BURUNDI
LES HEROS ANONYMES
Paru dans Nouvel Afrique asie
Par Nestor Bidadanure
Combien étaient-ils ? Des
centaines ? Des milliers ? Nul ne peut le dire avec exactitude. Ils ont tous dit
non à la barbarie de l’ignorance au périr de leur vie. Ils se sont dits « nous
sommes du genre humain et par conséquent, aucune menace ne nous fera descendre
dans l’inhumanité ». Quand sonna le glas, ils restèrent solidaires de leurs
frère de fortune et la terreur ne put venir à bout de leur courage.
Burundi 1993, le ciel est rouge de
sang
Nous sommes le 20 Octobre 1993
le premier président élu démocratiquement Melchior Ndadaye, vient d’être
assassiné dans un putsch manqué organisé par un groupe de militaires. Au même
moment trois éminentes figures du parti au pouvoir sont fauchés par les balles
des putschistes. D’autres auront la vie sauve grâce à la protection des
militaires anti-putschistes, ou la bienveillance de certaines ambassades
occidentales qui les cachent. L’espérance d’un Burundi stable que les élections
avaient suscitée est brisée. L’horizon s’assombrit. En réaction au putsch, des
messages ambigus d’appel à la résistance populaire sont lancés par certains
dirigeants du Front pour la Démocratie au Burundi, le parti vainqueur des
élections de 1993, le FRODEBU. Elles sont interprétées par les militants et une
partie de la population comme un appel à la chasse à leurs compatriotes Tutsis
et aux Hutus de l’opposition. Des barricades sont érigées sur les routes et les
massacres à la machette font plus de cent milles victimes à moins de dix jours
et c’est le début de la guerre qui n’en finit pas de faire des victimes jusqu’à
aujourd’hui. Les campagnes sont particulièrement touchées : les rescapés
affluent de partout et s’installent dans des camps de fortune. De nombreuses
familles sont dispersées et n’ont pas de nouvelles de leurs proches. Chaque jour
est un calvaire pour celles qui ne savent ce que sont devenus leurs enfants. Au
fil des nouvelles de massacres qui commencent à filtrer, les jeunes tutsis qui
apprennent la mort de membres de leur famille se regroupent et reproduisent la
même logique simpliste, globalisante et infernale contre leurs compatriotes
hutus. Pour les groupes dits les « sans échec et sans défaite » parfois
manipulés par les politiciens extrémistes, l’ennemi est le Hutu de par son
origine et peu importe qu’il ait tué ou non. Avec une telle vision de l’autre,
nous entrons dans le degré zéro de la politique : le débat d’idées se meurt et
la fracture ethnique cache la fracture sociale. La crise s’étend dans la
capitale Bujumbura où les miliciens hutus et tutsis prolifèrent et s’affrontent.
Les épurations ethniques menées par les miliciens hutus chassent les Tutsis des
quartiers Kamengue et Kinama alors que celles des miliciens tutsis chassent les
Hutus de Ngagara et de Musaga et Nyakabiga. Le piège ethnique se referme sur le
pays et à la fragmentation ethnique s’ajoute la fragmentation géographique.
Chaque jour, les corps des victimes jonchent les rues et les grenades explosent
à tout bout de champs. D’aucuns se demandent comment sortir de l’impasse. La
plupart des médias étrangers comme nationaux parlent plus du conflit opposant
les extrémistes hutus et tutsis et oublient les autres. Ceux et celles qui
refusent d’être enfermés dans une identité qui fige leur citoyenneté, leur
humanité dans un ghetto ethnique et qui risquent tout pour sauver les victimes
de la barbarie ethnique. Ces héros anonymes vont transformer leur indignation en
résistance. Ils furent et restent les derniers remparts de la nation burundaise.
La résistance
s’organise.
Excédé par les massacres contre les innocents, le vieux Pie
Ndadaye, le père du président assassiné, s’adresse à la population burundaise en
ces termes « personne n’aime mon fils plus que moi son père. Je vous interdis de
tuer en son nom. J’ai perdu un fils je n’ai pas envie d’en perdre d’autres ». Il
réussit à faire en sorte que dans sa commune de Nyabihanga personne ne soit tué.
