Votre Excellence,
Après plus de quatre décennies d’une dictature militaire qui a régné, presque ininterrompu, par terreur, massacres et même par génocide (physique et intellectuel, le point culminant étant l’année 1972), le scrutin d’Août 2005 a suscité l’optimisme pour des millions des Burundais.
Lettre ouverte à Mr. Pierre Nkurunziza, Président de la République du Burundi.Bujumbura, le 29 Décembre 2006
Objet : Etat de la direction du gouvernement, à peine une année après l’arrivé au pouvoir du CNDD-FDD
Excellence,
Au nom de la Paix,
Au nom de la Démocratie et la Justice pour lesquelles des rivières de sang des filles et fils du Burundi ont été versé,
Au nom de la Dignité et l’Egalité, en l’absence desquelles l’être humain sera toujours contraint à s’insurger contre son propre gouvernement,
Au nom du Peuple Burundi, qui vous a témoigné, vous et votre parti, une grande confiance en vous accordant un mandat de 5 ans à la direction de la nation,
Au nom de Dieu le Tout Puissant en qui vous témoignez personnellement une énorme foi, à croire vos dires,
Permettez-moi de m’adresser à vous en tant qu’un citoyen très concerné par l’état de la direction du gouvernement du pays, à peine une année après votre arrivé au pouvoir.
Votre Excellence,
Après plus de quatre décennies d’une dictature militaire qui a régné, presque ininterrompu, par terreur, massacres et même par génocide (physique et intellectuel, le point culminant étant l’année 1972), le scrutin d’Août 2005 a suscité l’optimisme pour des millions des Burundais. Le « pouvoir du peuple, exercé par le peuple dans l’intérêt de ce dernier » devra désormais être la seule règle du jeu. L’élection qui a conféré votre parti et vous-même un mandat politique important était l’expression d’une vive volonté populaire de vouloir en finir avec la tyrannie et les injustices qui ont toujours été exercé contre le peuple. On espérait tous qu’enfin, l’histoire serve de leçon. L’engagement solennel que vous avez fait devant la Nation de doter le pays des institutions basées sur un fondement de la démocratie et de bonne gouvernance était rassurant, et vous en avez de pleines capacités de le réaliser. Selon vous, un dialogue franc et sans faux-fuyant avec le PALIPEHUTU-FNL allait être favorisé pour assurer une inclusion et une stabilité nationale et ainsi octroyer une paix durable aux masses populaires qui vous avez mis au pouvoir pour ces mêmes raisons. L’Espoir d’un Burundi nouveau, démocratique, plus juste et paisible allait enfin devenir une réalité. Cependant, seulement quelques jours après votre accession au pouvoir ont suffi pour que cet Espoir s’évanouisse.
Excellence,
A peine une année au pouvoir, le bilan affiché par le CNDD-FDD rivalise sérieusement avec celui des régimes tel que Micombero. L’histoire s’en souviendra ! A la grande surprise de tous et surtout à l’encontre des promesses tenues au peuple, votre gouvernement a militarisé la politique du rétablissement de la Sécurité et la Paix (en vous fixant trois mois pour en finir avec les combattants du PALIPEHUTU-FNL). Par la torture, la prison ou la mort, les victimes parmi les populations civiles se comptent par milliers. Pour moi, le plus curieux ne sera pas l’acte lui-même, mais plutôt votre bonne connaissance de l’échec assuré à ce plan, car vous-même ayant été chef d’un mouvement rebelle, vous étiez sans doute au courant qu’une victoire militaire totale contre les FNL (ou tout autre rébellion déterminée et bien implantée dans le pays) était inconcevable. Partout dans le pays, les ‘Forces de l’Ordre’ ont endeuillé la population, allant jusqu’à massacrer mêmes des prisonniers, quoique qu’ils ne représentaient plus de danger pour qui que ce soit ! Avec un comportement de « Forces Conquérantes », tout au long de l’année (et quelques mois) du régime CNDD-FDD, les ‘Agents de l’Ordre’ continueront à semer la terreur et humilier le peuple, inlassablement … Pourtant, le peuple que vous humiliez aujourd’hui, c’est lui qui hier vous a caché, protégé, nourri et donné ses filles et fils pour se battre et/ou mourir pour la « Démocratie ». Quel paradoxe, Monsieur le Président !
Excellence,
J’ose espérer que vous étiez au courant que presque la quasi-totalité des familles au Burundi ont été, de loin ou de prêt, victimes des massacres et injustices répétitives, à caractère ethnique, perpétrées par l’Etat contre le peuple durant toute l’histoire contemporaine du Burundi indépendant. A mon avis, la haine interethnique nécessitait un projet sérieux de réconciliation nationale : une justice réconciliatrice dont l’objectif principal serait de responsabiliser les coupables et aussi permettre les familles de pleurer les leurs en paix et avec dignité. Malgré cela, vous avez procédé à la nomination de certaines personnalités dans l’administration du pays, sachant bien qu’ils ont joué un rôle capital dans les événements qui ont endeuillé notre pays… cette décision ne peut être interprétée autrement qu’une insulte à la mémoire collective du peuple, de la part du gouvernement et surtout de votre part… En attendant, la justice et la réconciliation nationale s’attardent toujours !
