ARRESTATIONS CONTESTEES DANS LA FORME AU NIVEAU DE L'ARMEE

Par Gratien Rukindikiza

Burundi News, le 31/01/2010

La grande muette n'aime pas qu'on étale son linge sale chez les civils. Tout se règle en interne comme une famille qui se respecte. Les médias ne sont pas le point fort de l'armée. La maîtrise de la communication exige un bon raisonnement et une certaine expérience. Celui qui perd dans la communication, perd aussi sa cause. Jamais dans l'armée burundaise, les médias n'étaient appelés pour faire un reportage sur des arrestations ou un autre problème interne. Le jour où l'armée aura besoin des médias pour étaler ses divisions, ses problèmes, le pays pourra dire adieu à son armée. C'est ce qu'il faut éviter.

Les erreurs du général major Niyombare, chef d'Etat major de l'armée

* Arrestation devant les caméras de la télévision et face aux milliers de civils présents : Les militaires savent qu'il faut éviter d'étaler les problèmes militaires devant les civils. Ce n'est pas seulement valable pour le Burundi mais aussi dans le monde entier. Le général major Niyombare, en tant que chef d'Etat major devait le savoir. Le geste qu'il a posé ridiculise l'armée au lieu de donner du poids. Une armée ne peut s'enorgueillir d'une telle arrestation des militaires, qui soi-disant devaient passer à l'action directement dont une seule personne avait un pistolet. Combien de civils se promènent-ils avec un pistolet à Bujumbura? Le port d'arme est accepté chez les officiers. Même si le pistolet était dans les mains d'un sous officier, cela ne change pas la nature et le caractère urgent de l'affaire.

* Evoquer un complot au niveau national contre les institutions sans preuve : Les Burundais ont encore en mémoire le faux putsch de Ndayizeye et Kadege. Ce terme de putsch ou complot contre les institutions devait être très rarement utilisé sauf après des enquêtes. Le sens même de l'infraction de ces 13 personnes, si réellement il s'agit d'infraction au code pénal militaire, est en phase de le perdre. L'opinion publique pense que c'est un montage orchestré par le pouvoir en raison de cette erreur de communication au niveau de la forme et au fond. La prudence est de rigueur dans ce genre d'affaires. Niyombare est jeune dans cette armée et n'a pas l'expérience des pratiques dans cette armée. Cela peut expliquer l'empressement pour la médiatisation. 

* A-t-il agi en concertation avec son hiérarchie? : Il est peu probable que le lieutenant général Niyoyankana, ministre de la défense, ait autorisé de faire un tel show à la télévision. Il a l'expérience de 2006 et grâce à son franc parler et son courage, les arrestations abusives dans l'armée ont été évitées. Il est fort à parier qu'il aurait décidé de les arrêter mais dans la grande discrétion et sans politiser les arrestations. En général, en cas de telles arrestations, ce n'est pas le chef d'Etat major qui fait les arrestations. C'est le rôle du chef des renseignements, le G2. Soit le chef d'Etat major a minimisé son rôle, soit il savait que l'objectif était de se montrer. En ce cas, l'affaire n'est pas aussi sérieuse qu'on le fait croire.

* Les effets sur le moral des troupes déployées en Somalie : Quand un pays a envoyé un contingent à l'étranger pour aider un autre pays à retrouver le chemin de la paix, il doit adopter certaines règles. La situation militaire dans le pays peut décourager des troupes soumises aux feux comme en Somalie où dans ces jours elles subissent les attaques de la milice somalienne. En plus, avant de faire des déclarations à la télévision, le commandement du contingent doit être averti pour pouvoir expliquer aux militaires la situation. Cela n'a pas été le cas, ni avant, ni après.

Le général major Niyombare avait acquis un certain respect dans cette armée. Ne passait-il pas pour un des généraux modérés des ex FDD? Est-il tombé dans le piège du pouvoir? Il lui appartient de rectifier le tir pour ne pas apparaître comme l'homme qui a déclenché le signal de départ de l'instabilité politique.

Une probable lutte entre les généraux ex FDD serait derrière le show médiatique

Qui sauvera  le pouvoir? La guerre des généraux ex- FDD ne date pas de ce jour. 4 généraux s'observent et se surveillent. Les uns et les autres convoitent le poste le plus prisé de la Documentation. Le général Adolphe Nshimirimana est sur la défensive pour défendre son poste. Certains pourraient être tentés de dire que la sortie médiatique du chef d'Etat major, dans ce dossier combien délicat, s'inscrit dans le cadre de cette course. Le parti au pouvoir manque de leadership. Chacun s'estime l'homme fort. La démonstration de force passe par toutes les occasions, mais  l'armée n'est pas un corps comme les autres. Elle est la dernière institution qui tient encore au Burundi. Elle a besoin d'être épargnée par des spéculations des politiciens.

Si le pouvoir en profite pour arrêter les opposants ayant beaucoup de chances aux élections prochaines, le général major Niyombare ne pourra pas dire qu'il n'était pas complice. Par ailleurs, si l'armée rectifie le tir et apporte des précisions sur un problème militaro-militaire, les esprits pourront se calmer et l'erreur dans la forme sera vite oubliée.

La gaffe du ministre des affaires étrangères

Le Burundi qui déploie ses troupes en Somalie doit montrer des signes de solidité de son armée et de ses institutions. Le ministre des affaires étrangères n'a pas le rôle de représenter un parti politique à l'étranger, encore moins de colporter des rumeurs.

Après les arrestations des 13 militaires, il a expliqué en Ethiopie qu'il s'agit d'une tentative de putsch et que l'affaire était connue. Il a dit à ses homologues africains que les arrestations des civils allaient suivre. Le ministre des affaires étrangères devait être  informé sur la finalité de ces arrestations. Etonnant pour une affaire purement militaire que le ministre évoque déjà à l'étranger et surtout avec des amalgames. Est-ce que le ministre était en confidence du chef de l'Etat major pour savoir si réellement il s'agissait de ces arrestations des 13 militaires ou une autre affaire montée de toutes pièces par le pouvoir?

Pourquoi cet esprit du complot? N'était-il pas le CNDD-FDD lui-même qui rend son pouvoir fragile? Si le CNDD-FDD ne voulait pas les élections!