Burundi news, le 25/04/2008

 Par Jean Marie Ngendahayo

Hommage (tardif !) à Aimé Césaire

 

Je n’ai pas parcouru toute la presse nationale, encore moins les sites du net qui écrivent sur le Burundi. Je ne sais donc pas si il y a eu des hommages burundais plus ou moins officiels en l’honneur du poète Martiniquais Aimé Césaire.

 

Je voudrais, pour ma part, donner un témoignage de l’impact de ce grand homme du mouvement littéraire et politique que fut et que reste, dans une certaine mesure, la Négritude dans le monde.

 

Aimé Césaire est mort la semaine dernière et ses obsèques ont eu lieu ce dimanche 20 avril 2008 à Fort-de-France. Césaire nous a tous marqué tant que nous sommes à la faculté des Lettres de Bujumbura. Certains ont même fait leur mémoire ou leur thèse sur son œuvre littéraire et/ou son engagement politique. Je l’ai connu par les lettres, Césaire. Mais je l’ai davantage aimé  pour son engagement politique et humain ; pour son amour de l’universel qui ne peut que passer par l’affirmation de son identité propre face au reste de l’humanité. Mais peut-on dissocier l’œuvre de l’action ? Elles sont intimement liées dans le cas qui nous occupe. Et cet alliage de l’esprit et de la lettre a forgé un diamant d’une belle eau aux multiples facettes et aux fulgurances éblouissantes de vérité et de poésie. Beaucoup ont parlé du mouvement de la Négritude, ses débuts, son évolution, les critiques des nouvelles générations de poètes Négro-Africains qui ne s’y reconnaissent plus. Ou du moins, le pensaient-ils… Pour ma part, l’une des plus belles analyses de ce mouvement a été faite par Jean-Paul Sartre avec son texte « Orphée Noire » qui fut la préface d’un recueil de poèmes présenté par Léopold-Sédar Senghor. Sartre montre et démontre avec éclat que la Négritude est une réponse aux humiliations faites aux peuples noirs ; il compare le mot-insulte « nègre » à une pierre leur jetée au front que les poètes ont ramassé et lancé en retour à l’adresse des agressions. La revendication de la Négritude existera aussi longtemps qu’il n’y aura pas « une dialectique, écrit Sartre, qui doit amener à la réalisation de l’humain dans une société sans race ». J’ajouterais en disant : une société où toutes les races se respectent, si race il doit y avoir…

 

En 1984, lors de l’inauguration du Musée Vivant de Bujumbura par le meilleur ministre des Arts et de la Culture que nous ayons jamais eu en la personne du professeur Emile Mworoha, nous avons monté un Sons & Lumières sur le théâtre de verdure. Ce projet avait été soutenu par la coopération française et tout particulièrement  par le directeur du Centre Culturel Français de l’époque. Ce fût un véritable travail d’équipe et d’amis qui ont rassemblé un kaléidoscope de textes de la littérature négro-africaine et de la musique noire d’Afrique et de la diaspora pour les accompagner. Nous avons invité Senghor, Langston Hugues dans ses textes originaux en Anglais qui furent lus par une Afro-américaine de l’ambassade des Etats-Unis, Edna Taylor. Birago Diop et des textes de prose du professeur Ki Zerbo. Le spectacle refaisait l’histoire de l’Afrique noire et ses peuples des origines à nos jours. Le jazz s’est mêlé à l’Inanga et la flûte traditionnelle aux sonorités modernes africaines. Armstong a fraternisé avec Bitagoye en musique et Jean-Marie Nindorera a donné la réplique à Marie-Louise Bankumuhari sur de la poésie. Avec beaucoup d’autres, ils ont lu avec brio des textes créateurs de mythes anciens et fondateurs d’empires et de grands royaumes. Des voix inoubliables ont dit des textes, pour sûr, éternels !

 

A la fin du spectacle, il y eut une magnifique chorégraphie de  Francine Katikati sur le texte d’Aimé Césaire que j’ai eu l’insigne honneur de réciter : « Pour Saluer le Tiers Monde ». Tout le texte avait été enregistré, et je me souviens qu’avec l’ingénieur du son Français, Claude Thévenet qui aimait le travail bien fait, nous y avions travaillé de 14 :00 à minuit !  Et dans ce texte, Césaire parle deux fois de notre région des Grands Lacs en ces termes :

            (…)

            Ecoutez

            de mon île lointaine

            de mon île veilleuse

            je vous dis Hoo !

            et vos voix me répondent

            et ce qu’elles disent signifie :

            « Il y fait clair ». Et c’est vrai !

            même à travers orage et nuit

            pour nous il y fait clair.

            D’ici je vois Kivu vers Tanganyika descendre

            par l’escalier d’argent de la Ruzizi

            (C’est la grande fille à chaque pas

            Baignant la nuit d’un frisson de cheveux)

 

            d’ici, je vois noués

            Bénoué, Logone et Tchad ;

            liés, Sénégal et Niger.

            Rugir, silence et nuit rugir, d’ici j’entends

            Rugir le Nyiragongo.

 

Césaire a écrit une pièce de théâtre qui relate la tragédie du héros de l’indépendance de la République Démocratique du Congo comme si il s’y trouvait. Dans « Une Saison au Congo ». Lumumba est d’une vérité à la fois  émouvante et exaltante.

 

Nous t’avons tant aimé, cher Aimé ; nous t’avons lu, nous t’avons brillamment joué. Le père  jésuite, Jean-Pierre De Wilde avec sa « Féerie Africaine » constellée de tes joyeux poétiques au Collège et sa création de « La Tragédie du Roi Christophe «  avec cet admirable comédien que fut Jean-Cyprien Binama Bya Yuhi.

 

Mais que retenir de toi, de l’homme ?

Sans doute, qu’il nous faut découvrir son identité et son histoire avant de commercer avec le reste du monde. A n’en pas douter, tu nous invites aussi à l’intransigeance et à la vigilance intellectuelle et morale pour que nous, les Nègres, nous nous fassions respecter pour ce que nous valons par notre contribution à l’édification d’une civilisation humaine plus juste.

 

 Eïa pour le poète, Eïa pour l’éveilleur des consciences !

 

 

Jean-Marie Ngendahayo

Le 25 Avril 2008

Bujumbura