Burundi news, le 21/07/2009

 

INTERVIEW D’ALICE NZOMUKUNDA, PRESIDENTE DU PARTI ADR DEPUTEE

 

Burundi News: Alice Nzomukunda, bonjour

Bonjour Gratien

Burundi News: Je ne vais pas déroger à la règle, on se tutoie en principe et dans l’interview le tutoiement reste. Je te transmets d’abord le sentiment de satisfaction que tu as laissé chez les Burundais de Paris lors de ta dernière conférence en France.

Je te propose cette interview sur le fameux code électoral burundais car j’ai entendu que tu es une des politiciens qui maîtrisent le plus cette constitution. Tu as été la 2 è Vice- Présidente de la République, la 1 ère vice-présidente de l’Assemblée Nationale et actuellement, tu diriges un parti politique. Qu’est-ce que tu veux encore ? Devenir Présidente de la République ?

Pourquoi pas ? J’ai un grand souhait de voir le Burundi se développer, de voir les Burundais enfin libres  épanouis, mais au vu des comportements de nos chers dirigeants, qui tous arrivent avec des promesses alléchantes mais qui par la suite nous dirigent dans la terreur, ce n’est qu’en les servant moi-même que j’en serai sûre.

B.N. : Le gouvernement a approuvé le nouveau code électoral qui est contesté. En quoi ce code est contesté et quelle est ta lecture des explications du gouvernement ?

Le Code Electoral récemment adopté par le Gouvernement est effectivement très contesté par tous les acteurs politiques sociaux. Ceci démontre une volonté manifeste du Pouvoir CNDD-FDD de faire cavalier seul lors des prochaines élections du moment que ce code vient d’être élaboré en violation de la loi d’une part, et faisant fi au consensus qui avait été dégagé lors des différentes sessions et ateliers entre les représentants des Partis politiques, de la société civile et des confessions religieuses d’autre part.

Vous comprenez donc que les explications du gouvernement ne tiennent pas debout et surtout que lors de son Discours à la Nation au 1er Juillet, le Chef de l’Etat avait promis des élections apaisées, libres, transparentes, et dans les délais, bref des élections exemplaires en 2010.

Tout d’abord, le Gouvernement viole l’art.91 de la Constitution en s’arrogeant le droit d’amputer la CENI de ses missions. En son point d, l’art.91 stipule : « La CENI est chargée de promulguer les arrangements, le code de conduite et les détails techniques, y compris l’emplacement des bureaux de vote et les heures auxquelles ils sont ouverts ; »

Comme dans toutes les CENI du monde, hormis le fait qu’on avait déjà dégagé un consensus en ces matières, la fixation du calendrier électoral, donc la chronologie des élections ainsi que la détermination du bulletin à utiliser sont de l’unique ressort de la CENI. Aucune autre instance n’a le droit de lui retirer ces prérogatives.

Par ailleurs, le consensus d’utiliser le bulletin était dicté par le souci de protéger la population des menaces exprimées lors des élections de 2005, et  d’éviter les fraudes et garantir la liberté et le secret du vote d’autre part.

Ensuite, l’exigence du Gouvernement de commencer à tout prix par les élections présidentielles est impossible car violerait la loi sur les mandats des différentes institutions.

Art.96 de la Constitution : Le mandat du président est de 5ans renouvelables une fois.

Art.103 de la Constitution : Le mandat commence le jour de prestation du serment et prend fin à l’entrée en fonction de son successeur. L’élection du président a lieu un mois au moins et deux mois au plus avant l’expiration du mandat du Président de la République.

Pour terminer son mandat au 26 Août 2010, le Président doit être élu au plus tôt le 26 Juin 2010, ou au plus tard le 26 Juillet 2010.

Entre la date de fin de mandat et la date de l’élection, il doit se passer un moins au moins et deux mois au plus.

L’art.73, 74 et 76 du Code Electoral justifient le délai minimal de trente jours en précisant les délais que doivent  prendre certaines activités après le jour « j » des élections. Ainsi nous avons un jour pour la transmission des P.V. à la CENI, 4 jours pour des réclamations à la Commission Electorale Provinciale - CEPI, 6 jours ouvrables pour la réaction celle-ci. Ici 6 jours ouvrables comprenez 8 jours de la semaine à cause du week-end. Et un jour de la transmission de nouveaux résultats à la CENI par la CEPI et la proclamation de la Cour Constitutionnelle qui doit intervenir dans les 4 jours qui suivent la transmission des résultats par la CENI. A ce niveau seulement, on décompte déjà 19 jours.

Les mandats des Députés et Sénateurs ainsi que des Conseillers étant de 5 ans (Art.171 de la Constitution et Art.130,162 et 111 du Code Electoral), il expirera le 9 Août 2010 pour les Députés et Sénateurs et le 8 Juillet 2010 pour les Conseillers Communaux.

Ainsi donc, si l’on doit avoir un mois au minimum et deux mois au plus qui séparent le jour de l’élection à celui de l’entrée en fonction, les Députés et Sénateurs doivent être élu au plus tard le 9 Juillet 2010 et au plus tôt le 9 Juin 2010, les Conseillers communaux quant à eux devant être  élus au plus tard le 8 Juin 2010 et au plus tôt le 8 Mai 2010.

