DROIT DE REPONSE DU CNC

 

                                                                                               Le 6 juillet 2008

 

 

                                                                                  A Monsieur le Directeur de la Radio RPA

                                                                                          à

                                                                                   Bujumbura

 

Objet: Discours de haine sur l'Internet

 

Monsieur le Directeur,

 

 

Faisant suite à votre lettre du  3 juillet adressée à Madame la Présidente du CNC, je vous écris avec sa permission pour clarifier  la notion de « discours de haine » (hate speech) et ce qui est fait pour combattre l'incitation à la haine sur le net et  ailleurs dans les medias Burundais.

 

Les ' quatre « arguments » que vous présentez dans votre lettre démontrent votre ignorance totale de ce qu'est un media de la haine et les moyens utilisés pour les combattre. Cette lettre est aussi l'opportunité d'expliquer comment les medias visés « tutsi.org » et « burunditransparence.org » correspondent plus au schéma habituel de media de la haine que tout autre media burundais disponible sur le net.

 

En entrant dans le vif du sujet, le « discours de haine » est généralement défini comme tout propos de dénigrement, d'intimidation ou d'incitation à la haine ou à la violence fondé sur l'appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race, une religion, une idéologie politique, une langue.

 

Le crime d'incitation à la haine peut conduire son auteur, très rapidement et facilement, dans une cellule de prison, qu'il soit commis par voie orale, écrite, par sms, Internet, radio, télévision, etc. Ce n'est pas une question d'éthique journalistique sur le net, mais un crime de droit commun, comme l'incitation au meurtre,  le vol, l'assassinat, etc.

 

L'incitation à la haine (ethnique, raciale, religieuse, etc.) est un crime déjà punissable par la loi Burundaise, la loi Française (loi Gayssot), la loi Belge (lois Moureaux, Mahoux, etc.), la loi de la Grande Bretagne (Public Order Act, de 1986, l'incitation à la haine raciale est un crime avec un maximum de 7 ans de prison), en Allemagne (Code pénal, sentence maximale de 5 ans de prison pour incitation a la haine contre les groupes raciales, ethniques, etc.).

 

Ce crime est punissable en Allemagne même si il est commis en-dehors de l'Allemagne et par des citoyens non-allemands, le seul critère est que les effets du crime soient ressentis en Allemagne, par exemple s'il y a des individus tutsi, hutus, burundais, etc. qui sont en Allemagne et qui se sentent attaqués, dénigrés, intimidés, par une incitation à la haine qui se passe sur un site web. Ce crime est imprescriptible au Brésil. Comme vous le voyez, c'est un crime puni très sévèrement partout dans le monde.

 

En face d'un discours de haine sur le net, c'est facile de porter plainte en Europe. Par exemple, en Belgique, le <Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme> qui dépend directement des services du Premier Ministre, a mis sur pied le site web www.cyberhaine.be pour combattre le discours de haine sur le net.

 

 

 

Toute personne résident en Belgique peut contacter ce site du Gouvernement Belge qui lutte contre la haine sur le net et ils se chargent de contacter l'auteur du site web, l'hébergeur, et même de déposer la plainte au tribunal eux-mêmes contre des personnes identifiées ou contre X.  S'il vous plait veuillez visiter ce site Internet qui explique en long et en large ce qu'est le discours de haine, la punition de prison et les multiples exemples des cas qu'ils ont traités.

 

L'objectif de cette lettre n'est pas d'inciter en paraphrasant l'article sur abarundi.org que vous citez à ce que des personnes au Burundi ou en Europe se retrouvent en position légale difficile ou en prison, mais plutôt que le discours change pour l'intérêt de tous, y compris ce qui risqueraient la prison sans le savoir dans l'illusion qu'il existerait un flou légal sur l'Internet à cause d'un « hébergeur » ou d'un webmaster anonymes.  

 

Le danger pour un site web pro-tutsi est de verser dans le discours anti-hutu et vice-versa. Pour ceux qui ne veulent pas devenir pro-Burundais comme nous tous, ils peuvent parfois affirmer que seuls les tutsis ou les hutus ont souffert, et montrer aux yeux du monde les souffrances d'une ethnie et ce n'est pas illégal. Cela peut même être bénéfique de connaître la vérité sur les souffrances ou les injustices passées ou actuelles commises contre les membres d'une ethnie (discrimination, massacres, etc.). Néanmoins, aussitôt que le discours passe à la diabolisation de l'autre ethnie qui serait responsable des malheurs de votre ethnie, cela devient un discours de haine punissable par le code pénal de votre pays hôte.

 

Quelques exemples illustratifs du discours de haine : en paraphrasant l'article sur abarundi.org que vous citez dans votre lettre, prenons par exemple quelqu'un qui dit publiquement « je hais les journalistes de la RTNB ou de la RPA parce qu'ils sont la honte de la nation », ceci n'est pas un discours de haine. Par contre si quelqu'un disait « je hais le groupe ethnique hutu ou tutsi, les musulmans ou les catholiques parce qu'ils sont la honte de la nation », c'est un discours de la haine et « tous les membres de ce parti politique au pouvoir ou de l'opposition  sont des traîtres à la nation», c'est également un discours de haine.

