Burundi news, le 24/05/2015

Par David Gakunzi

Burundi: le temps de la responsabilité internationale

 
 

Lettre ouverte au sujet du Burundi adressée aux Présidents François Hollande, Barack Obama, Uhuru Kenyatta, Jakaya Kikwete, Paul Kagame, Yoweri Museveni, Jacob Zuma

 
 

Messieurs les Présidents,

Chaque jour, depuis des semaines, chaque jour la même histoire: des opposants, des leaders associatifs, des journalistes et des simples citoyens bastonnés, enlevés, torturés, abattus. La violence officielle extrême quotidienne comme fait divers banal, normalisé. Dernier crime en date: ce vendredi 22 mai: des grenades lancées dans l'obscurité sur le marché de Bujumbura des femmes vendeuses de fruits qui travaillaient encore. Oui, le Burundi tangue; il se fait tard à Bujumbura et demain il risque d'être, hélas, trop tard...

Et, de nouveau, comme d'habitude, nous irons alors -encore une fois, déplorant "la folie humaine"- ramasser le long des impasses perdues, ramasser au fond des fosses communes des vies emportées en tas par la destructivité radicale, emportées amputées, emportées des plaies dans la chair, des trous dans les os. Certains d'entre-nous verseront même à l'occasion, devant flashs et caméras du monde, des larmes de circonstance et, tous en chœur, nous reprendrons le même refrain: "Nous n'avons pas vu venir cet impensable-là".

Oui, affirmatif: si rien n'est entrepris aujourd'hui, cela arrivera. Quand? comment? Je ne sais pas. Tout ce que je sais c'est que l'effroyable mécanique de la machinerie à tuer en masse est en marche; tout ce que je sais c'est que les signes avant-coureurs prédisant un Rwanda 1994 au Burundi en 2015 sont déjà là, visibles, palpables, flagrants.

Il y a d'abord ces milices armées, les Imbonerakure, véritables sosies des tristement célèbres Interahamwe du Rwanda. Même structuration, même rationalité, même logique, même inculture, même embrigadement idéologique, même idéologie: l'essence de l'homme procéderait de sa naissance, de ses origines biologiques, de son ethnie, de son sang! Même idéologie et cousinage, alliance et unité d'action dans la barbarie vérifiées, documentées sur le terrain.

Il y a ensuite cette pratique de l'intimidation, de la brutalité, de la terreur, de la violence illimitée, de l'élimination physique instituée comme exercice banal d'écrasement de toutes les voix discordantes par le pouvoir en place. Des voix dissidentes à jeter hors monde, des voix dissidentes -dit-on, là-bas- à "kumesa", traduisez: à nettoyer.

Puis, il y a au sommet de ce pouvoir un homme emmuré sur lui-même se rêvant monarque absolu; un homme aspirant à un Burundi dans lequel sa seule et unique volonté ferait force et loi en lieu et place de la constitution et de l'accord d'Arusha, textes liant les Burundais les uns aux autres; un homme, du nom de Nkurunziza, prêt à saigner tout le sang de son peuple pour demeurer au pouvoir encore et encore; un homme, la conscience atrophiée, décidé à faire accepter à ses concitoyens et au monde, décidé à faire avaler à tous, par tous les moyens, comme moral et légal, l'inacceptable.

Messieurs les Présidents,

Disons les choses clairement, sans détours: lorsqu'on maltraite, on torture, on abat les hommes comme des bêtes sauvages, lorsque la barbarie s'installe, prospère, enfle comme un monstre, ne pas prendre clairement, concrètement, sans équivoque, position, ne pas bouger, relève tout simplement de la lâcheté la plus abjecte.

Trêve donc des mots sans saveurs et des palabres diplomatiques sans éclats ni éclairs. Des actes. Des actes parce que le commandement de répondre de l'autre, lorsqu'il n'est que palabre sans décision politique ni action ferme, concrète, demeure une chimère, demeure une supposition, un conte, une abstraction sans effet sur le mal à combattre.

Messieurs les Présidents,

Des actes car face à l'épouvante actuelle, il est de votre devoir d'homme, dans ces moments de glissement vers la barbarie, d'être du côté des écrasés de Bujumbura; il est de votre responsabilité de les protéger.

Des actes et vite, car chaque heure qui passe est vitale, déterminant; car chaque jour qui s'en va emporte une vie. Des actes, c'est-à-dire plus concrètement primo amener Nkurunziza -de gré ou de force- à respecter les textes fondateurs du vivre-ensemble là-bas, je vais parler de l'accord d'Arusha et de la Constitution limitant à deux le nombre des mandats présidentiels et à retirer sans délai donc sa candidature pour un troisième mandat; deuxio favoriser la mise en place d'un gouvernement de transition chargé de préparer les élections dans une période de 12 mois; tertio superviser le désarmement et le démantèlement des milices imbonerakure; quarto exiger la libération de tous les prisonniers politiques et l'arrêt immédiat de la pratique de la torture; quinto exiger le rétablissement sans délai des libertés civiles, politiques, du droit de manifester et du droit à l'information.

Des actes, Messieurs les Présidents. Des actes pour que ne revienne plus la triste mélopée des corps brutalisés, mutilés, jetés, des corps débris, déchets, désacralisés. Des actes aujourd'hui, maintenant: il est mieux indiqué de soulager les souffrances au présent que de jouer demain à guérir les morts avec casques bleus déployés et drapeaux humanitaires flottant au vent.

Messieurs les Présidents,

Nos regards sont tournés vers vous; nous comptons sur vous pour assumer notre commun devoir d'humanité. Sinon, inexorablement surgira en force -je ne sais quand- de nouveau, encore une fois, sur nos écrans le temps macabre de l'innommable. Et que la vie soit ainsi totalement saccagée parce que vos consciences languissaient dans une imperturbable insomnie éthique et l'histoire vous accusera éternellement de complicité et votre conscience en sera troublée à jamais.

Messieurs les Présidents,
C'est maintenant. Des actes. Des actes pour le Burundi.