LA VERITE SUR LE DOSSIER DU DON JAPONAIS EN PETROLE AU BURUNDI
Burundi news, le 20/02/2011
Par Gratien Rukindikiza
Il est rare que des Etats accordent aux pays africains des dons en nature pour convertir en monnaie. Le Japon a cette habitude à l'égard de plusieurs pays africains. Cela est aussi fréquent avec les Américains. Il s'agit tout simplement pour certains une façon d'écouler des surplus comme le blé américain afin de ne pas faire baisser les prix chez eux avec une surproduction sur le marché intérieur. C'est aussi le cas du don japonais en riz de 30 000 tonnes qui ne trouve pas d'acheteur et qui va moisir dans un hangar à Bujumbura. Personne n'en parle.
Olucome tempête sur une histoire de corruption autour de ce don
Il y a dans ces jours des pratiques de l'Olucome surtout de son représentant Gabriel Rufyiri. Ses sorties médiatiques font du show. Dans certains dossiers, le fond manque. La condamnation tombe avant les explications. L'opinion publique peut facilement tomber sous le charme médiatique. Pourquoi ce cinéma pour certains dossiers? Qu'est-ce qui est derrière? Nous y reviendrons.
Olucome a parlé d'un dossier de don japonais, un carburant détourné, vendu avec un manque à gagner de l'Etat de 2 milliards de francs bu. Certains médias sont tombés dans le piège. L'affaire était assez grotesque pour un don contrôlé. Burundi News a enquêté pour savoir la vérité. Olucome a caché la genèse de ce carburant. A-t-il été livré par le Japon? Qui a lancé les appels d'offre? Ce sont des informations indispensables pour connaître ce dossier et aussi pour savoir pourquoi Olucome a évité la communication sur le début de ce don.
Tout commence par un appel d'offre internationale lancé à partir de Londres
La formule n'est pas la première pour le Burundi. Le Japon a déjà donné plusieurs fois du carburant au Rwanda. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le Japon ne donne pas d'argent mais demande à ce que le pays qui reçoit le don en nature vende le carburant et utilise l'argent pour des projets de développement.
Le Japon a mandaté une société basée à Londres pour lancer un appel d'offre internationale pour livrer 7 millions de litres de pétrole au Burundi en juin 2010. Engen, Interpetrole, une société japonaise et d'autres ont postulé. Les prix de soumission étaient des prix fixés selon les références internationales "Platt prices" pour les connaisseurs. Jusque là, aucun officiel burundais ne pouvait intervenir car c'est une affaire purement japonaise. Interpetrole a gagné le marché de l'essence et une autre société Abdax a gagné le marché du gasoil. Le carburant a été réceptionné à Bujumbura en tant que don du Japon. Le gouvernement burundais devait faire la suite.
Le pétrole devait être livré à Bujumbura dans les entrepôts du SEP gérés par Engen; société concurrente d'Interpetrole. Engen a bloqué l'accès refusant l'entreposage de ce carburant dans ces lieux prévus par le gouvernement. Devant l'urgence, le gouvernement a demandé à Interpetrole d'accepter de stocker provisoirement ce carburant dans ses entrepôts de Gitega. Interpetrole a accepté et ce carburant a été stocké en attendant la vente. A ce niveau, rien n'est soulevé par les concurrents ou Olucome.
Le Burundi doit vendre le carburant mais ne trouve pas preneur
Au mois de juillet 2010, le gouvernement constate au cours d' une réunion avec les pétroliers que personne ne veut soumissionner pour acheter ce pétrole dont le prix de base est celui du 1er juin 2010. Ce prix n'était pas attractif. La situation était compliquée. le Japon exigeait la vente de ce carburant mais aucun acheteur ne se présentait. La société Kobil a finalement accepté en août d'acheter 230 000 litres de gasoil. Le gouvernement burundais a fait un rappel aux pétroliers pour écouler son pétrole. Interpetrole a accepté d'acheter mais en négociant un rabais de 10 frs par litre; soit environs 0.60 %. Ce rabais a été accepté et Interpetrole a acheté ce pétrole déjà dans ses entrepôts. Tant que le pétrole n'était pas vendu, Interpetrole ne pouvait pas faire tourner ses stocks et cette société ne pouvait pas mettre dehors le carburant de l'Etat pour acheter le sien. Est-ce que la libération de son entrepôt a pesé pour se décider d'acheter ce pétrole que les autres pétroliers ne voulaient pas? Burundi News ne dispose pas de réponse.
