Burundi news, le 14/05/2010
Burundi : Le gouvernement
doit garantir une tolérance zéro envers les violences électorales
Les autorités doivent démontrer qu’aucun des acteurs
politiques n’est au-dessus de la loi
(Bujumbura, le 14 mai 2010) – Avec
l’approche des élections qui doivent se dérouler dans quelques jours, et une
augmentation inquiétante des violences politiques, les autorités burundaises
doivent faire comprendre à tous les partis politiques et leurs partisans que nul
n’est au-dessus des lois, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui dans un
nouveau rapport. Les violences, si rien n’est fait, pourraient mettre un frein
aux progrès notables du Burundi vers la paix et la démocratie multipartite après
des années de guerre civile, a indiqué Human Rights Watch.
Le rapport de 51 pages, « ‘We’ll Tie You Up and Shoot You’: Lack of
Accountability for Political Violence in Burundi » (« Nous allons vous ligoter
et vous abattre : Les violences politiques restent impunies au Burundi »),
s’appuie sur quatre mois de recherches sur le terrain, à Bujumbura et dans
quatre provinces rurales. Le rapport décrit de nombreux incidents violents, dont
au moins un mortel, organisés par et contre des membres de partis politiques
comme moyen de régler des comptes politiques. La plupart des violences ont
impliqué le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la
démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) et son plus proche
adversaire lors des prochaines élections, les Forces nationales de libération (FNL).
À quelques exceptions près, la police a omis de procéder à des enquêtes
approfondies, et personne n’a été poursuivi dans la grande majorité des cas.
« Si la police et les autorités judiciaires ne
mènent pas d’enquêtes et ne punissent pas les agressions à motivation politique,
leurs auteurs continueront à se croire au-dessus des lois »,
a déclaré Georgette Gagnon, directrice de la Division Afrique à Human Rights
Watch. « La situation est déjà extrêmement tendue, vu
que de nombreux militants de partis sont armés et prêts à recourir à la violence
pour intimider leurs rivaux. »
Depuis septembre 2009, au moins sept affrontements
entre militants de différents partis ont fait de nombreux blessés. La plupart
des affrontements se sont produits entre des membres du CNDD-FDD et des FNL, qui
ont tous deux incité à ces heurts. D’autres partis, notamment le Mouvement pour
la solidarité et la démocratie (MSD), l’Union pour la paix et le développement (UPD),
et le Front pour la démocratie au Burundi (FRODEBU) ont accusé des membres de la
ligue de la jeunesse du CNDD-FDD, Imbonerakure,
d’avoir agressé physiquement leurs membres. Le FNL-Iragi, un groupe dissident
associé au CNDD-FDD, a formulé des accusations similaires contre les FNL.
Dans le cas le plus récent de violence grave, des
membres du CNDD-FDD et des FNL se sont affrontés à Ntega, dans la province de
Kirundo, le 9 mai. Un membre du CNDD-FDD a frappé à la tête Abraham Nshimirimana,
militant des FNL, avec un tambour en bois. Nshimirimana est mort des suites de
ses blessures deux jours plus tard.
La récente flambée de violence pourrait augmenter au
cours des cinq scrutins successifs prévus entre mai et septembre 2010 à moins
que les forces de l’ordre et les partis politiques eux-mêmes ne prennent des
mesures immédiates. Un membre des FNL à Kinama, au Bujumbura, a déclaré à Human
Rights Watch : « Même si le gouvernement nous a retiré
nos armes, nous en avons gardé quelques-unes pour nous protéger. Si un membre
des FNL est tué, nous nous battrons jusqu’au bout. Nous sommes tous des
ex-combattants. Le CNDD-FDD a des armes, nous avons des armes. »
« Ce genre de déclarations suggère un risque potentiel
de grave escalade dans la violence », a averti
Georgette Gagnon. « Certains militants de partis sont
convaincus qu’ils ont au-dessus de la loi, et d’autres, qui ont perdu la foi
dans le système judiciaire, prennent la loi entre leurs propres mains. »
Par exemple, le 2 mai, dans la commune de Kanyosha,
en Bujumbura Mairie, un camion conduit par des partisans du parti au pouvoir a
foncé dans une foule de partisans de l’opposition des FNL, renversant et
blessant légèrement une personne. Des membres des FNL ont riposté en déchirant
un drapeau du CNDD-FDD. Des jeunes du CNDD-FDD ont alors commencé à frapper des
membres des FNL.