Quand nous lui demandons, quelques mois plus tard où il a trouvé la force d’agir
pour la paix dans un moment aussi douloureux pour lui et les tiens, il nous
répond « dans la tradition burundaise à partir d’un âge avancé on se considère
comme le père des plus jeunes. En outre, je ne pouvais souhaiter qu’un autre
parent souffre le calvaire que j’ai souffert ». Laurence Ndadaye, l’épouse du
président assassiné, trouvera en elle la force nécessaire, malgré le deuil, pour
écrire une longue lettre dans laquelle elle implorait la population d’arrêter de
s’entretuer et appelait les politiciens à la modération. Ni la colère ni la
douleur ne réussiront à enlever à la famille Ndadaye la dignité et la compassion
envers d’autres victimes. Alors que la terreur règne dans les campagnes, des
réseaux de femmes hutus se mettent en place pour secourir les victimes. Dans la
journée, elles cachent les familles recherchées par les tueurs, et la nuit,
elles les font sortir clandestinement des zones à risque. Après avoir vécu le
cauchemar de la dispersion et de séparation avec leurs enfants, quelques
familles auront l’heureuse surprise de les retrouver vivant quand revient
l’accalmie. Certains enfants cachés ont étés découverts par les tueurs, mais les
familles ont refusées d’obtempérer aux ordres des assassins. Un vieux sommé de
rendre les enfants qu’il cachait par une foule armée de machettes leur dit « Oui
j’ai huit enfants sous ma protection et je ne vous les donnerai pas. Vous ne
pourrez accéder à eux qu’après m’avoir tué. Mais je vous avertis si vous touchez
à leur sang aucun de vous ne vivra en paix : Je vous maudirai » Devant la
détermination du vieil homme, le miracle se produisit : les tueurs se retirèrent
promettant de revenir plus tard. Les enfants furent sauvés. Souvent, les
protecteurs des victimes furent massacrés avec leurs protégés. Mais nombreux
préférèrent la mort à la lâcheté comme l’illustrent les mots d’un homme blessé
par balle et qui, voyant son fils en larme lui dit « ne pleure pas car si je
dois mourir j’aurais au moins la joie d’avoir refusé jusqu’au bout de toucher le
sang des innocents »
Pendant ce temps dans la province de Gitega au centre du Burundi
une femme, Maguy lutte contre vents et marées pour récupérer les orphelins. Elle
recueille les enfants de tous âges et de toutes ethnies. Elle les réconforte,
les soigne et essaie tant bien que mal de leur trouver de quoi se nourrir. Elle
risquera sa vie plusieurs fois mais refusera d’abandonner les enfants. La maison Shalom qu’elle a fondée accueille aujourd’hui près de dix mille orphelins. Alors
que dans la capitale Bujumbura les épurations continuent que de nombreuses
familles ont été chassées de leurs habitations, les femmes hutus et tutsis
s’organisent. Elles préparent les repas qu’elles amènent à leurs voisins devenus
des réfugiés intérieurs. Elles leur fixent des rendez-vous dans des lieux
neutres et les ravitaillent régulièrement. Par ces actions, le lien social que
les extrémistes de tout bord essaient de couper se trouvent renforcer par la
créativité de la résistance des humbles gens. De son côté l’Organisation de la
Jeunesse pour le Future, OJF, met en place un réseau d’entraide qui essaie de
trouver des cachettes aux personnes ciblées par les miliciens en attendant que
passe l’orage. Mais encore plus structurée et plus déterminée fut l’initiative
Civique Rundi, ICERU. Cette organisation de la Jeunesse mena une véritable
résistance contre les miliciens extrémistes. Fred Ngamiye : « nous ne pouvions
accepter que les gens soient assassinés tous les jours pour être nés de tel ou
tel groupe ethnique. Nous avons exfiltré les familles menacées de mort et
combattu les tueurs de tout bord. Nous continuons aujourd’hui à organiser les
camps de solidarité de la jeunesse durant lesquels nous construisons les maisons
pour les rescapés en situation de détresse. Nous agissons pour l’unité de notre
peuple. Il se pourrait que la marche vers la liberté au Burundi soit encore
longue mais nous savons qu’au bout du tunnel il y’a la lumière ».