Le lecteur se demande pourquoi les pétroliers ne voulaient pas acheter ce pétrole. Les cours mondiaux du pétrole font du yoyo. Au moment de la vente de ce carburant, les cours avaient chuté et ce carburant était moins intéressant que celui des terminaux de pétrole à Mombassa.
Au moment où Interpetrole a acheté ce carburant, les pétroliers étaient au courant et Olucome aussi. Olucome n'a rien dit car il manquait de la matière.
Les cours mondiaux montent et les pétroliers se réveillent
Vers fin du mois d'août 2010, les cours mondiaux du pétrole flambent. Les pétroliers constatent que Interpetrole qui a acquis ce pétrole a fait une bonne affaire. Ces pétroliers notamment Engen qui avait refusé de soumissionner adressent un courrier au ministre pour demander l'annulation du contrat entre l'Etat et Interpetrole. Ces pétroliers invoquent ce rabais, parlent aussi du marché de gré à gré alors que c'est l'Etat qui voulait vendre à tout prix ce carburant. Celui qui achète peut imposer ses prix s'il est sur un marché concurrentiel. Celui qui vend ne peut imposer ses prix s'il y a plusieurs acheteurs. En face d'un seul acheteur, le gouvernement burundais n'a consenti qu'un rabais de 0.50 %. Devait-il garder le stock sans savoir si les prix mondiaux allaient monter ou descendre encore? Fallait-il payer l'entreposage plus cher que le rabais?
Le pétrole japonais ne devait pas constituer un stock stratégique. Le Burundi devait le vendre pour avoir des fonds destinés au financement des projets.
Olucome est entré dans la danse sans maîtriser le dossier ou sur commande. Gabriel Rufyiri a parlé de 2 milliards de manque à gagner de l'Etat sur une vente de 7 milliards de francs bu. Or, les marges des grossistes pétroliers tournent autour de 4 et 5 %, marges imposées par le gouvernement. Ce n'est pas le rabais de 0.5 % qui transforme la marge de 5 % en manque à gagner de 28.50 %. Si l'Etat avait vendu à la pompe son carburant, hypothèse impossible car il n'a ni les compétences, ni le droit, en s'appliquant les mêmes règles, il aurait gagné 0.50 % de rabais consenti, 5 % de marge des grossistes et 4 % de marges des distributeurs; soit en tout 9.50 %.Il aurait payé le personnel, les frais liés à la distribution etc.... On est toujours loin de 28.50 %; soit 2 milliards perdus par l'Etat selon Gabriel Rufyiri.
Le rapport qui a servi de base aux communiqués de l'Olucome demande d'actualiser la structure des prix du 1er juin 2010 portant "carburant japonais". Le rapport date du 08 septembre 2010. Il y a lieu de se demander si les dates n'ont aucune signification pour cette fameuse commission. Prenons un exemple de quelqu'un qui achète une maison au prix fixé par le vendeur moyennant un rabais du fait que personne ne veut l'acheter à ce prix. Le monsieur devient acquéreur. Trois mois après, les prix de l'immobilier augmentent dans le quartier. Est-ce que le vendeur peut invoquer cette augmentation de prix pour exiger de revoir les prix de la vente trois mois après et en fonction des prix du moment? Pour avoir gain de cause, le vendeur peut invoquer un dol ou son incapacité juridique. Ce qui n'est pas le cas pour l'Etat.
Le manque à gagner est surtout celui de ce riz qui manque de preneur car les prix sont fixés au niveau supérieur aux prix nationaux. L'Etat doit supporter l'entreposage et demain s'en débarrasser.