Burundi news, le 05/04/2009

« Nous revendiquons le droit d’être des adversaires politiques »

Interview réalisée par le journal Iwacu

 

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Juste après la sortie de Mpimba
Quatre mois de prison n’ont pas entamé la verve et la détermination  d’ Alexis Sinduhije. Mais le leader du MSD  affirme son désir de construire un dialogue avec le Gouvernement. Marqué par son séjour à Mpimba, il plaide pour les prisonniers politiques encore incarcérés.

Iwacu : Vous êtes libre grâce à la justice ou aux pressions nationales et internationales ?


Alexis Sinduhije : Il y a eu un jugement.  De ce point de vue, la justice burundaise y est donc pour quelque chose. Elle a jugé, elle a tranché et elle a annoncé le verdict, l’acquittement. La justice a joué son rôle. Mais de là, dire qu’elle est est indépendante, ce n’est pas du tout vrai. Même au niveau de la structure, le président de la République et le ministre de la Justice sont respectivement  président et vice-président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Cela montre que la justice est contrôlée  pour certains dossiers par le président de la République et son ministre de la justice. Cela handicape beaucoup l’indépendance de la magistrature. D’ailleurs, au MSD on propose que ces deux personnalités ne soient plus à la tête de la magistrature.

Pour vous donc la justice burundaise n’est pas indépendante…

Si elle l’était, il n’y aurait pas autant de prisonniers politiques. Moi,  je ne suis que le petit bout de l’iceberg.  Il y a énormément de gens qui sont toujours en prison alors qu’ils n’ont commis aucune infraction. Kavumbagu,  Rududura, Radjabu et tous ses co-accusés... Nous sommes le seul pays où on emprisonne ses députés, même le Zimbabwe les respecte.

Quel climat politique trouvez-vous après quatre mois d’emprisonnement ?


La  situation s’est empirée pour le MSD. Nous avons des leaders au niveau de la base qui sont en prison à Ngozi, à Kirundo en commune Bwambarangwe, à Cibitoke en commune Rugombo. Nos leaders sont terrorisés,  traumatisés. Il n’y a pas de liberté politique dans notre pays. Mais  nous allons résister. Nous allons continuer à lancer des signaux au Gouvernement pour qu’on reste dans le dialogue. La lutte devrait être politique. Nous allons continuer à tendre la main au Gouvernement et au parti au pouvoir pour qu’ils comprennent que nous ne sommes pas des ennemis. Nous revendiquons seulement le droit d’être des adversaires. Il y a des règles du jeu politique qu’il faut respecter.

Vous avez évoqué tout à l’heure la question des autres prisonniers politiques, dont le plus célèbre d’entre eux, Hussein Radjabu. Que pensez-vous de son emprisonnement ? Est-ce que vous avez eu le temps de le côtoyer à Mpimba ?


 Oui. A Mpimba, qu’on le veuille ou pas on doit se rencontrer. (il rit). On évite les sujets qui fâchent bien sûr. Je l’ai rencontré plusieurs fois et on a échangé. Je pense que Radjabu a été emprisonné par suspicion. Ils avaient pensé qu’il allait récupérer les démobilisés pour entrer encore une nouvelle fois en guerre. Alors ils ont monté tout un dossier.

Pour vous Hussein Radjabu  devrait être libéré?

Oui. Aujourd’hui,  Hussein Radjabu contribuerait beaucoup plus à la solution des problèmes même ceux liés à l’insécurité,  parce qu’il connaît bien le système CNDD-FDD. S’il était libéré, cela détendrait l’atmosphère au sein même de ce parti.

Et pour vous qui est Hussein Radjabu ?


Ce n’est pas un ennemi. C’est un adversaire politique. Il est en prison pour des raisons politiques. Sa place n’est pas en prison. Il n’est pas le seul. Lui, il est très connu. Mais il y a d’autres prisonniers politiques inconnus. Je pense  par exemple à un certain  Nixon, un jeune qui vient de faire dix ans sans être jugé. Quand il a été arrêté il avait 25 ans… Il y a des drames là-bas.

Vous sortez de prison au moment où une question divise la classe politique burundaise : la fameuse question de l’homosexualité. Qu’en pensez-vous ?


Ce n’est pas le problème des Burundais. Aujourd’hui il ya des problèmes graves comme la pauvreté, l’insécurité, le chômage… Nous devrions nous pencher sur ces questions. Avec l’homosexualité, on essaie de créer un grand problème alors que ce n’est pas la préoccupation des Burundais. C’est un faux problème.

