi témoigne à suffisance que l'on n'a pas encore avancé sur la voie de la paix.

En effet, aujourd'hui comme hier, la torture, les malversations, la corruption, les exécutions sommaires et bien d'autres tares battent leurs pleins comme il y a de cela plusieurs décennies et siècles!

Cette situation désastreuse interpelle notre conscience en tant qu'êtres humains et nous soumet cette question: faut-il continuer à fermer les yeux et boucher les oreilles devant cette tragédie burundaise qui n'a que trop duré?

Pour le PALIPEHUTU-FNL, la réponse est que non, d'où nous demandons à la médiation et ses collaborateurs, ainsi qu'à la communauté internationale; de comprendre que le présent rendez-vous ne doit pas être gâché, mais plutôt qu'il faut en profiter pour sauver ce qui reste à sauver! La paix que nous sommes venus chercher aujourd'hui est avant tout celle des Barundi de toutes les ethnies, de toutes les classes, de tous les âges et de tous les sexes, et non celle des seuls dignitaires comme lors des processus antérieurs. Cela étant, il ne serait pas superflu de faire un flashback du problème qui motive la présente réunion.

D'aucun sait que les Barundi appartiennent à trois ethnies distinctes: les Bahutu, les Batutsi et les Batwa. Contrairement aux autres pays pluri-ethniques, tous les gouvernements burundais ont fait et font de l'ethnisme leur cheval de bataille et fallacieusement clament le slogan de l'unité nationale pour duper l'opinion tant nationale qu'internationale!

Sans trop verser dans l'histoire de notre pays, permettez-moi, excellences mesdames et messieurs, de brosser brièvement l'évolution des institutions au Burundi, pour vous éclairer sur la genèse du conflit burundais car il est difficile de résoudre un problème quand on en ignore les données.

L'Etat burundais est de par l'histoire vieux de plusieurs siècles puisque avant que n'advienne la colonisation du continent africain, le Burundi vivait sous la houlette d'une monarchie sacrée et héréditaire faite de quatre dynasties: les Batare, les Bataga, les Bezi et les Bambutsa. Sous ce régime-là, le roi été maître de la terre et des hommes sur qui il avait le droit de vie et de mort. Le roi était d'origine tutsi et confiait la gestion des différentes régions à ses proches parents d'abord et aux autres Batutsi ensuite, ces gouverneurs de régions étaient appelés" Abaganwa", ce qui se traduit littéralement: celui vers qui on se dirige, ou celui à qui on recourt pour les affaires vitales ou les cas sensibles. Et pour monopoliser ce pouvoir-là, une théorie que personne n'osait interroger fut répandue et crue tout bonnement que le futur monarque naissait, les semences à la main! De la sorte, ils avaient réussi à s'accaparer du pouvoir et de tout le patrimoine. Comme conséquence à cela, la société burundaise fut stratifiée sur base ethnique: les Batutsi se mirent au dessus des autres ethnies et s'accaparèrent de tous les pouvoirs, les Bahutu furent réduits à l'état de serfs vis-à-vis des seigneurs Batutsi, tandis que les Batwa se virent méprisés comme des parias et l'on ne recourait à eux que pour l'exécution de sales besognes.

Vers la fin du 19ème siècle, la monarchie burundaise faisait face à deux rébellions localisées l'une au nord et l'autre aux environs de Muramvya, la capitale d'alors. C'est dans ce contexte troublé que sont arrivés les colons allemands qui d'abord collaborèrent avec l'une des rébellions pour soumettre le roi Mwezi IV Gisabo qui, au bout du compte dût négocier avec les Allemands et reconnaître leur autorité coloniale sur le royaume du Burundi qui devint alors protectorat allemand. Cette colonisation allemande dura jusqu'en 1917 quand les troupes belges venus du Congo belge(actuelle République Démocratique du Congo) chassèrent les troupes allemandes.

La colonisation belge alla jusqu'à l'avènement de l'indépendance du Burundi le 01 juillet 1962 et fut marquée notamment par la réforme administrative qui étendit l'autorité des Batutsi au détriment des Bahutu qui se virent chassé de l'exercice de fonctions administratives. Mais cette exclusion-là s'était déjà manifestée au grand jour lors de l'avènement de Mwambutsa IV Bangiricenge au trône à huit ans: il fut établi une régence exercée par la reine-mère Ririkumutima pour le compte du clan royal, le prince Nduwumwe pour le compte des Batutsi et le prince Baranyanka pour le compte des Bahutu et des Batwa. Une autre grande manifestation de cette exclusion des Bahutu et Batwa consiste en le fait que lorsque la colonisation ouvrit les écoles aux autochtones, les Bahutu et les Batwa n'y eurent pas accès comme leurs concitoyens Batutsi, ce qui réduisait ipso facto leurs chances et leurs droits d'accéder à la gestion du patrimoine nationale.