Votre Excellence,
Par biais des « Forces de Défenses Nationale » (dont vous étiez le commandant suprême), le gouvernement a livré une guerre, avec acharnement, contre l’opposition politique ou toutes autres organisations ou individus qui ont osé dénoncer ses actes. En tant que légitime Président de la République, j’estime que vous aviez pleine connaissance des arrestations excessives et illégales ainsi que les humiliantes expositions aux stades, subi par des milliers de citoyens Burundais (enfants, femmes, hommes et vieillards) juste du fait d’être soupçonné d’appartenir au PALIPEHUTU-FNL. Avec intimidations et menaces de mort, il est fort de se rendre compte de la détermination des autorités actuelles de créer une entité politique homogène et sans opposition. Néanmoins, l’aboutissement de cette tentative n’est pas seulement impossible, mais il est aussi une moquerie à la « démocratie »… A mon avis, la validité de la démocratie découle forcement de l’existence d’une opposition politique et d’une société civile libres ! En réalité, ce qui se passe actuellement ramène tout Burundais conscient de questionner les véritables intentions du régime CNDD-FDD.
Monsieur le Président,
L’ex Président de la République, l’Honorable Ndayizeye, l’ex Vice-président de la République, Mr. Kadege ainsi que quelques individus sont accusés d’un Putsch, qui serait, s’il est réel, le premier de l’histoire du continent (sinon du monde) qui aurait été préparé par des civils presque exclusivement. Aujourd’hui, ledit complot de « Coup d’Etat » a pris une ampleur presque continentale. Toutefois, les autorités Rwandaises et Ougandaises (pourtant pointées du doigt par Bujumbura comme les cerveaux du Putsch) estiment que cette histoire est « imaginaire et comique ». Il est très probable que vous ne soyez pas en accord leur avis, dans ce cas, le peuple Burundais attend que le gouvernement saisisse la Communauté Internationale contre les accusés principaux : Rwanda, l’Ouganda et le chef rebelle Congolais (Mr. Laurent Nkunda). Sinon, au lieu de recourir à la politisation de la justice, au mensonge et aux montages, ne faudrait-il pas libérer les innocents ?
Considérant la gravité des accusations, il est difficile de croire qu’un gouvernement peut avoir « de très bonnes relations » (à croire la position officielle de Bujumbura) avec des voisins qui planifieraient d’assassiner le président de la République et porter atteinte à l’intégrité territoriale de la Nation… Devant toutes ces contradictions, il y a certainement quelque chose de louche ! L’histoire nous dira la suite…
Votre Excellence,
Thomas Jefferson (un ancien Président des Etats-Unis) a dit un jour : « s’il était à moi de décider si nous devrions avoir un gouvernement sans journaux, ou les journaux sans gouvernement, je ne devrais pas hésiter un moment pour choisir ce dernier ». Présentement, la préférence du vainqueur des élections de 2005 est clairement « un gouvernement sans journaux » au Burundi. En conséquence, le journalisme est devenu un métier très dangereux au Burundi, surtout quand on tient à informer et à dire la vérité ! Avec les accusations jusque là avancées par le gouvernement contre les medias (spécifiquement ceux qui osent démentir ou contredire le CNDD-FDD… donc votre gouvernement), d’ici peu de temps il y aura très peu de journalistes en liberté. Directeurs des radios privés, journalistes, membres de la société civile, politiciens et cetera sont partagés entre la prison et la vie en cachette. Le pouvoir judiciaire et les responsabilités politiques conféraient au Parti CNDD-FDD sont utilisés pour des fins purement partisanes et dictatoriales. Je reste convaincu que, si la Justice s’était acquitté de ses fonctions avec droiture, Monsieur le Président, votre propre conseiller Mr. Nyamitwe (aussi Directeur de publication du journal Intumwa) aurait été le premier à comparaître devant les tribunaux. Au sujet de la liberté d’expression, le problème qui se pose (et c’est avec candeur que je mentionne ceci) c’est que aucun gouvernement ne peut gagner une guerre menée contre l’Expression du Peuple… je me dis bien que vous saviez cela. Malheureusement, l’Assemblée Générale de votre parti, réuni à Gitega (du 23 ou 24 Décembre 2006) a rendu très clair vos intensions concernant le traitement prévu pour la Société Civile. Dans ses recommandations, il est suggéré : « Ubutegetsi bwokurikiranira hafi inyifato n’imikorere y’amashirahamwe amwe amwe ategamiye Leta bita ONG canke Associations aturuka hanze kugira yoye kwivayanga mu bikorwa vyerekeye abajejwe intwaro ». Donc, le ton est lancé, l’année 2007 s’annonce bien et se résume en un seul mot : « Statut Quo ».