Une forme de récupération ?

On crée ce que l’on appelle en anglais  « emotional  issue », c’est une diversion  pour esquiver les vrais problèmes. Changer l’attention des Burundais sur des questions  plus  essentielles.

Alors quatre mois en prison, est-ce que l’on ressort le même ?

Le Curriculum vitae quand même va gagner quelques lignes (il rit). Bon, je ne dirais pas que l’on peut sortir de prison le même. J’ai vu énormément de choses : j’ai été agressé par la misère que j’ai vue. J’ai été choqué par l’intraitable indifférence des élites face à ces injustices. J’ai été aussi émerveillé par l’imagination des humains quand ils sont en difficulté. Des gens qui créent des lits sur les plafonds, je trouve ça extraordinaire.

Dans cette misère, qu’est ce qui vous a choqué le plus ?

Les prisonniers mangent une seule fois par jour. Je ne vous dis pas quelle nourriture. Puis autre chose, il y a des sans domicile fixe à l’intérieur de la prison ! Il y a plus d’un millier de prisonniers qui dorment  à la belle étoile.

Comment on survit à cette violence, à une misère pareille ?

Les gens  survivent grâce à l’entraide. Les prisonniers sont très solidaires. J’ai vu l’humanité en prison.  Il y a une forte solidarité en prison et les gens gardent espoir. L’espoir qu’ils vont tirer dans la prière et je le respecte. Et l’espoir aussi qu’ils se fabriquent avec les drogues. Il y a une forte consommation de drogues et de l’alcool en prison.

Est-ce que vous allez vous battre pour ceux qui sont restés là ?


Cela est sûr. Je vais même me battre pour  Hussein Radjabu ? Personnellement, je me bats pour les principes.  Ils ne doivent pas être sélectifs. Un principe est un principe. Si on se bat pour la justice, on ne fait pas de distinction. Je trouve que la plupart des gens emprisonnés y sont pour rien. Ils ne méritent pas ce traitement inhumain, ces humiliations, ces injustices auxquelles tout le monde passe sous silence. Je pense que tout le monde devrait être mobilisé.

Avez-vous un message à transmettre aux décideurs ?

Je leur demande la tolérance. Et puis, je me pose la question : si le Président de la République ne veut pas être tolérant, ne veut pas avoir l’esprit du pardon  pour ses propres camarades de lutte, le sera-t-il pour les autres ? Vous savez  dans les situations de guerre, ce sont les camarades qui te protègent. Quand il t’arrive quelque chose, c’est eux qui te viennent en aide. Dans le maquis, le Président de la République a été blessé, je suis sûr que dans les premiers soins, c’étaient des gens qui étaient autour lui qui sont intervenus. Je suis sûr que Radjabu  s’est porté à son secours. Même s’il dit qu’il a survécu grâce à Dieu, mais Dieu passe par des gens. Alors je m’interroge : s’il ne veut pas être tolérant, s’ il ne veut pas pardonner ces  compagnons de lutte, vous pensez qu’il va avoir le pardon pour les autres ? Bon, moi j’en doute.

Si vous pouviez rencontrer le président que lui demanderiez-vous ?

D’être différent des autres, de ses prédécesseurs,  de ne pas condamner des gens pour des raisons politiques, ou des montages.

Un mot pour ceux qui vous ont aidé?
Je remercie tout le monde. Je vais le faire officiellement. Les pays de l’Union européenne, vous avez vu ce que Monsieur Charles Michel a fait, Madame Rama Yade… Tout cela donne de l’espoir. Il y a l’Ambassadeur du Royaume de Belgique, la Hollande qui a même envoyé son ministre des Droits de l’homme ; la Norvège dont la Représentante n’a pas cessé de venir nous rendre visite en prison ; l’Angleterre qui a envoyé ses députés et qui, via son Ambassade a envoyé des gens pour nous rendre visite ; l’Allemagne ; les Etats-Unis qui ont réagi vivement contre cette arrestation. Tout cela montre vraiment que le monde est merveilleux, beau et humain. Oui, merci à ceux connus et inconnus.  J’ai aussi  un mot pour les gens qui nous dirigent. Je voudrais qu’ils comprennent qu’ils ont le devoir de protéger les citoyens !
 
 
Propos recueillis par Antoine  KABURAHE