L'indépendance du Burundi est advenue au moment où la société burundaise était très assoiffée  de véritables changements, mais cela pour des raisons différentes selon les tendances politiques et les origines ethniques. Lors de la lutte pour l'indépendance en effet, on a pu observer d'abord trois tendances: le clan royal des Bezi qui était au pouvoir rangé derrière le prince Louis Rwagasore voulait une indépendance immédiate, alors que celui des Batare voulait une indépendance retardée afin de pouvoir se préparer mieux pour supplanter leurs rivaux Bezi au départ des colonisateurs; quant à une certaine élite Hutu, du fait du très faible effectif d'intellectuels Bahutu, il fallait une indépendance retardée, en espérant que dans l'entre-temps leurs congénères auraient acquis une éducation scolaire qui leur permettrait de participer à la gestion du pays une fois ce dernier devenu indépendant!

Par après les partis politiques se coalisèrent en deux blocs à savoir le Front Commun qui regroupait ceux qui voulait une indépendance retardée et le bloc de l'Uprona qui voulait une indépendance immédiate. Ce deuxième bloc fut rallié par les masses Bahutu qui en avaient marre de l'oppression et de la chicote et croyaient que leur sort allait être amélioré par l'Uprona du prince Rwagasore. C'est ainsi que ce parti gagna les législatives du 18 septembre 1961.

Mais la gestion de la victoire de l'Uprona et de l'indépendance burundaise sera désastreuse puisque, loin d'améliorer la situation des opprimés, désormais le massacre et le génocide des masses populaires va devenir un mode de gouvernance, l'impunité et l'apartheid rampant le luxe des dignitaires de tous les régimes du Burundi post-colonial.

Excellences Messieurs les Chefs d'Etat,

Excellences Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Excellence Monsieur le Médiateur,

Mesdames et Messieurs les membres des Commissions Techniques;

Mesdames et Messieurs.

Depuis l'avènement de l'indépendance, on aura vu se développer au Burundi l'institutionnalisation du crime, ainsi qu'une haine ethnique qui a pris de plus en plus de dimensions inquiétantes. C'est dans ce contexte que des génocides cycliques ont emporté tantôt des dizaines de milliers de personnes(dans les années soixante), tantôt des centaines de milliers de Barundi (depuis les années soixante-dix) et parallèlement provoqué des flux massifs de réfugiés vers les pays limitrophes et même vers d'autres continents.

Face à toutes ces tragédies malheureusement, la communauté africaine et celle internationale ont fermé les yeux, la bouche et les oreilles; ce qui a encouragé et encourage toujours les régimes sanguinaires de Bujumbura et parraine l'impunité du crime.

On devrait se rendre à l'évidence que quand le Créateur nous demandera à tout un chacun de rendre nos comptes, ce ne sont pas les règlements et les principes de l'une ou l'autre organisation régionale, continentale ou mondiale; encore moins les différents accords et pactes taillés sur mesure entre les humains, que nous brandirons!

Le sang versé au Burundi au nom de l'ethnisme est plus que trop volumineux. Si l'on peut rester insensible à cette situation et que l'on encourage même le régime burundais et ses amis à aller massacrer les réfugiés dans leur exil, qu'on ne s'étonne pas demain si ceux-là qui travaillent à l'extermination des Bahutu tournent leur épée vers d'autres peuples comme cela a déjà été le cas avec la République Démocratique du Congo où les armées burundaise, rwandaise et ougandaise, comme si de rien n'était, ont exterminé en six ans quelques 5.200.000 personnes dont 1.700.000 réfugiés Bahutu! Mais nous ne pouvons souhaiter ce triste sort à personne, et c'est pourquoi nous demandons plutôt à vous tous de penser à aider à ce que cette situation change positivement pour que le Burundi lui aussi soit classé désormais parmi les pays stables et susceptibles de prospérer!

Le présent rendez-vous de la paix doit se distinguer de ceux qui l'ont précédé et doit aboutir à l'instauration d'une paix réellement durable, et susciter l'espoir des lendemains meilleurs pour le peuple burundais d'abord, ensuite pour notre région et notre continent, et enfin pour toute la communauté internationale car, pour pouvoir répondre au grand rendez-vous planétaire de la mondialisation, il faut avant tout être stable et productif.