Une jeune fille de 17 ans qui passait par là a
déclaré à Human Rights Watch : « Je revenais de la
permanence des FNL et j’ai vu un groupe de membres du CNDD-FDD. L’un d’eux me
connaissait et m’a désignée. Ils m’ont accusée de transporter des grenades pour
leur jeter dessus. Ils ont ouvert mon sac pour le fouiller et y ont trouvé une
casquette FNL. Ils ont commencé à me battre. » La
jeune fille, qui a dit avoir été frappée par trois hommes adultes, avait un œil
tuméfié et meurtri.
Une autre victime a déclaré : « Un membre d’Imbonerakure
est venu chez moi et m’a frappé avec un marteau, juste parce que je suis membre
des FNL. La police est arrivée et est intervenue. Ils l’ont arrêté brièvement,
mais l’ont libéré quelques heures plus tard quand ils ont appris qu’il était du
CNDD-FDD. » La victime s’est rendue au poste de
police le jour suivant pour déposer une plainte. On lui a donné une convocation
à remettre lui-même à la personne qui l’avait attaqué, qu’il n’a pas été en
mesure de localiser.
La police a déclaré à Human Rights Watch qu’elle
avait ouvert un dossier pour enquêter sur cet incident, mais n’a pas répondu aux
questions sur les raisons de la libération de l’auteur présumé.
Un membre des FNL a reconnu que le même soir, des
membres de son parti ont enlevé un membre du parti au pouvoir, l’ont emmené dans
une permanence du parti et l’ont battu. La police est intervenue, ainsi que des
hauts responsables des FNL, qui ont convaincu leurs partisans de libérer
l’otage. Quand les membres du CNDD-FDD ont vu à quel point l’otage avait été
battu, ils ont frappé les fonctionnaires des FNL qui avaient négocié la
libération et ont crevé les pneus de leurs véhicules. La police a aidé à sauver
un des fonctionnaires des FNL.
Plus tard dans la nuit, après le départ des
policiers, des membres du CNDD-FDD ont sillonné le quartier, arrêté des
véhicules et battu les membres des FNL qu’ils ont trouvés dans les véhicules ou
dans la rue. La police est revenue vers 1 heure du matin et a rétabli l’ordre.
« La police a fait quelques
progrès dans l’intervention dans les incidents violents, mais son action semble
s’arrêter là », a expliqué Georgette Gagnon. « La
police n’arrive pas à établir de responsabilité pour ces incidents. »
Dans les cas les plus récents de violences politiques
documentés dans le rapport, la police n’a identifié aucun responsable, a arrêté
des suspects mais les a immédiatement libérés, ou bien n’a arrêté que des
membres de l’opposition, laissant les membres du parti au pouvoir s’en tirer. La
police doit également maintenir une présence préventive dans les quartiers
connus comme étant exposés à la violence liée aux élections, a ajouté Human
Rights Watch.
Dans quelques cas, la police semble avoir mené des
enquêtes approfondies et impartiales, bien que parfois après de faux départs.
Quand une grenade a été lancée à Kinama le 10 avril lors d’un affrontement entre
membres du CNDD-FDD et des FNL, la police a arbitrairement arrêté plus d’une
dizaine de membres des FNL, emprisonnant certains d’entre eux dans un site de
détention illégal. Tous ont été libérés quelques jours plus tard. Cependant, la
police a déclaré le 6 mai à Human Rights Watch qu’après des enquêtes en cours,
ils avaient identifié un membre du CNDD-FDD comme suspect probable et qu’ils
allaient transférer le dossier au parquet.
L’impunité dont ont bénéficié les agresseurs a été
particulièrement frappante dans les incidents impliquant des fonctionnaires de
haut niveau, comme dans le cas de Jean Baptiste Nzigamasabo, un député du CNDD-FDD
qui, selon de nombreux témoins, a dirigé à Kirundo une bande de jeunes du parti
au pouvoir dans une attaque contre des membres des FNL en janvier. Les
assaillants ont scandé : « Nous allons vous attacher
et vous abattre », alors qu’ils lançaient des pierres
sur les membres des FNL, blessant grièvement au moins deux d’entre eux.
Nzigamasabo n’a pas été interrogé par les autorités judiciaires sur son rôle
dans l’attaque.
