ENTRETIEN EXCLUSIF
BURUNDI /MEDIAS
« Je suis
journaliste, j'ai seulement fait mon travail et je l'ai fait
jusqu'au bout»
Alexis
Sinduhije, a été le premier journaliste à annoncer que
ce « Coup d’Etat » était un monstrueux montage, une machination
ourdie contre certaines personnalités. Vilipendé, menacé de
mort, Alexis Sinduhije a vécu une longue épreuve. La justice
vient de blanchir les présumes putschistes. Le journaliste,
fidèle à lui-même, n’en tire aucune vanité. Il dit avoir fait
tout simplement son « job ». Dans un entretien accordé à Iwacu,
Alexis Sinduhije salue la bravoure de tous ceux qui ont eu le
courage de chercher la vérité. Le journaliste ne garde même
aucune rancune envers ses détracteurs et croit que la décision
de la justice burundaise ouvre une ère nouvelle pour le pays.
Iwacu : Alexis Sinduhije vous avez été le premier à
clamer haut et fort que cette histoire de « coup d’Etat « était
un montage. La décision de la justice de libérer les présumés
putschistes confirme ce que vous avez toujours affirmé, quel est
votre sentiment aujourd’hui ?
Alexis Sinduhije : La décision de la Justice
m'a beaucoup fait plaisir, j’ai eu beaucoup de joie de voir
qu'il existe encore au Burundi des femmes et des hommes capables
d'assumer leurs actions au nom de la vérité. Cette décision de
la Justice va sans doute détendre les esprits et ainsi faire
renaitre un peu d'espoir dans un pays qui affronte d'énormes
problèmes en ce moment. Ce qui me fait aussi plaisir aujourd'hui
est que le dénouement de cette histoire de putsch permet de
donner des vérités et ainsi de répondre à des personnes mal
intentionnées, burundaises ou étrangères, qui m’ont "craché"
dessus, qui ont cherché à me faire passer pour un « politicien
». Je voudrais redire ici que je suis journaliste, j'ai
seulement fait mon travail et je l'ai fait jusqu'au bout. Ces
gens qui m'ont vilipendé doivent savoir que je me suis toujours
battu pour la démocratie et la Justice dans mon pays. C'est ce
que j'ai fait dans ce cas précis de coup d'Etat inventé et c'est
ce que je continuerai de faire n’en déplaise à mes détracteurs.
Iwacu : Pourtant, des putschs ont toujours eu lieu au
Burundi. Qu’est-ce qui vous donnait tant d’assurance pour
affirmer sans l’ombre d’un doute que cette fois c’était « un
montage » ?
Alexis Sinduhije : Oui, il y a eu toujours des
coups d'Etat au Burundi, des coups d'Etat réussis. C’était
malheureusement le mode d'alternance politique au Burundi. Mais
il y a eu aussi des coups d'Etat crées, inventés, des montages
de putschs par les pouvoirs en place pour régler des comptes aux
"opposants" réels ou imaginaires. Un montage très connu, une
véritable invention criminelle, est celui de 1969 qui a envoyé
des officiers hutu à la mort dont Karorero et bien d’autres. Ces
gens tenaient simplement des réunions de mariage et ça a été
tourné en réunion de coup d'Etat ! Les gars ont payé cette
mascarade de leur vie, après une parodie de justice, on a
tendance à l'oublier. On n’ira pas jusqu'à citer les
manipulations qui entourent les massacres de 1971, 1972, ce
serait trop long, ce qui est sûr c'est que nous avons eu au pays
des créateurs de putschs pour régler des comptes. Radjabu n’a
rien inventé, il a eu des émules avant lui.
Iwacu : Mais votre assurance a beaucoup étonné !
Alexis Sinduhije : Tout simplement parce que j'avais
des informations fiables ! Je suis un journaliste
d’investigation. J'ai été informé par les services secrets
sud-africains, par plusieurs agents du service national des
renseignements et même des proches de Radjabu qui ont eu
confiance en moi et qui voulaient empêcher la catastrophe au
Burundi. J’avais donc des preuves d’où mon assurance. Et cinq
mois après la justice vient de me donner raison. Mais pour moi
il faut que l'esprit revanchard cesse si on veut construire
notre pays. Il faut que tout le monde soit courageux et le
courage c'est chercher la vérité et la dire, voilà ce qui va
nous sauver et sauver nos générations future.
