Note de la rédaction : Votre site a donné la parole à une Burundaise qui s'exprime sur le mémorandum signé entre le gouvernement burundais et la société libyenne LAAICO. Son avis n'engage que son auteur. Dans le cadre d'une opinion libre, chaque lecteur se fera son opinion.

 Burundi news, le 06/10/2008

Quand la fièvre électorale obscurcit la vue.

 

 

Par Ciza Emérencienne.

 

Depuis quelque temps, un dossier fait couler, trop à mon goût, l’encre et la salive. C’est le FRODEBU qui a ouvert les hostilités. Il faut bien dire que c’est de cela qu’il s’agit au regard de l’avalanche de réactions qui s’en est suivi. Honorable Alice Nzomukunda, le MSD, les radios privées que l’on peut capter sur le net, un mushingantahe, l’OLUCOME…..

 

Que dit le FRODEBU ? Dans une déclaration datée du 26/09/2008 ce parti déclare être « préoccupé par la récente mesure du mois de juillet de privatiser en secret presque toutes les sociétés publiques burundaises au bénéfice de la seule LA LYBIAN ARAB AFRICAN INVESTMENT COMPANY (LAAICO) ». Il indique avoir réalisé que « les derniers vestiges, de S.E. Melchior NDADAYE notamment sa dernière demeure viennent d’être cédés à cette Compagnie ». Il ajoute : « la vente dans l’ombre de l’ONATEL, de la SOSUMO, de l’Hôtel Source du Nil, de l’Office du Thé du Burundi (OTB), de la COGERCO, du COTEBU, de la VERRUNDI (…) à la société Libyenne, LYBIAN ARAB AFRICAN INVESTMENTS COMPANY (LAAICO) est illicite et inacceptable ». Et de s’engager légitimement à combattre avec la dernière énergie toute tentative de vendre la dernière demeure du Héros de la Démocratie.

 

En date du 28 septembre, le CNDD lui emboîte le pas par le biais de son site « Burundi réalités ».  « Dans un protocole d’accord signé le 31 juillet 2008, le Burundi vient de céder les compagnies étatiques à la Libye. La cession, totale et irréversible, s’est faite incognito, sans chercher l’autorisation du parlement. Les compagnies à vendre incluent notamment, la Société Hôtelière et Touristique du Burundi (SHTB), l’Hôtel Source du Nil, l’ONATEL, la SOSUMO, l’Office du Thé du Burundi (OTB), la Compagnie de Gérance du Coton (COGERCO), la Bouteillerie et Verrerie du Burundi (VERRUNDI), et les stations de lavage du café. La Libye ne déboursera pas de sous dans la transaction ».

 

Ces textes ont provoqué en moi la même indignation que celle entendue sur les ondes des radios RPA et Isanganiro. Puis en date du 29 09 2008, le site ARIB a mis en ligne les documents incriminés. Après lecture de ceux-ci, mon indignation a baissé d’un bon cran. Avant de remonter cette fois-ci contre la tricherie et les mensonges contenus dans les déclarations ci-dessus.

 

D’abord, le document principal n’est pas « un protocole d’accord » comme l’affirme le site du CNDD, mais un mémorandum d’entente. Le document simple dans sa rédaction, comporte quatre articles principaux.

 

Le premier article porte sur les engagements des deux parties à réaliser les projets suivants : achat par la compagnie des actions de l’Etat dans la Société Hôtelière et Touristique du Burundi, construction d’un centre international de conférences, construction d’un hôtel cinq étoiles au bord du Lac Tanganyika, participation de la compagnie à la modernisation et à l’extension de l’ONATEL et de la SOSUMO.

 

Dans le deuxième article la partie burundaise s’engage à accélérer les procédures de privatisation de la SHTB et de l’ONATEL, à concrétiser celles de l’ouverture du capital de la SOSUMO et à rendre disponible des terrains pour l’érection des immeubles convenus.

 

Dans le troisième article, la partie libyenne s’engage à remplir les procédures juridiques nécessaires à l’établissement de la compagnie au Burundi, à se porter acquéreur des actions des entreprises concernées et à acquérir les terrains nécessaires à l’érection des immeubles déjà cités « dans le cadre d’un contrat de bail à un prix et dans des délais à convenir ».

 

L’article quatre contient une demande de la partie burundaise à la partie libyenne d’investir dans l’Office du Thé du Burundi (OTB), les stations de lavage de café, la Compagnie de Gérance du Coton (COGERCO), le Complexe Textile du Burundi (COTEBU), la Bouteillerie et Verrerie du Burundi (VERRUNDI). La partie burundaise demande aussi à son partenaire d’analyser la possibilité de construire : un abattoir moderne, un complexe immobilier, un centre commercial, des immeubles administratifs, une raffinerie d’huile de palme, un stade moderne.  La partie libyenne s’engage elle à analyse favorablement ces propositions.

 

En lisant tout cela, les constats suivants me sont venus à l’esprit.

