La justice burundaise sous le régime du Cndd-Fdd :Entre bévues et mise au pas.
Burundi news, le 29 novembre 2006
Par Prémon Ntiburaca
Depuis le début de l’année 2006, une série de scandales émaillent la gestion de la justice au Burundi. La détention arbitraire décidée par des procureurs sur ordre du parti Cndd-Fdd ou de l’exécutif et libération provisoire des sept présumés putschistes par la Cour Suprême vite contrecarrée par le Procureur Général de la République, Jean Bosco Ndikumana sont des exemples concrets. Nous pouvons aussi citer le cas de l’emprisonnement d’un avocat par le Procureur Général près la Cour d’Appel de Gitega, Edouard Ndihokubwayo le weekend denier. Autant dire que l’on est encore loin de corriger les défauts que les partisans du changement attendent depuis longtemps dans plusieurs secteurs, dans le domaine de la justice en l’occurrence.
Corriger les déséquilibres dans les cours et tribunaux
Tout commence avec l’Accord d’Arusha d’Aout 2000 qui préconise la correction des déséquilibres constatés dans certains secteurs clés de la vie nationale. Ainsi, sur un financement de l’ancien Bureau des Nations Unies au Burundi(UNOB), l’ancêtre de l’ONUB, le Procureur Général de la République de l’époque, Gérard Ngendabanka entreprend des 2002, des tournées dans certains pays africains et même européens ayant accueilli des réfugiés burundais, des étudiants notamment, fuyant la guerre civile depuis Octobre 1993:RDC, Kenya, Centrafrique, Cameroun, Cote d’Ivoire, Benin et Sénégal...mais aussi au Kenya où se trouve une université francophone accueillant des étudiants burundais et rwandais en exil depuis 1995.
Des pays où les Hutu qui y ont reçu l’asile se doivent de choisir en premier lieu les filières de formation dont ils avaient été longtemps ou se sentaient exclus dans leur pays natal : le droit et l’économie en particulier. Cependant, même dans ces pays d’asile,-à l’exception du Kenya avec l’Université Espoir de Nairobi créée spécialement pour accueillir des Rwandais et des Burundais-la bataille n’est pas gagnée d’avance. Dans la plupart des cas, seuls les nationaux ont droit à une place dans les amphithéâtres de ces facultés dites nobles ! Quelques Burundais parviendront quand même à y percer. Et c’est à cette dernière catégorie que va s’adresser Gérard Ngendabanka. Parmi les candidats au retour, Jean Bosco Ndikumana, son cousin Stany Nimpagaritse et Edouard Ndihokubwayo. Ils atterrissent à Bujumbura au début de 2003 et sont nommés substituts dans les parquets de Bujumbura et Gitega.
Des criminologues à la tête du Ministère Public
Jean-Bosco Ndikumana et Stany Nimpagaritse seront nommés substituts au parquet de Bujumbura tandis que Edouard Ndihokubwayo est affecté au parquet de la République à Gitega. Avec la mise en place de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), comme certains autres magistrats, ils seront nommés des Commissions Electorales Provinciales Indépendantes (CEPI).
Jean-Bosco Ndikumana et Edouard Ndihokubwayo seront des Secrétaires Généraux respectivement des CEPI Bujumbura Rural et Gitega. Une bonne visibilité pour être repérés par Hussein Radjabu et Clotilde Niragira, l’actuelle Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, alors membre de la CENI. Malgré le manque d’expérience et de qualification, Jean-Bosco Ndiukumana et ses anciens condisciples du campus de Cocody en Cote d’Ivoire sont propulsés dans les plus hautes sphères du Ministère Public.
La criminologie: un ersatz du droit ?
Le dictionnaire Larousse du français contemporain désigne par ersatz, un produit de consommation destinée à suppléer à un autre devenu rare. Mais, selon le même dictionnaire, le même terme s’utilise aussi, de manière péjorative, pour désigner une imitation médiocre ou une oeuvre de qualité inférieure. Au regard de ce qui se passe au niveau de la justice burundaise actuellement, c’est plutôt le deuxième sens que l’on devrait utiliser pour désigner la qualité de certains des membres du Ministère public nommés par le Cndd-Fdd. Et pour cause !
