
Burundi news, le
11/01/2010
Québec city,
Pierre Claver Niyonkuru
L’octroi des indemnités de
fin de mandat : à qui cela profite ?
Il est difficile d’attendre un véritable changement d’un
politicien. Quand il est dans l’opposition, il promet tout pour accéder au
pouvoir, une fois au pouvoir, la réalité devient toute autre. Tout ce qu’il
croyait faisable devient difficile. Discutez avec vos amis, qui, hier, dans
l’opposition nous promettaient monts et merveilles, aujourd’hui, à propos des
promesses non tenues ou même de certains reculs par rapport à avant leur prise
de pouvoir, ils vous diront biragoye ( c’est difficile).
En réalité, un politicien au pouvoir ne change jamais les choses,
encore moins ce qui lui est favorable. Cela n’est d’ailleurs pas propre au
Burundi ni à l’Afrique, c’est partout comme ça. Un dirigeant opère un changement
uniquement lorsqu’il y est contraint par le peuple. A ce sujet, j’admire le
peuple burundais parce qu’il a pris ses responsabilités. Nous avons dit non à l’Uprona
et au Frodebu respectivement en 1993 et en 2005. Nous avons dit non au Major
Pierre Buyoya, lui qui voulait ( j’ignore que ce n’est plus sa volonté)
s’imposer comme le seul individu capable de diriger le Burundi. Je crois aussi
que nous allons continuer à dire non à d’autres aventuriers.
Actuellement, le sujet à la une dans les salons des Burundais de
la diaspora, c’est l’indignation causée par l’octroi des indemnités aux
mandataires politiques en fin de mandat. Si cette mesure peut être
politiquement ou même légalement défendable, elle demeure inopportune et
illégitime.
Je suis loin de m’opposer au principe d’octroyer des indemnités à
ceux qui ont géré les destinées du pays pendant un certain temps. Cependant, vu
la situation économique du pays, la misère de la population et la récession que
connaît le monde, il est inconcevable que des dirigeants responsables se
permettent un tel luxe.
Ce qui est marrant, c’est la manière dont les députés, même les
dures opposants du régime, sont tous d’accord quand vient le temps de s’octroyer
des privilèges. Un jour du début de l’année 2009, je suivais une conférence
d’un député burundais de l’opposition à Bruxelles, ce dernier affirmait qu’ils
n’ont pas de problèmes à s’entendre quand il s’agissait de leurs avantages. Et
d’ajouter que c’est l’une des rares choses sur lesquelles les députés
s’entendent le plus. Curieusement, il était fier de nous le dire !
Ces indemnités vont
paralyser davantage le système économique
On ne peut pas dire que nous avons un véritable système
économique au Burundi. Chez nous, il est normal que quelqu’un qui gagne 100
dollars par mois paye un loyer de 200 dollars alors qu’il a une famille à faire
vivre et que sa présence est quasi obligatoire dans le bar chaque soir. On ne
sait pas d’où viennent ces revenus. Le major Buyoya appelait cela
kwiyungunganya, se débrouiller, n’est ce pas le fameux article 15 de Mobutu.
Après tout, la chèvre broute là où elle est attachée…. En 2005, obsédé par
l’idée de changement dans notre patrie, je croyais que l’avènement des nouveaux
décideurs va changer les choses. Je fondais mon espoir sur le passé et
l’idéologie des nouveaux maîtres de Bujumbura. Hélas, comme aime me le répéter
un ami, il est difficile de changer quelque chose qui s’appelle système.
Quand tu viens d’y arriver, tu es confronté à des nouvelles réalités et il te
revient de t’aligner, si tu ne veux pas y laisser ta peau ou alors de foutre le
camp. Chez nous, on opte souvent pour l’alignement et de manger comme l’ont fait
nos prédécesseurs.
Deux économies cohabitent de nos jours : une économie formelle
dans laquelle l’État
fait semblant de payer ses fonctionnaires et eux font semblant de travailler.