 

 

 Bref, le contenu d'un site web haineux peut être porte devant la justice simultanément au Burundi, en Belgique, en Allemagne, etc. Quand on ne connaît pas le responsable du site web, on dépose tout simplement une Plainte Contre X. Si le procureur lit le contenu du site web et le trouve véritablement haineux, le procureur mets alors en marche tous les moyens qui sont à la disposition de la justice pour démasquer l'identité du responsable du site web, le mettre en prison et contacter l'hebergeur pour fermer ce site web.

 

L'objectif de cette lettre est de nous éclairer mutuellement avec nos lanternes respectives afin d'avancer un peu plus le monde des medias Burundais par l'échange des idées et de l'information. C'est aussi important que les auteurs de tutsi.org et burunditransparence puissent lire cette lettre pour qu'ils changent de cap rapidement car vous les avez désinformés en déclarant dans votre lettre qu'il existerait un flou légal sur le net du fait que les auteurs ou l'hébergeur seraient à l'étranger, etc.

 

Au contraire, ils sont très vulnérables comme vous l'avez appris dans cette lettre ou en visitant le site Internet du Gouvernement Belge : www.cyberhaine.be. Le mythe de l'anonymat pour les criminels sur le net, quel que soit le crime (incitation au meurtre, vol, incitation à la haine, etc.) est une illusion. 

 

 

Concernant le discours de haine sur tutsi.org, en date du 16 juin 2008, le site publiait un discours de diabolisation des hutus qui se passe de commentaire :  « Ce n'est plus qu'un secret de polichinelle, les Hutus sont fin prêts à en découdre définitivement avec les Tutsis. Contrairement à ce qui s'est passé en 1993, on ne parlera plus jamais de rescapés…. un plan de génocide et d'exclusion multiforme, diaboliquement concocté par les organisations ou partis politiques hutus, aux commandes aujourd'hui… ;La Belgique ou encore les ambassades des grands pays comme les USA, la France et l'Union Européenne, sont bien au courant. Un haut responsable belge, sur place à Bujumbura, a déjà transmis cette information auprès des autorités belges. Curieusement, les Tutsis sont littéralement hypnotisés » En date du 18 juin, le même site web accuse le Directeur de Netpress (M. Jean-Marie KAVUMBAGU) d'être au service du « pouvoir hutu » et d'être un INTERAHAMWE tutsi : « Car, souvenez-vous, même le leader des Interahamwe était tutsi. Sauf que le virage de Netpress déçoit aussi les Tutsis de la Diaspora qui avaient pourtant contribué à son lancement. »

Quant au site web burunditransparence.org, en date du 28 mai 2008, ce site accuse le Président de la République d'être un « tyran  sanguinaire » qui prépare la guerre contre son peuple en 2010 et qui aurait déclarer aux démobilisés :  « nous aimons la couleur du sang » avec directives de « traquer toute personne non membre du parti CNDD-FDD, voire même utiliser les moyens inhumains pour les condamner au silence perpétuel ». C'est un tract horrible, une incitation à la haine et à la violence contre le parti cndd-fdd (un groupe politique), contre le groupe des demobilisés du cndd-fdd et une grave diffamation contre le Président de la République.

On ne peut minimiser l'influence qu'un medium de la haine sur le net peut avoir sur la diaspora Burundaise et l'élite locale qui a accès à l'internet, mais qui est aussi leader d'opinion, y compris les responsables des medias locaux. La seule voie est la tolérance zéro et le changement du discours, comme dans tous les autres pays du monde.

 

Avant de terminer,  je voudrais vous dire que je déplore que vous ayez du recourir à une lettre presque «ouverte » malgré nos échanges multiples habituels formels et informels dans nos bureaux, les vôtres ou ailleurs. Le CNC aurait pu vous informer rapidement en personne. Les portes et les téléphones du CNC vous sont ouverts en tout temps avec tout l'estime qu'on a pour vous, pour la Radio RPA et le rôle qu'elle joue depuis longtemps sur la scène médiatique du Burundi.

 

S'il y a de temps en temps des conseils ou des mises en garde, voire des sanctions de la part du CNC envers les medias, ne les prenez surtout pas dans le sens du harcèlement politique (« deux poids deux mesures ») que vous suggérez dans votre lettre. Le CNC est l'organe constitutionnel qui veille à la liberté d'expression dans le respect de la loi et qui agit uniquement par souci d'amélioration continue, de la même manière qu'on souhaite tous une amélioration continue de la performance des enseignants, des policiers, des juges, des politiciens, du gouvernement, des journalistes, etc. Le respect de la loi passe par la lutte contre le discours de haine.

 

Dans la période actuelle de reconstruction nationale, tous les secteurs de la vie nationale ont beaucoup à faire pour rehausser les standards, y compris les medias. Quand les moyens de l'Observatoire de la Presse Burundaise seront renforcés, ce sera surtout le rôle de cet organe d'autorégulation de renforcer les standards et c'est notre objectif commun d'y parvenir.

 

Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'expression de ma considération distinguée.

 

 

                                               Jean-Charles NKANGANYI

            Vice-President du Conseil National de la Communication.