Burundi news, le 28/06/2011

 

Justice, justice, nous crions justice…

 

Pierre Claver Niyonkuru

 

La justice, voilà le mot qui fait couler beaucoup d’encre. En soi, la justice est un principe fondamental de la vie sociale. Elle est à portée universelle et elle signifie que les actions humaines soient récompensées ou réprimées selon leur mérite. Montesquieu l’a bien dit, la justice consiste à mesurer la peine et la faute…

 

Dans un État, le ministère de la justice a pour mission d'assurer l'existence d'une société juste et respectueuse des lois en vigueur. Même au Burundi, ne soyez pas étonnés, c’est cette mission que notre fameux ministère de la justice est supposé remplir. Il reste que l’on retrouve chez nous deux catégories de citoyens : ceux qui sont au dessus de la loi et ceux qui sont en dessous de la loi.

La première catégorie est constituée par les tout puissants des régimes et leur entourage. Eux, ils peuvent tout faire et personne ne les touche, car ils ont la police, l’armée, les services de renseignements, les procureurs et les juges pour les protéger. La deuxième catégorie, constituée de la grande majorité de la population, doit, quant à elle, payer les protecteurs de la catégorie des protégés, c’est-à-dire, la police, l’armée, les services de renseignements, les procureurs et les juges. Cette majorité de la population a beaucoup d’obligations et, évidemment, très peu de droits. Ils n’ont jamais accès à la justice et la police, l’armée, les services de renseignements, les procureurs et les juges, qu’ils payent, sont toujours prêts à les châtier, …, les dévorer.

Dans un État de droit, la justice est le garant de la vie sociale car tout, l’État lui-même y compris, doit se soumettre à elle. Cela veut dire que, quand un citoyen de Cendajuru se sent lésé par je ne sais pas quelle autorité ou quelle institution, il saisit la justice et celle-ci le rétablit dans ses droits.

Tous les régimes nous ont parlé de justice, ils nous ont bercés avec leurs slogans qu’ils sont là pour instaurer une justice sociale, mon œil! Ce que l’expérience de notre pays m’aura appris, c’est que la justice est une revendication des faibles. Quand on devient puissant, on oublie toute la persécution que l’injustice nous a fait subir et nous persécutons les autres avec les mêmes outils et la même rigueur. Un cycle vicieux. On nous a toujours dit que quand l’esclave prend la place de son maître, il fait la même chose, s’il ne fait pas pire.

 

Un ami, qui travaille dans la magistrature, me confiait il y a quelques années comment lui et ses collègues avaient approché l’ancien président  Ndayizeye afin de lui proposer des mesures à prendre pour une reforme profonde de la justice afin qu’elle soit réellement indépendante. Remarquant que cela allait lui faire perdre de l’influence, Ndayizeye a ignoré leurs propositions. C’est quand le régime Radjabu-Nkurunziza lui a coffré dans le goulag de Mpimba sur des accusations de coup d’État fabriquées de toutes pièces qu’il a soulevé que la justice n’était pas indépendante. Comme si sous son règne, elle l’était.

Avec toute la sympathie que j’ai eue pour Alphonse Marie Kadege lorsque les Services de renseignements le malmenaient pour une accusation qui ne tenait aucunement la route, il avait passé plusieurs décennies dans les coulisses du pouvoir, il avait, à plusieurs reprises eu l’occasion de pouvoir changer la situation honteuse de notre justice. Il a laissé faire. Lorsque ça chauffait dans les bureaux mal entretenus de la documentation et quand les policiers et les procureurs du régime l’acculaient, il a soulevé que la justice n’était pas indépendante. Comme si elle l’était quand il était aux gloires.

 

Plus récemment encore, Hussein Radjabu, alors tout puissant maître du système CNDD-FDD, n’arrêtait pas de faire la pluie en abusant du système judiciaire. Il faisait emprisonner qui il voulait, quand il voulait et comme il voulait. Lorsque ses anciens compagnons de lutte, ceux là même qu’il avait placés à des postes juteux, se sont tournés contre lui, il a sorti que la justice burundaise n’est pas indépendante. Comme s’il avait fait quelque chose pour changer la situation lamentablement grave de la justice burundaise. Il n’est pas resté longtemps au pouvoir, nous dira-t-on! Pendant le court moment qu’il a été aux affaires, il a participé à la perpétuation de l’injustice en réprimant tous ceux qui ne partageaient pas ses opinions.

 

Demain ou après demain, il n’est pas écarté que les actuels maîtres de Bujumbura se retrouvent dans la même situation, ils ne tarderont pas à brandir le slogan, la justice burundaise n’est pas indépendante et on leur demandera : qu’avez-vous fait, lorsque vous étiez aux affaires pour changer l’image de la justice?  La réponse sera : rien! Alors, on leur dira d’assumer.

 

L’instauration d’une justice juste et équitable doit être une priorité pour tous les Burundais : ceux qui la contrôlent  aujourd’hui, et ceux qui la subissent, pour donner un recours à tout citoyen lésé.

Ainsi, comme le disait Jean de la Fontaine dans Les animaux malades de la peste, «  Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».  Il est honteux de voir aujourd’hui que dans la plupart des coins du pays, les Burundais préfèrent se faire justice au lieu d’emmener leurs litiges devant les institutions du pays. Celles-ci ont perdu la  confiance des citoyens et elles ne font rien pour la rétablir. Un vieil ami, un homme pour lequel j’ai beaucoup d’estime, me disait dernièrement : «  Nous quand on arrête un voleur, nous n’attendons pas la police, quand la police arrive, c’est pour ramasser le cadavre. Car quand on confie un voleur à la police, il leur donne un peu d’argent, ils le libèrent et il revient pour continuer ses vols. Nous préférons le tuer  ».  Ces propos m’ont fait paniquer et je panique toujours.

En fait, si tout le monde qui accède au pouvoir continue d’agir comme ses prédécesseurs en matière de justice, je me demande le genre de société que nous allons léguer à nos enfants… Montesquieu nous l’a rappelé : « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous ».