Burundi news, le 01/02/2011

 

INTERVIEW D’UNE BURUNDAISE PAS  COMME LES AUTRES, CHRISTINE NTAHE

Christine NTAHE à Paris

 

Christine Ntahe est une journaliste à la retraite du  « Studio Ijambo » un  des projets de l’ONG américaine,  Search for Common Ground (Recherche d’un terrain d’entente)  mais  qui continue à travailler pour son émission des enfants à la Radio Isanganiro comme bénévole. Elle  nourrit, habille fait soigner et  paie les frais de scolarité à + de 50 enfants  qui ne sont ni les siens, ni ceux des amis ou des oncles. Ce sont des enfants de la rue et  d’autres en situation particulièrement difficile. Elle le fait avec son argent sans aucune aide car elle n’est pas très connue par les bailleurs de fonds qui se contentent de ceux qui font la communication.

Christine Ntahe est pour Burundi News la Burundaise de l’année 2010. Elle est la première femme  veuve à accéder au titre d’Ubushingantahe. Sa sagesse est celle que les Burundais ont oubliée et qu’ils devaient retrouver. C’est un grand honneur pour Burundi News de recevoir ici à Paris Christine Ntahe de passage.

Burundi News: Christine Ntahe, bonjour.

Christine NTAHE : Bonjour

Burundi News: Burundi News salue en vous une grande militante de la cause des enfants en situation de détresse et vous remercie pour tout ce que vous faites pour le pays. Pouvez-vous nous parler de vous pour vous présenter pour que les lecteurs de Burundi News vous connaissent ?

Christine NTAHE : Merci.

Je m’appelle Christine Ntahe, j’ai 62 ans et suis à la retraite depuis 1 an. Je suis veuve, mère de 4 enfants et grand-mère de 3 petits enfants.

Après un bref passage dans l’enseignement, j’ai entamé une longue carrière à la radio nationale où j’ai successivement occupé les postes de directrice a.i de la première chaîne, chef de service et chef de section antenne et régie. Parallèlement, durant plus de 20 ans, j’ai produit et présenté l’émission « tuganirize ibibondo » (dialoguons avec les enfants).

Enfin j’ai terminé ma carrière comme journaliste producteur d’émissions au sein de l’ONG Search For Common Ground (SFCG). J’œuvrais pour le rapprochement des communautés divisées et la liberté d’expression des groupes marginalisés via la production d’émissions et l’animation des clubs d’écoute.

Il s’agissait essentiellement des enfants de la rue, des veufs, des enfants chefs de ménage, les batwa (pygmées),  les femmes à partenaires multiples, les rapatriés de guerre, les ex combattants, les démobilisés, et les déplacés.

B.N. : Comment avez-vous eu l’idée de lancer votre projet pour les enfants ?

Christine NTAHE : J’ai toujours eu un attachement particulier envers les enfants.

En 1979, année internationale de l’enfant, j’ai profité de l’occasion pour créer l’émission « Tuganirizibibondo ». Je souhaitais qu’ils puissent jouir de leurs droits, en particulier le droit à l’expression. 

C’était une émission hebdomadaire produite pour les enfants et par les enfants. Elle avait pour objectif de les faire parler de leur quotidien, de leurs préoccupations, de leurs craintes, dans un pays où on décide de tout pour l’enfant sans même lui demander son avis. Cette émission est passée sur la voix des ondes pendant 20 ans.

Avec la guerre qui a éclaté en octobre 1993, j’ai découvert les enfants de la rue. Orphelins de guerre ou séparés de leurs parents, ils survivaient difficilement dans les rues de la capitale et en périphérie des villes. L’urgence n’était plus seulement de leur donner un espace d’expression mais de répondre au besoin vital de se nourrir et de se soigner. 

Ainsi, chaque dimanche, j’accueille en moyenne une trentaine d’enfants sans domicile fixe et en situation particulièrement difficile. Je discute avec eux et leur offre un repas chaud. C’est devenu un rendez-vous important et ils savent qu’ils sont mes invités d’honneur. Au-delà du repas, ils viennent chercher un peu d’amour. C’est un moment particulier qui leur fait oublier le temps d’une journée les fouilles de poubelles à la recherche de nourriture.

C’est une grande joie pour moi lorsque je les vois chanter à la fin du repas tous ensembles et une peine quand je leur dis au revoir sans savoir comment ils vont s’en sortir durant toute une semaine avant notre prochaine rencontre.

 De temps en temps, certains d’entre eux viennent me voir en dehors de ce rendez-vous hebdomadaire, soit parce qu’ils sont particulièrement malades et cherchent un peu d’argent pour se  faire soigner, soit parce qu’ils n’ont pas mangé depuis un bon  bout de temps.

B.N. : Est-ce que vous connaissez ce que sont devenus les enfants que vous avez aidés ?

Christine NTAHE : Certains sont retournés à l’école. Ils passent de temps en temps me voir soit parce qu’ils  ont besoin d’une assistance quelconque, notamment du matériel scolaire, l’uniforme, …

Certains autres qui avaient encore une famille ont manifesté le souhait de la rejoindre parce qu’ils en avaient marre de la rue. Je les ai aidés en finançant le billet.

D’autres ont mieux réussi et passent de temps en temps me dire bonjour. Un de ceux-là, devenu artiste, m’a dédié une chanson sur son premier album intitulé « l’espoir retrouvé chez Maman Christine ». Je l’avais retiré de la rue alors qu’il n’avait que 10 ans.

B.N. : Vous faites un travail qui est du ressort de la mairie ou du ministère de la solidarité. Est-ce qu’il y a eu une autorité qui vous a approché pour vous aider ? Et les ambassades ?

Christine NTAHE : Je n’ai aucune aide.

J’ai toujours travaillé toute seule avec les moyens provenant de mon salaire.

Maintenant que je suis à la retraire, c’est encore plus compliqué car la pension est bien plus faible que ce que je percevais en activité. C’est bien dommage car c’est justement maintenant que j’ai le temps de m’occuper de mes enfants de la rue.

Je pourrais travailler plus efficacement et servir plus d’enfants si j’avais le soutien d’institutions, notamment les bailleurs de fonds. Cependant, je n’ai jamais pu le faire car trop occupée entre mon travail et mes activités annexes.

B.N. : Une femme  veuve mushingantahe, la première, comment est venue cette idée de postuler ?

Christine NTAHE : Je dois d’abord dire qu’historiquement on investissait un couple. C’est récent que les veuves peuvent l’être également. Alors j’ai saisi l’occasion pour deux raisons :

1 – d’une part pour représenter et inciter les veuves à se présenter aux portes de l’institution des  Bashingantahe. Elles sont nombreuses dans le pays (conséquence directe de la guerre) et elles connaissent mieux que quiconque les ravages de la guerre. Elles peuvent donc apporter leur aide et leur contribution dans la recherche de la paix, au respect des droits de l’homme.

 2 – d’autre part, je suis issue d’une famille où le mot justice n’est pas un vain mot. Mon père, décédé à 42 ans, a vécu en vrai « mushingantahe » et a laissé dans son entourage de très bons souvenirs. Quant à ma mère, elle a longtemps œuvré pour l’intérêt des orphelins jusqu’à son décès à 86 ans. Elle a par ailleurs obtenu un prix offert lors de la tenue à Bujumbura du « Sommet des héros » pour avoir sauvé des vies humaines pendant la guerre.

B.N. : Comment jugez-vous la situation socio-économique burundaise ? Croyez-vous que les Burundais sont solidaires ?

Christine NTAHE : La situation actuelle n’est pas bonne. Mais je suis de nature optimiste.

Il faut juste œuvrer pour que les gens se parlent et arrêtent d’avoir peur les uns des autres. Il faut aussi que chacun tende la main à l’autre à la hauteur de ce qu’il peut.

Je reconnais néanmoins que nous en sommes encore loin et que la solidarité de nos ancêtres tend à disparaitre. Ce qui me donne espoir, ce sont ces personnes qui, touchées par mes actions en faveur des enfants de la rue, viennent vers moi et m’aident ponctuellement en m’apportant leur contribution. Cela peut être des habits, du matériel scolaire notamment en période de rentrée. Cela m’aide beaucoup car, de bouche à oreille, ce sont maintenant plus d’une soixante d’enfants en situation difficile qui attendent mon aide pour leur rentrée scolaire. C’est une période très stressante et difficile car je ne veux pas décevoir les enfants qui placent leurs espoirs en moi.

B.N. : Christine Ntahe, votre modestie et votre générosité n’empêchent pas que vous soyez inconnue des Burundais. Pourquoi vous avez choisi de ne pas communiquer sur vos actions louables ?                                   

Christine NTAHE :

Ce n’est pas vraiment un choix. Parallèlement à toutes ces actions, il me fallait continuer à travailler pour pouvoir financer mes actions. Cela me prenait beaucoup de temps.

Par ailleurs, même si je ne communique pas personnellement, d’autres le font de temps en temps à ma place. J’en veux pour preuve un certain nombre d’articles écrits sur mon action dans le pays, par ceux qui me connaissent où ceux qui ont eu vent de ce que je fais.

Enfin, quelques distinctions reçues dans le pays contribuent à crédibiliser mon action. J’espère que tout cela me permettra de réunir plus de moyens afin d’étendre et de pérenniser mon action en faveur de mes enfants de la rue.

B.N. : Nous vous remercions du temps que vous nous avez accordé pour cette interview et bonne chance dans vos projets.

Christine NTAHE : Merci à vous pour l’écho que vous me donnez à travers cet entretien.