Burundi news, le 14/03/2010

Qui sont les ennemis de l’Afrique?

Par Pierre Claver Niyonkuru

Un ennemi est un individu qui déteste quelqu’un. Le rôle de l’ennemi est de toujours nuire à la personne qu’il déteste. Quelque soit la situation, votre ennemi vous mettra des bâtons dans les roues car, à tort ou à raison, il croit que votre évolution nuit à la sienne.

L’Afrique est le continent le plus pauvre du monde selon les tous les classements. C’est une pauvreté pleine de paradoxes car l’Afrique a tout ce dont une économie a besoin pour atteindre son plein potentiel. En réalité, cette pauvreté prend racine sur deux éléments : le traumatisme et les ennemis de l’Afrique.

L’Afrique est traumatisée par son passé, de l’esclave classique, elle a atteint l’esclave moderne en passant par la colonisation. En fait, l’Afrique est entrée dans la mondialisation par ces évènements traumatisants : l’esclavage et la colonisation. Ce continent continue à en subir les effets. De plus, l’Afrique indépendante a connu des très grands ennemis qui veulent toujours qu’elle reste à terre. Parmi les plus puissants ennemis de l’Afrique, j’en ai dénombré trois, probablement, les plus redoutables : les grandes puissances, ses dirigeants et la mentalité.

Les grandes puissances

Les grandes puissances ont beaucoup d’intérêts en Afrique. Pour maintenir leurs économies, ces puissances doivent se ravitailler en ressources naturelles en Afrique. Souvent les stratégies utilisées pour mettre la main sur ces ressources sont inhumaines voire cruelles. Demandez-vous comment durant les dernières décennies  nous avons toujours pu financer  des guerres alors que nous n’avions pas assez de nourriture?

Il y a quelques années, lors d’une conférence à l’Université Laval au Québec, on nous présentait le phénomène des enfants soldats dans la région des grands lacs africains. On nous montrait un garçon d’à peu près 13 ans avec une mitrailleuse et des munitions, le tout totalisait plus de 30 mille dollars. Et à moi de me lever et demander au conférencier comment se faisait-il que le jeune garçon pouvait accéder à des armes si chères alors qu’il ne peut pas acheter une  assiette de nourriture? La réponse qu’on m’a donnée était que les milices s’organisent pour trouver des financements pour se payer les armes. Bien entendu la réponse était loin d’être convaincante et il y avait d’autres questions notamment où ils achètent ces armes et comment elles sont livrées aux milices.  

En Occident, quand on parle du mal africain, on présente les Africains comme des ethnies barbares qui s’affrontent parce qu’elles ne savent pas vivre ensemble dans l’harmonie. Évidemment, cela est, à mon avis, une réponse très simpliste à une question très complexe. Je crois plutôt que c’est le caractère international qui bloque l’avènement d’une Afrique prospère. Les conflits en Afrique sont voulus, financés et encouragés par les grandes puissances, celles-ci sont avides des richesses africaines et elles doivent maintenir l’instabilité pour mieux se servir.

Imaginez-vous une Afrique sans corruption, les grandes puissances pourraient-elles prendre les richesses en Afrique comme elles veulent? Si nos dirigeants devenaient des leaders au vrai sens du terme, l’Afrique deviendrait une puissance et ainsi elle négocierait avec les autres d’égal à égal, les grandes puissances n’ont pas besoin de vivre ce cauchemar.

Il y a des innombrables exemples pour prouver que les grandes puissances sont des grands ennemis de l’Afrique : demandez-vous qui a tué Thomas Sankara, Patrice Lumumba, Louis Rwagasore et autres? Qui entretient toutes ces dictatures en Afrique?

En fait, aussi longtemps qu’un dirigeant africain fait la volonté des grandes puissances, il est maintenu au pouvoir. C’est quand il commence à dire non à certaines de leurs demandes qu’il devient dictateur, ennemi de la paix mondiale, et j’en passe. Des manœuvres sont alors mises en œuvre pour l’anéantir. Ce qui est déplorable c’est que l’histoire se répète tout le temps et le pauvre paysan africain reste entre le marteau et l’emplume et il ne sait jamais à quel saint se vouer. 