 

En ce qui concerne la SHTB, la SOSUMO et l’ONATEL, il n’y a pas eu de privatisation secrète, ni de «cession totale et irréversible » comme l’affirment le FRODEBU et le CNDD. La partie burundaise s’est engagée à accélérer la procédure. On ne pourrait parler de privatisation consommée que si le processus a dépassé le stade de la passation des marchés. En lisant le texte, il saute aux yeux que l’on en est tout juste au stade d’évoquer l’évaluation de la valeur de l’action, l’établissement des cahiers des charges, le lancement des appels d’offres. Comme on le voit, il s’agit d’un simple engagement du partenaire libyen à acquérir des actions le moment venu.

 

Pour ce qui est de l’OTB, de la COGERCO, de la VERRUNDI et les stations de lavage de café, le Burundi demande à la compagnie libyenne d’investir là-dedans. Pourtant le FRODEBU et le CNDD parlent de « privatisation secrète », de « cession totale et irréversible » !

 

« La Libye ne déboursera pas de sous dans la transaction », affirme le CNDD. En lisant bien le texte on voit bien que la compagnie libyenne s’est engagée à acquérir les actions des sociétés en question lors de leur mise en vente. Qu’elle acquerra les terrains convenus « dans le cadre d’un contrat de bail à un prix et dans des délais à convenir ». Il est donc évident que ce sont des transactions qui impliquent un apport monétaire de la part du partenaire libyen. D’ailleurs, on voit mal comment cela se passerait autrement pour des investissements effectués dans le cadre d’une privatisation. A moins que l’on ne soit obnubilé par d’autres intérêts…

 

Je me suis ensuite enquis de ce qu’il en était de la cession de la dernière demeure de S.E. Melchior NDADAYE. Le mémorandum indique que le gouvernement s’engage à céder le terrain de 1 ha 30 ares 78 ca cadastré sous le n° 4548 b/A. Des sources recueillies auprès des services de l’urbanisme m’ont révélé que la parcelle du Palais du Premier Novembre est cadastrée sous le numéro 4548 a/A. Cela se passerait de commentaires… si le mensonge de la part des responsables du CNDD et du FRODEBU n’était pas si gros.

 

D’autres sources ont indiqué que la VERRUNDI attend un repreneur depuis 2000 et que son outil de production ne cesse de se détériorer, que le COTEBU serait dans la même situation, que la santé de COGERCO ou de l’OTB ne serait pas au beau fixe. Et je me suis demandé si réellement les responsables des partis et autres associations savent bien de quoi ils parlent quand ils ameutent l’opinion sur d’éventuels investissements dans ces moribondes (pour la plupart) entreprises.

 

Poursuivant mes investigations, j’ai appris que 80% de Rwandatel sont détenus par une compagnie libyenne (LAP Green Network), l'Etat rwandais n'ayant gardé que 20%. Que c’est une compagnie libyenne qui est propriétaire de l’hôtel des Mille Collines. Et que dans de nombreux pays en Afrique la situation est la même dans de nombreux domaines. Ils investissent dans des conditions de loin plus avantageuses en concourant auprès d'autres investisseurs.

 

Et je me suis dis qu’avec eux, et d'autres pays du Tiers Monde, l'Afrique cette belle fille objet de nombreuses convoitises, a maintenant la chance de donner au mieux offrant, pas à celui qui, conscient d'être chez lui depuis les temps immémoriaux, fait la pluie et le mauvais temps.

 

Enfin, concernant la signature du Chef de Cabinet du Ministre de l’Economie, des Finances et de la Coopération au développement, il me semble que ce soit ce ministère qui a justement l’économie et la coopération au développement dans ses attributions qui a les prérogatives de poser un tel acte, d’autant plus que, toujours selon mes sources une réunion du Comité Interministériel de Privatisation avait eu lieu auparavant pour décider de la privatisation des sociétés en question.

 

Je me suis donc demandé ce qui faisait courir ces politiciens.

 

Première hypothèse. Nos dames et nos messieurs lisent mal les textes ou ne les lisent pas du tout. Ils auraient un patriotisme à fleur de peau qui ne leur donnerait pas le temps de distinguer le blé de l’ivraie.

 

Deuxième hypothèse. Ils ont bien lu et compris les textes. Mais leurs préoccupations seraient ailleurs. Le parti au pouvoir a pris une bonne longueur d’avance dans la bataille électorale qui s’annonce pour 2010.  Et nos politiciens feraient feu de tout bois pour le battre en brèche.

 

Troisième hypothèse. Ils seraient à la solde de puissances obscures. Nous avons en mémoire la réaction épidermique des occidentaux par rapport aux investissements autres que les leurs en Afrique. Car le sommet Union Européenne - Afrique de Lisbonne, les mises en garde sur l’endettement de l’Afrique dernièrement formulées par M. Nicolas Sarkozy, c’est bien cela : le courroux d’une bête dont vient de fouler le terrain de chasse. Et nos prétendus patriotes en seraient les bras armés.

 

A mon avis, ces hypothèses sont les unes et les autres plausibles.  Sauf le patriotisme à fleur de peau.

 

 

 

Ciza Emérencienne.