Iwacu : A votre avis quelles sont les conséquences de ce
« dégonflage » sur la scène politique burundaise ?
Alexis Sinduhije : La première conséquence
c'est évidemment un risque de destruction du Parti CNDD-FDD par
Hussein Radjabu lui-même. S'il se maintient à la tête de ce
parti, il perdra toute sa crédibilité à la fois intérieure et
extérieure. Une autre conséquence, c'est la perte de confiance
de Radjabu auprès de ses membres. Il est l'inventeur de ce
putsch. Il n’a pas réussi à donner des éléments de preuves, il a
par contre donné la preuve que c’est un grand menteur. Et qui
veut avoir un chef menteur ? Personne. Donc, Radjabu risque à
mon avis de perdre son poste. Dans des pays sérieux, il aurait
déjà démissionné de lui- même.
D'autres conséquences, heureuses cette fois-ci, c'est la
crédibilisation de la presse. C’en est maintenant fini des
manipulations des hommes politiques. Je crois que la presse sort
très grandie de cette épreuve, c'est le plus important pour
nous.
Iwacu : Quels seront les dégâts directs et « collatéraux
» pour le parti au pouvoir ?
Alexis Sinduhije: Les dégâts directs pour le
parti au pouvoir c'est déjà le départ de leur chef, s'ils
veulent rester crédibles. Il y aura évidemment suite à cela une
crise de leadership dans ce parti parce que Radjabu aura laissé
des fissures difficiles à colmater. Pour dire tout simplement
qu'il ya risque d'une scission au sein de ce parti mais il faut
attendre voir.
Iwacu : Vous avez eu des menaces de mort, vous avez été
persécuté pour avoir affirmé que c’était un plan machiavélique,
quelle leçon tirez-vous de cette expérience en tant que
journaliste ?
Alexis Sinduhije : Des menaces de mort ? Ecoutez, ce n’est pas
la première fois, ce n'est pas la dernière fois. Il faut dire
que les pouvoirs chez nous ont du mal à cohabiter avec la
presse. Comme ils confondent tout: l'ennemi et l'adversaire, la
guerre et la critique, ils ont toujours tendance à avoir la
brutalité pour toute réponse. Les journalistes ne sont pas des
opposants, ils ne sont pas contre un gouvernement, un parti, un
homme politique, ils font leur job qui consiste à dire les
choses qui marchent mais surtout ce qui ne marche pas. Il
faudrait que nos gouvernements apprennent à affronter la presse,
à développer des méthodes de communication pour faire face aux
charges des medias. Et pour ça il faut que nos dirigeants
s’entourent de vrais spécialistes en communication. L’autre
leçon que j'ai personnellement tirée de toutes ces menaces de
mort, de toutes ces persécutions c'est de ne pas avoir confiance
dans les hommes politiques, j'allais dire confiance zéro à tout
burundais appartenant à "l'élite" mais je crois que ce serait un
peu injuste. Tous ces burundais de « l'élite » ne sont pas tous
les mêmes mais je crois qu'il faut faire très attention.
Iwacu : Un mot pour nos confrères ?
Alexis Sinduhije : Je n'ai pas un mot pour mes
confrères. J'en ai deux. Pratiquer la vérité et le respect. Pour
ça il leur faudra beaucoup de courage. Ce sont les héros du
21ème siècle pour le Burundi. Ce courage leur permettra de
chercher la vérité. De dire la vérité. D'assumer ce qu'ils font.
Les confrères vont se forger un respect quand ils auront
respecté l'éthique, la déontologie et aussi l'humain. Tout être
humain à droit au respect, à sa dignité, à sa vie. Les
journalistes doivent être les premiers à respecter cela. Avec
ces deux vertus, les confrères, surtout les plus jeunes, ils
auront tout dans leur vie. |