Et concernant la fameuse libre circulation, les grandes puissances préfèrent la libre la circulation des biens. On entend tout le temps des Africains qui périssent dans la Méditerranéenne en essayant de rejoindre l’Europe, les portes sont fermées pour les individus mais pas pour le cacao ivoirien, l’or congolais, le diamant libérien,… Et nous devons bien le comprendre, on prend nos ressources naturelles pour aller les transformer ailleurs afin de nous vendre les produits finis à des prix insupportables, ce qui maintient le lourd endettement et le cercle vicieux.

Les dirigeants «africains»

Cette année, nous fêtons ou nous nous souvenons actuellement du cinquantenaire de l’indépendance des pays africains. Avant l’indépendance, quand l’homme blanc faisait la pluie et le beau temps sur le continent africain, on se demandait à quand la fin de la colonisation. Aujourd’hui, il y a des Africains qui se demandent à quand la fin de l’indépendance.  

Lors de la lutte pour l’indépendance, nos grands parents se sont rangés derrière leurs leaders pour libérer le continent. Cette libération a été obtenue au prix du sang, oui des filles et des fils du continent sont morts pour préparer un meilleur avenir aux générations futures. Ils savaient que la suite n’allait pas être facile, mais « ils préféraient la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage ». Le problème en Afrique est que c’est toujours la loi de l’esclave et son maître : quand l’esclave prend la place du maître, il fait exactement la même chose, si pas pire. Observez nos dirigeants post-coloniaux, ils n’ont pas fait mieux que le colonisateur.

Et de nos jours, les politiciens à l’opposition promettent monts et merveilles pour accéder au pouvoir, arrivés au pouvoir, ils continuent le travail de leurs prédécesseurs. Et c’est le paysan qui continue à souffrir.

 

En réalité, l’Afrique n’a pas de dirigeants, ce sont des mercenaires des grandes puissances et les intérêts des grandes puissances  ne feront jamais bon ménage avec ceux du peuple africain.

 

La mentalité

 

Nous sommes victimes d’une mentalité qui nous empêche d’évoluer. Aussi longtemps que le dirigeant, une fois nommé ou élu, il se considère comme un dieu tout puissant et que le peuple consent, on ne peut pas avancer. Je crois que nous devons redéfinir la relation dirigé-dirigeant. Savoir que le dirigeant n’est pas là pour se servir mais pour servir, qu’il n’est pas là pour faire sa propre volonté mais pour faire celle de son peuple.

 

Quand j’étais jeune, j’avais un voisin qui occupait un poste assez élevé dans une entreprise de l’État. Ce dernier embauchait des personnes dont le rôle était de trouer les rues de Bujumbura pour les installations de la société, c’était un travail épuisant. Ce qui faisait mal c’est que plusieurs fois dans le mois, ces travailleurs, qui venaient pour la plupart de Bujumbura rural, devaient offrir un régime de banane, un coq, un peu d’argent,… à leur patron pour garder leur emploi. Ils arrivaient très tôt le matin alors que le patron était toujours dans son lit, ils faisaient la file pour donner chacun son offrande. C’est une de ces mentalités  qu’il faut changer.

Et les relations homme-femme. On ne peut pas atteindre un niveau suffisant de développement aussi longtemps que la femme occupe le statut de citoyen de second rang alors qu’elle doit participer au développement de son pays. Je ne sais pas si les gens peuvent toujours appeler le 17 pour avoir l’aide de la Police. C’était le cas dans ma jeunesse, ce numéro est l’équivalent du 911 au Canada et aux États-Unis et  le 112 en Europe. Toutefois, quand vous les appeliez disons à 21h , ils arrivaient le lendemain dans l’après midi. Il arrivait alors que des femmes battues appellent la police pour qu’elle vienne à leur secours et une fois sur le lieu (c’est à dire le lendemain dans l’après midi) la police demandait si l’homme était en train de battre sa propre femme, si c’est le cas, c’est que la police n’a rien à faire dans les relations conjugales. Donc, quand un homme bat sa propre femme, la police ne peut pas intervenir si non, c’est l’ingérence dans les affaires conjugales.

Je crois que pour un véritable développement de l’Afrique, il faudrait se défaire de ces grands ennemis et j’avertis, ils sont très puissants. Des gens mourront pour y arriver, rien à faire! J’ai distingué trois grands ennemis pour l’Afrique, et parmi ceux-là, à mon avis, les plus coupables sont ces dirigeants qui se moquent de leurs pays et qui sacrifient tout pour leurs propres intérêts.