Burundi news, le 23/10/2010

Nous publions ce discours car il évoque les réalités de de la corruption. Il vaut le mérite de la clarté. A suivre les pratiques.

 

DISCOURS DU 1 ER VICE PRESIDENT DEVANT LE CORPS DE LA JUSTICE

 Madame, Messieurs les Ministres ;
 Madame la Présidente de la Cour constitutionnelle ;
 Monsieur le Procureur Général de la République ;
 Monsieur le Président de la Cour Anti corruption ;
 Monsieur le Procureur Général près la Cour Anti Corruption ;
 Monsieur l’Inspecteur Général de l’Etat ;
 Monsieur le Commissaire Général de la Brigade Spéciale Anti corruption ;
 Monsieur l’Inspecteur Général de la Justice ;
 Monsieur le Directeur Général de la Police Nationale du Burundi.
 Mesdames, Messieurs les Chefs de services ;
 Mesdames, Messieurs les représentants de la société civile

1. C’est pour moi, un honneur de rencontrer tous les intervenants en matière judiciaire pour pouvoir échanger sur certaines questions liées aux difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de votre métier.

2. Cette rencontre s’inscrit principalement dans le cadre de la mise en application concrète du discours programme prononcé par Son Excellence Monsieur le Président de la République lors de son investiture en ce qui concerne la lutte contre la corruption, les malversations économiques et financières ; un programme qui donne une orientation politique de « tolérance zéro » en matière d’application de la loi contre ceux qui ne la respectent pas. Vous le savez autant que moi, le phénomène de corruption et de malversations économiques et financières gangrène de plus en plus notre pays. De plus et malheureusement, la lutte contre ce fléau n’est pas satisfaisante, en dépit de la volonté politique du Gouvernement qui a été traduite par la mise en place d’un certain nombre d’organes destinés à combattre ce virus

Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Hauts Cadres de l’Etat, Mesdames, Messieurs,

3. La corruption, les malversations et les détournements des deniers publics se manifestent dans des aspects multiples et variés comme :

 Le retard et l’absence au service ;
 L’irrégularité au service ;
 Le mauvais accueil des justiciables ;
 La lenteur dans le traitement des dossiers ;
 La corruption passive ;
 La corruption active ;
 Le trafic d’influence ;
 Le favoritisme etc. pour ne citer que ceux là. Ce sont là autant de travers, de tares et de défaillances qu’on rencontre malheureusement chez certains agents de l’Etat. C’est pour cela que je vous invite chacun en ce qui le concerne à lutter contre tous ces fléaux en commençant par les chefs de service qui doivent prêcher par exemple.

4. En effet, la société burundaise est menacée par tous ces maux et si les cadres et agents de l’Etat ne prennent pas conscience à temps, demain sera trop tard « tuzokwibuka ingegene imisure yagurutse ». La bonne gouvernance et le respect des droits de la personne humaine sont des domaines où l’on doit fournir beaucoup d’efforts en vue d’asseoir l’état de droit.

Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Hauts Cadres, Mesdames, Messieurs.

5. Eu égard à ce qui précède, chaque service public, chaque citoyen, a un grand rôle à jouer. Votre rôle en tant que magistrats ou corps de police est prépondérant. Vous le savez, vous êtes en contact permanent avec les gouvernants et les gouvernés. Vous êtes parmi les principaux garants de la sécurité sur l’ensemble du territoire. Cela étant, la justice est le socle sur lequel reposent la démocratie, la bonne gouvernance, la paix et la stabilité politique.

6. Aujourd’hui, si nous ne faisons pas diligence, les actes immoraux que l’on observe ici et là vont à un haut degré à telle enseigne qu’ils peuvent nous conduire à un dérèglement social. Des actes de corruption, de malversations, de détournements de fonds de l’Etat, de viol et de violences sexuelles, de violations des droits humains les plus élémentaires sont entendus ici et là. Certains disent que c’est la conséquence de la crise qu’a traversée le pays. Oui, en partie. Mais au niveau du Gouvernement nous disons que c’est aussi la conséquence de l’impunité. D’où, vous faites partie des corps critiqués pour la manière dont la profession est exercée.

Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Hauts Cadres, Mesdames, Messieurs.

7. Malgré la volonté du Gouvernement de donner à l’institution judiciaire des moyens et une légitimité sociale par le biais des réformes en cours, l’opinion émet encore des critiques relatives à l’absence d’indépendance de votre Institution et au niveau élevé de corruption qui caractérise votre corps. Aucune indépendance de la magistrature n’est possible sans code d’éthique et de déontologie des magistrats mis en pratique quotidiennement avec un système de surveillance de son respect. En l’absence de l’application d’un tel code, les justiciables pointent du doigt l’institution de la justice, l’accusant d’être corrompue et influencée par des forces politiques ou financières. Des voix se sont lever pour justifier des violations des droits de l’homme, des injustices, des actes de règlement de compte et de justice populaire. Cette situation est inadmissible.