La communauté burundaise attend beaucoup des pourparlers qui débutent aujourd'hui car la situation qu'elle vit n'a rien à envier; elle veut voir des changements profonds sur tous les plans, des changements qui puissent garantir un avenir rassurant pour les futures générations. Pour ce faire, nous nous devons d'être lucides et attaquer les problèmes qui se posent devant nous dans leur profondeur et non pas se contenter de ne marcher que sur les sentiers battus! Ainsi voudrais-je donc- à l'attention des intéressés- rappeler que le médiateur doit connaître à fond le conflit et la genèse du conflit des protagonistes qu'il a en face de lui, qu'il doit être impartial et enfin être aimable et patient envers toutes les parties! La raison à cela et que pendant que nous étions ici à Dar es Salaam à attendre que le gouvernement burundais vienne à la table des négociations, une certaine Tripartite Plus Un(dont fait partie une des composantes de l'équipe technique qui épaule le médiateur) a tenu le mois dernier ses assises à Bujumbura et a arrêté des mesures qui s'inscrivent en faux contre les présents pourparlers de paix. Que cette question soit considérée à sa juste valeur pour qu'elle n'entrave pas le cursus des présents pourparlers! Aussi, si vous me le permettez, je demanderais que la contribution d'historiens et autres chercheurs spécialistes du Burundi(comme l'on dit) soit accueillie à bras ouvert pour aider la médiation à mieux s'acquitter de sa tâche.

Excellences Messieurs les Chefs d'Etat,

Excellences Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Excellence Monsieur le Médiateur,

Mesdames et Messieurs les membres des Commissions Techniques;

Mesdames et Messieurs.

L'actualité politique en vogue, du moins en ce qui est du Burundi, est qu'il y a un pouvoir élu, que la paix règne sur plus de 99% du territoire national; et bien d'autres arguments de nature à faire l'éloge du pouvoir en place quand bien même la réalité des faits contrarie ces affirmations-là!

En effet, comment affirmer que la paix et la sécurité règnent sur presque toute l'étendue de la République, au moment où des citoyens burundais continuent d'affluer au delà des frontières nationales pour demander asile? C'est quel pays qui recouvre la paix et dont les réfugiés ne rentrent pas? Quel gouvernement se dit-il laïc et oblige les citoyens à ne se convertir qu'à la religion du dirigeant? Quel est ce genre de bonne gouvernance et de démocratie qui muselle l'opinion des citoyens, traque et terrorise les media, entretient un génocide contre ses citoyens, banalise et régularise la corruption, oblige les citoyens à n'adhérer qu'au parti au pouvoir, torture et exécute sommairement, déporte les citoyens …pour ne citer que cela?

Les Saintes Ecritures nous interpellent quand elles nous lancent ce message que nous rencontrons dans l'Evangile de Saint Jean 8:32"vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira". Cherchons donc à connaître cette vérité-là avant toute autre chose pour le cas qui nous réunit aujourd'hui, afin que la vérité nous aide à tirer le Burundi du gouffre dans lequel il ne cesse de sombrer. Il n'est donc plus question de jouer les faux médecins qui croiraient soigner une plaie en lui superposant des bandes sans l'avoir nettoyée au préalable.

Bien de négociations inter-burundaises ont eu lieu, et le Burundi détient le record en nombre pour ce qui est des accords dans notre région si ce n'est pas sur le continent africain. Mais non seulement ces accords-là sont, pour le moins que l'on puisse dire, biaisés; mais aussi et surtout l'anachronisme dans leur application démontre suffisamment la mauvaise volonté qui en prélude la conclusion et la signature.

Ceci nous pousse à proposer à la médiation la voie de la transformation du conflit au lieu de la formule des négociations de ni gagnant, ni perdant.

Transformons donc les énergies négatives, rendons-les positives en cherchant ensemble à préparer un avenir rassurant pour les jeunes générations et les générations à venir, associons à la recherche de la paix toutes les couches de la population du Burundi et toutes les ethnies puisque le Burundi est pour tous ses citoyens et non pas l'apanage des seuls dignitaires qui jouissent des prérogatives en vertu des différents accords qui ont discriminé la majorité des Barundi. Ceci est réalisable à travers Le Contrat Social  qui doit lier tous les Barundi à leurs obligations en tant que citoyens à part entière et reconnaître et garantir les mêmes droits à tous les fils et filles du Burundi. Et le premier pas vers ce contrat social consiste à reconnaître notre propre situation: nous, les Barundi, nous nous sommes entretués à cause de l'ethnisme que les différents gouvernements- y compris celui qui est actuellement en fonction- ont entretenu et développé; ce n'est pas la fameuse commission vérité-réconciliation anachronique par rapport aux accords d'Arusha du 28/08/2000 qui sortira le Burundi de ce conflit, tout autant que la commission de l'unité nationale de l'après-Ntega/Marangara n'a pas su unir les Barundi étant donné qu'il fallait protéger les dignitaires du régime. Plutôt, faisons nôtre cette sagesse de Saint Jacques 5:16a:"Confessez donc vos péchés les uns aux autres, et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris".

Je vous remercie.

Pour le PALIPEHUTU-FNL,

 

R  W  A  S  A    Agathon, Président.