Le rapport de Human Rights Watch décrit un certain
nombre d’autres incidents survenus entre septembre et avril, la plupart à
Bujumbura, à Kirundo, à Cibitoke et à Bubanza. Ils comprennent l’assassinat
encore non résolu de Sylvestre Niyonzima, un militant de l’UPD abattu en
janvier. Une enquête menée par le procureur de Bubanza n’a abouti à aucune
arrestation ; la famille et les collègues de Sylvestre Niyonzima soutiennent que
l’assassinat avait des motifs politiques.
Human Rights Watch a averti que des élections libres
et justes ne peuvent avoir lieu dans une atmosphère de peur ou de déni de
justice. Le rapport invite les observateurs électoraux nationaux et
internationaux à ne pas seulement documenter les cas de violence politique, mais
aussi à contrôler l’accès des victimes à la justice.
« Les autorités de l’État et les chefs de partis
politiques devraient faire des déclarations claires soulignant que les violences
liées aux élections ne seront pas tolérées, et devraient appuyer ces
déclarations en dénonçant, en enquêtant sur, et le cas échéant, en poursuivant
les crimes à motivation politique », a conclu
Georgette Gagnon. « Les bailleurs de fonds
internationaux – qui constituent la principale source de financement de la
police et du système judiciaire du Burundi – devraient insister sur cette
exigence de tolérance zéro pour les violences électorales. »
Contexte
Les élections prévues entre le 21 mai et le 7
septembre suivent la fin d’une guerre civile de près de 16 ans, de 1993 à 2009.
Elles comprennent des élections communales (municipales) le 21 mai ; une
élection présidentielle le 28 juin ; les élections législatives les 23 et 28
juillet ; et les élections de colline
(village) le 7 septembre. Les candidats de plus de 20 partis sont en lice pour
les élections – une preuve des progrès accomplis par rapport au parti unique
d’avant la guerre – bien que certains aient été confrontés à des restrictions
illégales sur les réunions et aient été soumis à des arrestations arbitraires.
Les deux prétendants principaux, le CNDD-FDD et les
FNL, sont tous deux des anciens groupes rebelles hutus qui ont combattu une
armée en grande partie tutsi pendant la guerre. Le CNDD-FDD a déposé les armes
en 2004 et a remporté avec une nette majorité des élections en 2005 qui ont été
jugées comme généralement libres et équitables. Les FNL ont continué la lutte
jusqu’en 2009.
Le conflit militaire entre les deux partis s’est
transformé en une compétition politique pour obtenir le soutien de l’électorat
hutu majoritaire. Avec de nombreux anciens combattants parmi les partisans des
deux partis, dont certains sont toujours armés, des assassinats politiques et
d’autres attaques ont eu lieu au cours des derniers mois des négociations de
paix et ont continué même après le processus de désarmement officiel des FNL en
avril 2009. Une série de meurtres à motivation apparemment politique en 2008 et
en 2009, documentés dans le rapport de Human Rights Watch de 2009, « La
quête du pouvoir », n’ont abouti à aucune
condamnation.
Bien qu’il y ait eu moins de meurtres politiques ces
derniers mois, d’autres formes de violence ont augmenté depuis 2009, avec des
dizaines de militants blessés depuis janvier, souvent lors d’affrontements avec
jets de pierres, mais parfois à la machette ou à la grenade. Dans plusieurs cas,
des incidents violents qui n’ont pas reçu l’attention voulue ont été suivis par
d’autres incidents dans la même localité ou entre les mêmes individus,
démontrant ainsi le potentiel pour des cycles de vengeance.
Le président Pierre Nkurunziza, qui se présente pour
un second mandat sous la bannière du CNDD-FDD, a récemment condamné les
violences politiques. Après que des militants du parti ont fracassé la vitre
d’un véhicule appartenant à des journalistes qui couvraient les violences du 10
avril à Kinama, le président a déclaré lors d’une conférence de presse que les
responsables devraient être punis. Le 5 mai, au lancement de la campagne
électorale, il a déclaré que tout membre du CNDD-FDD qui serait reconnu comme
ayant participé à de telles violences serait traduit en justice. Le chef des FNL
et candidat à la présidentielle, Agathon Rwasa, a également condamné les
violences dans ses discours. Cependant, aucun des deux partis n’a facilité
d’enquête policière ou judiciaire sur le comportement de ses membres.