Election Présidentielle : le 26 juin 2010 au plus tôt et le 26 juillet 2010  au plus tard

Elections Législatives : le 9 juin 2010 au plus tôt et le 9 Juillet 2010 au plus tard

Elections communales : le 8 mai 2010 au plus tôt et le 8 Juin 2010 au plus tard

 

Avec toute la bonne volonté de satisfaire le parti présidentiel, sans devoir violer la loi, la première élection sera l’élection communale.

L’autre point de discorde est la caution à payer pour l’élection présidentielle qui a passé de 3  millions à 15 millions ! On se pose la question de savoir si le pouvoir d’achat des burundais a augmenté de 500% au cours de ces 4 dernières années ! Sinon on comprend très mal la raison de cette augmentation sauf si lors des élections de 2005, il y a eu plusieurs candidats présidentiels de telle manière qu’il y a eu des difficultés à les organiser ! Or tout le monde se souvient qu’en 2005 il n’y avait qu’un seul candidat. Ce n’est donc que par souci d’éliminer de bons candidats qui n’ont pas assez de moyens mais  une popularité et un bon programme.

Enfin, légitimer la radiation inconstitutionnelle des 22 Députés, on a inséré  clause qui dit que un député qui quitte son parti ou qui est exclu de son parti, perd automatiquement son siège au Parlement. Ceci viole l’article 149 de la Constitution et provoquerait une instabilité de l’institution parlementaire.

Art.149 de la Constitution dit ceci : Le Mandat des députés et des sénateurs a un caractère national. Tout mandat impératif est nul.

Avec la proposition du Gouvernement, le mandat de Député devient impératif d’une part et n’a plus de caractère national d’autre part parce qu’on ne représente plus le peuple, on représente le Parti.

Donc pour un oui ou pour un non au chef du parti, un député peut perdre son mandat ! En plus de la violation de la Constitution, il y aurait l’instabilité, la fragilité et l’inefficacité de cette si prestigieuse institution.

En conclusion, si il advenait que le gouvernement s’entête et envoie le projet de Code Electorale avec toutes ces violations de la loi, et si l’Assemblée Nationale ne voulait plus être une caisse de résonance du gouvernement, elle devrait appliquer l’art. 203 de la Constitution et présenter une motion de censure contre un gouvernement qui avait juré fidélité à la Constitution et à la loi (art.133 de la Constitution).

 B.N. : Est-ce que derrière ce forcing, le pouvoir ne peut-il pas viser autre chose inavouée comme le report des élections ? Quelle peut-être sa stratégie ?

Bien sûr le Parti au Pouvoir sait très bien que depuis la radiation anticonstitutionnelle des 22 Députés, l’Assemblée Nationale est devenue une chambre d’enregistrement du Gouvernement, donc ils sont sûrs que le projet passera tel que le voudra le Gouvernement sans aucune modification.

Or, si le projet est rejeté par le Sénat, ou si avec la création de la Commission mixte les deux chambres ne les amènent pas à une entente, c’est en définitive la position de l’Assemblée Nationale qui serait  retenue ou tout simplement le projet sera déclaré caduc et ne pourra pas être présenté encore avant une année. Art.191 de la Constitution

Ainsi donc, s’ils persistent au forcing c’est pour révolter les autres partenaires et créer le chaos afin de reporter les élections en prolongeant leur mandat ou de les tenir dans une atmosphère tendue à l’image du Kenya et du Zimbabwe. Ce qui serait contradictoire au discours du chef de l’Etat au 1er Juillet quand il promettait les élections apaisées, transparentes et dans les délais.

Nous devons donc rester vigilants pour ne pas tomber dans ce piège.

B.N. : Plusieurs partis politiques ont signé une lettre commune au Secrétaire général des Nations unies. Est-ce qu’il s’agit d’un front commun des partis de l’opposition ?  

Il s’agit d’un front pour défendre le pays contre tout dérapage que veut provoquer le pouvoir en place.

Nous devons débrayer le terrain des élections et ceci doit être fait par toutes les forces qui aspirent au changement, c’est très important.

B.N. : Est-il facile de faire la politique en tant que présidente d’un parti  quand on est une femme ?

Je n’éprouve aucune difficulté à gérer le Parti en tant que Femme. Mais bien sûr il ne manque pas l’une ou l’autre personne qui n’a pas encore changé de mentalité et qui pense qu’une femme n’est pas capable d’organiser la société. C’est une erreur mais il faut leur donner le temps, ils finiront par comprendre comme beaucoup de burundais aujourd’hui.

Je suis plutôt très encouragée par les adhésions massives au parti ADR, ce qui me prouve que cette considération disparaît de plus en plus.

B.N. : Quelle est ton analyse de la situation burundaise ? Penses-tu que le pire est derrière nous ou devant nous ?

Bien sûr si l’on n’y prend pas garde, le pire peut arriver. L’absence des textes électoraux consensuels, l’intolérance et la dictature, les intimidations  que font les jeunes du Parti présidentiel, l’enregistrement sur listes séparées des membres du parti présidentiel et les  autres qui est en cours sur les collines, l’acharnement du parti présidentiel à gagner les élections à tout prix, les armes encore en circulation et l’impunité, créent des frustrations qui risqueraient de provoquer des catastrophes à l’image du Kenya et du Zimbabwe.

On a donc intérêt de prévenir en revenant sur le consensus dégagé lors de la réunion à l’Hôtel Club du Lac Tanganyika seul qui rassure tous les compétiteurs et en étant conséquent avec l’engagement du gouvernement de résoudre tout différent par voie de dialogue ainsi qu’au discours du 1er juillet 2009.

BN : Je te remercie

 

C’est moi qui te remercie.