Source : Burundi bwacu
La fin prévisible et lamentable de Radjabu
Nul n’a le pouvoir d’interdire les rêves (Patrice Lepage)
Ah ! Si l’on pouvait, par un simple décret, interdire à tout un peuple de rêver, sur toute l’étendue de la République, et ce tous les jours que Dieu fait. Les peuples seraient si faciles à gouverner, si faciles à soumettre, à mettre à genoux. On pourrait régner sur eux ad vitam aeternum ! Mais comme le monde est mal fait, et que l’homme est un animal - le seul - qui rêve le monde avant de le transformer, ce n’est pas comme cela que ça se passe.
La fin du règne de Radjabu Hussein me réjouit et m’attriste à la fois. Elle me réjouit parce que ce croyant, qui sait qu’il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah -et qui le répète chaque jour dans ses prières, semblait, dans ses pratiques l’avoir oublié, se prenant lui-même pour un Dieu. Je vous dispense de me comparer à Dieu, disait un certain Napoléon Bonaparte, qui a fini son épopée, oublié de tout le monde, même de Dieu, sur l’île britannique de Sainte-Hélène, non loin des côtes africaines !
Elle me réjouit aussi parce que, sous tous les cieux, on se réjouit des fins de règne. Dans ce pays où nous avons instauré la république en 1966, la tentation monarchiste n’est jamais bien loin. Un roi n’est pas roi par sa seule volonté. Il l’est parce qu’il y a une cour, des courtisans, des griots prêts à chanter ses hauts faits et à taire ses méfaits. A dire la magnificence et les hauts faits de ses ancêtres et la chance que le pays a de l’avoir, la chance que le peuple a de le voir. Un roi l’est aussi parce que des citoyens terrorisés se muent en sujets et, soit se taisent dans toutes les langues, soit cirent allègrement les bottes, pour avoir des cadeaux dont la valeur sera directement proportionnelle à la souplesse de leur colonne vertébrale. Je me réjouis donc de voir tout ce beau monde abandonner leur cour pour s’adonner à quelque chose de plus constructif que la « lècheculture ». Nous avons gaspillé tellement de ressources humaines, nous avons gaspillé tellement d’énergie, et certains se sont tellement avilis en courbettes que demain, peut-être, ils vont reposer leur pauvre dos. En ce sens, ce n’est pas la chute d’un seul homme. Tous les satellites qui tournaient autour de lui - dont de nombreux lettrés - l’accompagnent dans sa chute. Souhaitons-leur un bon repos, mais soulignons du même souffle que faire le procès de Radjabu, c’est un peu faire le procès de notre honte à tous, le procès de notre burunditude. Il faut inviter les nouveaux à recoller les morceaux et non appeler à la chasse aux sorcières.
La fin de règne de Radjabu Hussein m’attriste aussi. Le parti présidentiel est passé maître dans l’art de crucifier ses dirigeants. Avant hier, c’était Nyangoma Léonard ; hier, c’était Jean-Bosco Ndayikengurukiye, le cousin et tombeur du premier sacrifié ; aujourd’hui c’est au tour de Hussein Radjabu, l’homme par qui les premiers ont été écartés de la direction du parti. Le parti, tel ce minotaure légendaire qui dévorait ses enfants, va-t-il demain crucifier aussi le colonel Jérémie Ngendakumana ? Va-t-on, dans ce parti comme dans d’autres - car, faut-il le rappeler, la peste nous concerne tous - va-t-on donc dis-je, apprendre à interagir de façon civilisée, afin de donner notamment la parole aux partisans honnêtes au lieu de la laisser constamment aux seuls courtisans ? Un parti où l’on ne parle pas, sauf pour chanter la gloire du leader préféré et bien aimé est un parti qui, n’ayant pas une once de démocratie dans ses rangs et dans ses pratiques, ne pourra jamais la faire régner au sein de la République. Le parti que dirigera désormais le Colonel Ngendakumana doit offrir des espaces pour un dialogue serein et civilisé pour nous mener vers de nouveaux horizons. La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a.
Au-delà d’un homme, il faut donc regarder, scruter le système à la loupe. Regarder le ventre dont il est sorti, pour s’assurer que demain, il n’en émergera pas un autre. Pour s’assurer que celui qui a pris la place, galvanisé par les troupes, entouré par une armée de courtisans – les meilleurs fossoyeurs des régimes – ne nous ramène pas au temps du radjabisme délirant. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Analysons les causes et les acteurs qui nous ont plongé dans la nuit, pour nous assurer que l’histoire ne va pas bégayer demain.
Au-delà d’un homme – et au-delà de Bujumbura - de petits tyrans, des tyranneaux locaux, provinciaux, communaux, etc., disposent à leur guise de la vie des gens, mutilent et humilient impunément nos concitoyens. Bafouent leur dignité, attentent à leur personne et à leurs biens. Les médias s’en font constamment l’écho et nous disons, comme cet auteur sud-africain, chaque fois que nous parviennent les échos de ce mépris de la vie : Cry the Beloved Country. Pleure ô pays bien aimé ! Si Radjabu tombe et que tous les petits tyrans de province continuent leurs méfaits, dans les postes de police, dans les prisons de la République, nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Ceci est juste un pas, c’est une bataille dans une guerre d’usure, non pas contre des individus mais contre un système d’oppression qui, constamment, mue, change d’acteurs sans que changent les scénarios. La lutte est encore longue et comme disait Aimé Césaire, il faut y aller un pas à la fois, mais tenir bon : « Un pas, un autre pas, encore un autre pas, et tenir gagné chaque pas...et malheur à celui dont le pied flanche ! ».
Lors de sa visite surprise dans la tristement célèbre prison de Mpimba, le président Mandela a demandé s’il y avait au Burundi des hommes qui craignent Dieu, en plus de gratifier Buyoya de qualificatif peu élogieux de « Heartless », sans cœur. Il est temps que notre « born aigain » de président montre clairement qu’il craint Dieu et cela doit commencer par le respect inconditionnel de ses créatures. L’attachement inconditionnel aux droits de la personne humaine. Mettre fin à la guerre contre le Palipehutu-FNL, qui ruine littéralement notre république et l’empêche d’investir dans les projets qui sortent le pays de la misère doit être le premier pas vers l’avènement de ce règne du droit et de la loi. C’est quel pourcentage déjà, le budget de l’armée et de la sécurité dans l’ensemble des dépenses de notre État ?
Radjabu a prouvé que malgré sa formation rudimentaire, il avait une incroyable intelligence. Une intelligence redoutable. Il avait un cerveau. Peut-être même lisait-il secrètement Machiavel en Swahili... Espérons qu’il n’investira pas son intelligence dans un baroud d’honneur qui risque de mettre le feu à la République, dans le genre « c’est moi ou le chaos ». Le nouveau venu a aussi une tête, plus pleine et, je l’espère, mieux faite que celle de celui qu’il vient de remplacer, démocratiquement, pour la première fois dans l’histoire de ce parti. Il lui revient de nous prouver qu’il n’a pas, comme l’autre, un cube de glace à la place du cœur. Et ça urge. L’échéance électorale de 2010 n’est pas bien loin. Je lui souhaite non de lire Machiavel, mais de lire le poignant texte de Martin Luther King : I have a dream. Et puisqu’il ne peut nous interdire de rêver, pourquoi ne pourrait-il pas rêver avec nous, d’un pays où faute d’aider les citoyens à s’en sortir, l’État leur fout la paix pour qu’ils se démerdent avec leurs maigres moyens ? Serait-ce vraiment trop demander à nos dirigeants ?
Cishahayo Fabien.