Excellence,
« A l’état de nature », c’est-à-dire en l’absence de toute forme de gouvernement, « l’homme est un loup pour l’homme », a dit Thomas Hobbes… De ce fait, le rôle primordial de toute entité qui se veut de ‘gouvernement’ est de protéger l’homme contre l’homme. Autrement, le gouvernement n’a pas la raison d’être ! John Locke va même jusqu’à prescrire l’insurrection populaire comme l’ultime remède. Une analyse de la relation entre la population et le gouvernement au Burundi est assez intéressante… Qui pourra protéger le peuple contre son gouvernement ! Devant toutes ces angoisses, la peur et le désespoir de la population, j’ai l’impression que vous avez une lecture de la situation qui est largement différente de celle du peuple. A votre avis, tout se passe abondamment bien… même quand la famine fait des morts, quand une vice-présidente de la République démissionne, quand la population carcérale ne cesse de gonfler (par une population de plus en plus innocente)… Quand, au lieu des moyens parlementaires, la mort devient l’outil principal du gouvernement pour faire taire l’opposition et un peuple lassé… Scandale après scandale, la corruption et le clientélisme ont amplement pris place au sein des institutions. Et pour résoudre ce mal, vous avez recouru à la politique de l’autruche… Le cas de l’actuel représentant du Burundi à New York (un exemple parmi tant d’autres), l’ambassadeur Ntakirutimana Joseph a exemplifié clairement un manque de volonté d’en finir avec la corruption dès le début de votre mandat. La confusion créée par certains cadres du CNDD-FDD rend la tâche du gouvernement très difficile (sinon impossible) à accomplir… En réalité, il n’est pas facile de déterminer celui ou celle qui, au sein du gouvernement ‘officiel’, détermine la direction du pays et la politique à suivre, que ce soit en matière de la politique nationale ou internationale. On croirait à une abdication du pouvoir de l’exécutif et de l’assemblée législative au profit d’un parti politique… Je trouve impératif de signaler qu’ainsi le ‘véritable Putsch’ se consume, lentement mais sûrement !
Le nom de l’Honorable Hussein Radjabu, actuel président du CNDD-FDD est cité fréquemment comme le vrai détenteur du pouvoir à Bujumbura… je m’empêche de s’y attarder. Cependant, il est temps de se demander plutôt où sont et que font ceux/celles qui ont été légalement élu par le peuple pour assumer le pouvoir ? La Présidence, le Parlement, le corps Judiciaire ont-ils abdiqué leur mandat par force où volontairement ? Toutes les réponses apportées à ces questions devront tenir compte de la souveraineté nationale qui réside dans la volonté populaire… le processus de toute démission, abdication et remplacement doit être sanctionné par le peuple. Les révélations faites par certains des membres importants du parti CNDD-FDD, tels que l’Honorable Basabose Mathias et l’ex Vice Présidente, l’Honorable Alice Nzomukunda, sont très révélatrices à ce sujet ! Il serait futile de jouer le rôle de donneur de leçon de ma part ou de critiquer juste pour critiquer car mon intension est de susciter un échange constructif. En même temps, j’espère qu’avec le peuple, vous réalisez que le Burundi vient d’atteindre un des virages politique, judiciaire, économique et social les plus difficiles de son histoire. Votre silence devant une situation qui rappelle les tristement fameux régimes Micombero-Bagaza-Buyoya, dévoile une complicité évidente et très prononcée. Le procès de ‘Putsch’, l’incarcération des journalistes, le respect du Droit de la Personne, la liberté d’expression, les négociations avec le PALIPEHUTU-FNL, le combat contre la corruption ainsi que le développement du pays restent parmi les dossiers auxquels peu ou aucun progrès n’a été atteint. Le peuple attend impatiemment votre sortie du mutisme pour enfin assumer votre rôle d’unificateur et de chef suprême. Le silence ne peut être autre qu’une abdication volontaire, donc un manquement envers le peuple Burundais… Et si c’est le cas, le peuple mérite d’être tenu au courant !
Du reste, si la souffrance populaire ne suffit pas comme raison pour déclencher un changement au niveau de la direction du gouvernement dans l’immédiat, il faut peut-être que j’invoque l’année 2010… Avec une telle performance et surtout avec l’entrée anticipée du PALIPEHUTU-FNL sur la scène politique, un renouveau au sein du CNDD-FDD s’impose, sinon la confiance du peuple est perdue d’avance ! Quatre décennies après, le peuple attend toujours le changement…
Tout en vous souhaitant, à vous et à votre famille, des Meilleurs Vœux pour l’année 2007, je vous prie d’agréer mes sentiments les plus sincères et les plus respectueux.
L’espoir c’est tout ce qui nous reste et le gardera.
Nsengiyumva Vincent