Rares sont les fonctionnaires qui peuvent prétendre joindre les deux bouts du
mois grâce à leur salaire, du moins leur salaire officiel. L’autre économie est
celle au sein de laquelle tout se passe. Chacun essaye de maximiser parce qu’on
ne sait pas ce qui se passera demain ( traffic d’influence, corruption à
outrance, malversations économiques, missions et dépenses fictives, … ). Je
reconnais toutefois qu’il y a des fonctionnaires honnêtes qui se débrouillent
par exemple en construisant un petit kiosque à côté de leur maison pour pouvoir
joindre les deux bouts du mois. Cette catégorie n’a pas une large marge de
manœuvre, généralement c’est ceux qui n’ont pas accès à la caisse. Même quand
ils font une grève pour chercher à améliorer leur situation, ils risquent la
prison ou tout est mis en œuvre pour arrêter leur mouvement.
Les indemnités de fin de mandat améliorera uniquement la
situation de nos excellences et honorables. Pour bien comprendre l’arrogance de
nos députés, faîtes l’erreur d’appeler un députer par son nom, celui qu’il porte
depuis sa naissance, sans ajouter le titre honorable, vous verrez comment il va
vous foudroyer. Bientôt, ils vont revendiquer qu’on les appelle vénérable. Mon
but n’est pas de leur enlever l’honneur que leur a fait le peuple en votant pour
eux, mais ce titre devrait les rendre encore plus humbles, il devrait faire
qu’ils servent au lieu de se servir. Eux qui gagnent déjà des gros salaires, qui
abusent du système et qui s’enrichissent au dos du contribuable, le même
contribuable doit les remercier à la fin de leur mandat. Je souligne en passant
que ces personnes que le peuple doit remercier n’ont pas nécessairement rendu un
bon service au pays.
Ces indemnités vont accroître l’écart entre les riches et les
pauvres. Je crois que l’un des éléments fondamentaux de l’économie du pays est
la circulation de la monnaie. Les politiciens, d’où qu’ils viennent, pourront
nous faire rêver, mais aussi longtemps que la monnaie se trouve entre les mains
d’un groupe d’individus, l’économie du pays ne va jamais décoller. Et
malheureusement, tous les régimes qui se sont succédés à Bujumbura ont échoué à
changer cette donne, l’argent est resté dans les mains d’un petit groupe
d’individus. La seule chose qui a été faite est de changer les acteurs, jamais
les scénarios.
En octroyant ces indemnités, on augmente les revenus des mêmes
riches et l’économie du pays va en souffrir davantage.
A cause de ces indemnités,
plus d’amour pour la politique
La seule façon de s’enrichir au Burundi est de faire la
politique, c’est le cas pratiquement dans tous les pays africains. Apres une
longue observation, on s’enrôle dans une formation politique, celle au pouvoir
ou qui a des fortes chances de remporter les prochaines élections et ainsi on
peut espérer la nomination à un poste et bénéficier les privilèges qui vont avec
le poste. Quelqu’un me disait qu’il y avait moyen de bien gagner sa vie en
faisait du business. Le problème est que même les hommes d’affaires sont, de
près ou de loin des politiciens. En effet, le seul client sérieux au Burundi
c’est l’État
et quand tu n’es pas membre du parti au pouvoir ou tout au moins son
sympathisant, tu n’as pas de marchés. Ainsi, les hommes d’affaires au Burundi
passent leur temps à effectuer des sondages pour savoir vers où va souffler le
vent. Ne connaissez-vous pas des hommes d’affaires qui sont passés de l’Uprona
au CNDD-FDD en passant par le Frodebu. Et bientôt, on ne sait pas dans quel
parti ils vont prendre leur carte de membre. J’en connais qui, pour simplifier
les choses, cotisent partout et quelque soit le gagnant c’est business as
usual.
Je connais beaucoup de professionnels qui ont servi leur pays
pendant toute leur vie et qui continuent à vivre leur vie de misère. Et allez
voir, les maisons que construisent les détenteurs des postes politiques depuis
quelques années, moins de cinq. Le style de vie qu’ils mènent,….