8. Pour lutter contre ce phénomène, il y a des corps- clés qui doivent travailler avec abnégation, notamment le vôtre. Je suis venu ici en effet vous réitérer si besoin en est, l’engagement du Gouvernement à lutter contre la corruption et les malversations économiques et financières. Ma présence parmi vous, c’est aussi pour vous interpeller à vous inscrire dans la logique de ce combat que le Gouvernement engage, en commençant par vous- mêmes.

Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Hauts Cadres, Mesdames, Messieurs.

9. Si ma première réunion avec les cadres des différents Ministères sous ma coordination est faite avec le secteur de la justice, c’est parce que les Cours et Tribunaux, les Corps de police, doivent être notre fer de lance dans l’application de la politique gouvernementale de lutte contre la corruption et de moralisation de la société burundaise. En effet, c’est vous qui instruisez les dossiers, c’est vous qui jugez les affaires judiciaires et c’est encore vous qui exécutez les jugements. Vous devez donc prêcher par l’exemple dans tous vos faits et gestes et dans vos actes de tous les jours.

10. Si nous voulons bâtir un corps judiciaire propre, imbu du sens élevé de l’Etat et du respect de la chose publique, il faut que nous redorions l’image de ce corps, en procédant notamment à un recrutement transparent, basé sur la compétence, la neutralité et le professionnalisme. En effet, d’aucuns disent, que le recrutement d’un magistrat, jeune lauréat de l’Enseignement Supérieur, est conditionné par le versement d’un montant exorbitant d’argent ! Que voulez- vous qu’on attende d’un jeune magistrat qui sait que ses parents ou ses proches se sont endettés pour « acheter » son recrutement au Ministère de la Justice ? Sa première préoccupation sera d’exiger des pots de vins pour rembourser la dette ou le crédit qui lui a permis d’occuper son poste. Mais chemin faisant, la corruption deviendra inséparable de ses pratiques, puisque l’environnement dans lequel il évolue est largement gangréné par ce fléau. Cela doit cesser ici et maintenant.

Mesdames et Messieurs les Magistrats,

11. Sans verser dans la rumeur, le commun des mortels connaît, de façon non exhaustive certes, un certain nombre de crimes et délits dont certains d’entre vous se rendent coupables régulièrement. En Effet, dans le chef de certains magistrats, il est de notoriété publique que :

 Pour gagner un procès, certains justiciables doivent souvent acheter la conscience de certains juges, le prix étant fonction de l’enjeu de l’affaire et du niveau de la juridiction concernée.
 Pour procéder à l’exécution d’un jugement, les magistrats demandent souvent de l’argent, sous prétexte qu’il s’agit de frais de déplacement (par manque de véhicule de service ou de carburant).
 Dans les tribunaux de résidence, certains magistrats exigent aux justiciables des cruches de bière, actuellement des bidons de bière, ou même des enveloppes d’argent pour accepter de juger une affaire ou d’exécuter un jugement rendu,
 La libération des détenus présumés coupables se fait souvent contre paiement illicite d’un certain montant d’argent,
 Lorsqu’un crime est commis, il arrive souvent que des innocents soient délibérément incarcérés, alors que les véritables commanditaires et exécutants se la coulent douce à Bujumbura ou ailleurs dans le pays,
 Dans un passé récent, certains hauts responsables du Ministère de la Justice ont instauré presqu’officiellement des montants d’argent exigibles systématiquement pour qu’un magistrat puisse bénéficier d’une mutation d’un ressort judiciaire à un autre ou d’une juridiction à une autre.

Mesdames et Messieurs les Cadres de la Police Nationale du BURUNDI,

12. Certains éléments de Votre corps, auquel les citoyens sont censés recourir en toutes circonstances, n’ont pas été en reste dans ce fichier des malversations économiques et de la corruption. En effet :
 Il n’est un secret pour personne que face aux infractions routières, un certain montant d’argent, 2000 FB hier, un peu plus aujourd’hui, suffit pour laisser passer gentiment les délinquants ;
 Moyennant une certaine somme d’argent, les permis de conduire sont délivrés à des gens n’ayant jamais appris le Code de la Route ou n’ayant jamais été au volant d’un véhicule automobile ;
 La délivrance des documents de voyage ou des permis de séjour se fait souvent contre paiement d’un certain montant d’argent aux commis de l’Etat ;
 Depuis quelques années, chaque fois qu’un crime est commis, les responsables de la Police déclarent haut et fort que les enquêtes sont ouvertes, mais on s’en arrête là et ces enquêtes n’aboutissent jamais ou alors personne n’ose en communiquer les maigres résultats !

13. Mesdames et Messieurs les Inspecteurs de l’Etat, Mesdames et Messieurs les Cadres et Agents De la Brigade Spéciale anti- corruption,

 Que dire des dossiers de corruption et de malversations économiques souvent révélés mais non instruits ou instruits mais non transmis à la Cour anti- corruption ?
 Que dire des inspections faites mais dont les rapports sont rédigés avec complaisance pour éviter de révéler la réalité découverte ? Et même quand les rapports sont rédigés, ils sont souvent gardés dans les tiroirs de l’Inspection Générale de l’Etat ou des tribunaux, laissant leurs rédacteurs à la merci des menaces de la part des coupables débusqués !

Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Hauts Cadres, Mesdames, Messieurs.

14. La corruption et les malversations sous toutes leurs formes ont explosé avec la crise. Les prédateurs de l’économie et de la population burundaise ont profité du mauvais temps ; ils ont banalisé le phénomène, ils l’ont normalisé et l’ont sublimé même. Vous avez entendu dire par des gens cyniques : « Ngo birasanzwe, ngo ni ukwiyungunganya, canke ngo impene irisha aho iziritswe ! ». Plus choquant encore est que, même les victimes semblent s’y résigner comme si c’était une fatalité.

15. Aujourd’hui, le Gouvernement ne peut pas tolérer cette banalisation de ce phénomène synonyme de cynisme et cette résignation démissionnaire.

Toutefois, cet engagement du Gouvernement serait vain si vous, les magistrats, en collaboration avec d’autres bien sûr, en particulier les membres des différents corps de police et les Inspecteurs de l’Etat, n’étiez pas engagés à nous emboîter le pas. Votre détermination, Mesdames et Messieurs les magistrats, va se manifester par l’application de la loi, le respect des procédures ainsi que le respect du principe de « dire le droit et rien que le droit, l’accueil et l’écoute des justiciables ».

16. Pourquoi donc faut-il un engagement fort ? D’abord, il est impérieux de sauver la dignité et la crédibilité du service public. Les phénomènes de corruption et de malversations économiques et financières minent presque tous les secteurs publics. Remarquez donc avec moi que le simple citoyen n’a plus de recours. En laissant le phénomène se prolonger, il va se métastaser et le citoyen n’aura plus jamais confiance dans les services de l’Etat. Pensez- y, pensons- y et faisons notre choix !

17. Ensuite, cette lutte relève d’un devoir d’éthique et de morale duquel le Gouvernement ne saurait se dérober. Le citoyen burundais est exproprié quotidiennement chaque fois que se manifeste un coup de corruption ou de malversation. Vous êtes par conséquent interpelés à rendre justice en réprimant sévèrement cette spoliation sans nom. Il s’agit de répondre positivement à l’appel mais aussi à la demande de la population.

18. Troisièmement et dernièrement, la mise en pratique de cet engagement est un pré requis pour la reprise du développement économique et social. Tout pays qui tombe dans le corset de la corruption chemine vers l’instabilité, ruine sa réputation et repousse les investisseurs.

Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Hauts Cadres, Mesdames, Messieurs.

19. Ensemble les choses peuvent changer. Nous pouvons gagner le combat. Il faut punir les corrompus, les corrupteurs et ceux qui se rendent coupables de malversations. Il faut des stratégies de prévention et de lutte contre ce fléau. Chacun devrait refuser de bloquer l’avenir du pays et des générations futures en permettant que certaines gens sans morale, sans foi ni loi imposent l’injuste loi de la jungle aux citoyens et au pays. C’est ce combat que je vous invite à intérioriser et je vous exhorte à élaborer des stratégies internes à votre corps et à les mettre en pratique. Mais entendons- nous dès le départ : celui qui veut réussir ce combat, le commence et le dirige sur soi avant tout et sur les autres ensuite.

Pour notre part, au niveau du Gouvernement, nous ne ménagerons aucun effort pour créer des conditions propices à la lutte contre la corruption : les textes de loi réprimant la corruption seront le cas échéant revisités et améliorés pour les rendre plus à même d’éradiquer ce fléau ; les institutions anti- corruption seront le cas échéant réformées, équipées et mieux étoffées en ressources humaines ; les fonctionnaires réputés meilleurs gestionnaires seront primés et promus tandis que les fonctionnaires corrompus seront relevés de leurs fonctions sans préjudice des poursuites pénales. A cet effet, l’évaluation sera organisée sur une base régulière et sans désemparer.

20. Du côté de votre secteur, le Gouvernement renouvelle sa perspective. Les priorités sont le renforcement de l’indépendance de la magistrature en vue de retrouver la confiance des justiciables. Il va s’efforcer ensuite de moderniser l’administration pénitentiaire dans le souci de faire respecter les droits des détenus. Nous espérons que dans le cadre du renforcement des capacités, les partenaires techniques et financiers vont accroître leur aide à travers des projets d’équipement en matériel, de rénovation et de construction de nouveaux sièges des cours et tribunaux.

La Police Nationale sera modernisée, équipée et renforcée en termes de capacité. Les services chargés de la Bonne Gouvernance et de l’inspection seront outillés et responsabilisés pour mieux jouer leur rôle.

En tant qu’acteurs- clés dans la mise en œuvre de la politique de « Tolérance Zéro » dans la lutte contre la corruption et les malversations économiques, vous n’avez d’autre choix que de saisir la balle au bond et de nous emboîter le pas. Le combat est noble et les résultats vous honoreront.

A bon entendeur, salut !

Je vous remercie.