Les indemnités que le Parlement vient d’offrir aux dirigeants
vont contraindre tout le monde à chercher une carrière politique. Les autres
postes seront occupés en attendant une opportunité politique. Nous risquons
d’avoir, c’est déjà le cas d’ailleurs, un pays où tout le monde est
pseudo-politicien. Combien de diplômés en médecine, en enseignement ou dans un
autre domaine professionnel voudraient passer toute leur vie en faisant le
métier pour lequel ils sont formés ? Très peu, s’il y en a ! Pourquoi ? Parce
qu’il est difficile de bien gagner sa vie sans faire la politique.
En fait, avec les 2 millions de dollars que nous allons octroyer
au président en fin de mandat, nous allons avoir des batailles encore plus
farouches pour occuper le fauteuil présidentiel. Imaginez-vous qu’il suffira de
faire un seul mandant pour devenir millionnaire en dollars, wow !
Au Canada, un pays riche il faut le souligner, il y a des
premiers ministres, l’équivalent d’un président dans notre système, qui ne sont
pas millionnaires en dollars alors qu’ils ont occupé ce poste pendant 10 ans.
Donc, le poste de président va être une garantie pour devenir millionnaire en
dollars. En plus de toutes les sommes d’argent qu’un président va accumuler
pendant son régime et d’être sénateur à vie, bénéficier de 2 millions de
dollars…voilà qui va augmenter le nombre d’aventuriers qui veulent à tout prix
devenir chef d’
État.
Comprenez-moi bien, je ne voudrais pas que les ex présidents burundais soient
pauvres après leur fonction, mais qu’un pays aussi pauvre que le Burundi accorde
2 millions de dollars à un ancien chef d’État
est une aberration est une moquerie à la misère de notre population.
De plus en plus de Burundais croient que la politique est l’art
de mentir, que tout le monde entre en politique pour s’enrichir. En tant que
politologue, je crois qu’il y a toujours moyen de faire une politique saine et
de se mettre au service de son pays en tant que politicien. Pierre Nkurunziza,
notre actuel président, lorsqu’il était ministre de la bonne gouvernance avait
crié haut et fort que ce genre d’indemnités constitue une dilapidation des biens
publics et il s’y opposait farouchement. Il a attiré la confiance d’une grande
partie de la population burundaise. Je crois que rarement dans l’histoire du
Burundi post-coloniale, un dirigeant a eu au tant de popularité que Nkurunziza
et son parti à la sortie du maquis. Aujourd’hui, qu’en est-il excellence
monsieur le président ? Depuis 2005, y-a-il eu des changements importants dans
l’économie du pays qu’on peut se permettre ce luxe ? Voilà la différence entre
un politicien à l’opposition et celui au pouvoir, c’est le jour et la nuit !
Toutefois, parlant de ces indemnités, il revient aux dirigeants
actuels d’être des bons gestionnaires et d’arrêter de se tailler toujours la
part du lion quand la misère fait rage dans ce pays de Mwezi Gisabo. Chez nous,
on a toujours en 2009 des individus, des responsables de famille, qui ont de la
peine à avoir 1000 Fr. Bu., un dollars, et nos élus se partagent des milliards.
En fait, tout dépendra de ce que veut le président et son entourage, s’ils
veulent passer dans l’histoire comme des dirigeants qui ont soutenu le pillage
du pays, ils en ont l’opportunité. Et s’ils veulent que l’histoire se souvienne
d’eux comme des dirigeants qui ont protégé les biens publics , tout au moins en
s’opposant à ces indemnités, ils en ont également l’opportunité. Dans tous les
cas, personne n’arrêtera le verdict de l’histoire.
L’expérience m’aura appris que l’on ne peut pas faire une
politique saine sans d’abord et avant tout penser à l’économie. Je me rappelle
qu’à la faculté, les économistes et les politologues se disputaient la première
place : les économistes défendaient que c’est l’économie qui est à la base de la
politique, alors que les politologues étaient convaincus que c’est la politique
qui donne les lignes directrices à l’économie. Même si je crois que la politique
est le master de la vie en société, je demeure convaincu qu’un politicien
doit, dans un premier temps, penser économie. Donc, au lieu d’enrichir ceux qui
le sont déjà, notre pays devrait penser à investir ce magot dans des projets de
microcrédits afin que la machine économique tourne. C’est ainsi que le peuple se
dira qu’il y a eu un léger mieux entre les gestion d’hier et celle
d’aujourd’hui.