Dans presque toutes les facultés de droit, la criminologie fait partie du cursus. Elle est également enseignée dans les écoles ou instituts de police. Mais tous ceux qui ont fréquenté la faculté auront constaté que son volume horaire est de moindre importance,même si tout fait nombre au niveau de l’évaluation de l’étudiant. Et c’est un cours qui est vu une seule fois au niveau de tout le cursus.
Conséquence de cette situation, au niveau de l'équivalence des diplômes, le détenteur d'une maîtrise en criminologie-en Afrique de l’Ouest par exemple ne peut pas être accepté en deuxième année de la faculté de droit. Il doit commencer en première année parce que son niveau est très en de ça de la maîtrise en droit.
Tous ceux qui ont eu à traiter de la criminologie savent qu’elle est loin d'être un ersatz du droit. Elle est à cheval sur la psychologie et la sociologie. L'encyclopédie électronique Wikipédia définit la criminologie comme «la science de l'étude du comportement criminel et son impact sur les lois et le comportement humain». Cette discipline est également considérée comme « la science des causes du crime ».
Il s'agit donc d'essayer de comprendre le criminel mais aussi la victime. Et c'est la raison pour laquelle, actuellement, cette branche est, dans certaines universités, intitulée cours de criminologie et de victimologie. Un enseignement qui selon l'encyclopédie Wikipédia « concerne l'ensemble des questions de violence, de délinquance et de déviance et trouve ses champs d'application dans les domaines médico-psychologique, judiciaire, pénitentiaire, éducatifs et sociaux : expertises psychologiques, conseils et accompagnements spécialisés et actions sociales ».
En clair, les criminologues peuvent travailler dans le monde judiciaire ou policier; mais pas dans la magistrature pure. La police, l'administration pénitentiaire, les sociétés de gardiennage ou de sécurité, voilà les secteurs où se retrouvent les criminologues dans les autres pays. Tant il est vrai que les criminologues n'ont pas de place dans un débat entre juristes. Pas plus qu'un OPJ ne peut aller jusque dans la salle d'audience pour représenter le Ministère public.
Une magistrature plus que jamais mise au pas
Comme le dit bien l'adage français, la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a. Ces criminologues bombardés procureurs n’ont pas de principes juridiques à défendre parce que tout simplement ne les connaissant pas. Normal donc qu’ils soient prompts à exécuter toutes les volontés de Hussein Radjabu, Ramdhani Karenga, Adolphe Nshimirimana et autres Clotilde Niragira. Le cas du procureur de la Mairie de Bujumbura, Stany Nimpagaritse est assez parlant. Ne se sachant pas juriste, et partant incapable d’instruire un dossier judiciaire, il cherche une astuce chaque fois qu’il reçoit des ordres du pouvoir. Son substitut Liévin Macumi lui sert d’écran, à en croire, du moins, ses collaborateurs. C’est Liévin Macumi qui a convoqué- au téléphone-le président de l’Obserbatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques (OLUCOME) pour l’envoyer à la Prison Centrale de Mpimba après l’interrogatoire. C’est le même Liévin Macumi qui vient de récidiver en mettant sous les verrous nos confrères de la RPA, Domitille Kiramvu et Serge Nibizi. Il vient aussi de mettre en prison le directeur de la radio Isanganiro. Pourtant, ce jeune récemment rentré un magistrat de l’une des juridictions de la capitale.
D’une justice monoéthnique à une justice de parti
La justice burundaise était hier qualifiée de monoethnique non sans raison. Toutes les personnes assoiffées de changement espéraient un changement, du moins à long terme. Mais force est de constater que l’on n’est pas encore sorti de l’auberge avec la méthode de Clotilde Niragira et Hussein Radjabu. Les arguments ne manquent pas pour justifier leur méthode.
Tantôt, c’est dans le cadre de la correction des déséquilibres ethniques conformément à l’Accord d’Accord d’Arusha d’août 2000. Mais là aussi, s’il est vrai que les Hutu sont moins représentés dans les cours et tribunaux, l’on aurait pu néanmoins en trouver et bien former pour occuper les postes de procureurs actuellement caractérisés par des bévues incommensurables.
Tantôt, la raison avancée est la méfiance du Cndd-Fdd vis-à-vis des hommes de lois dont il ne connaît pas encore bien l’obédience politique. Ce qui justifierait la nomination des militants dévoués voire soumis au chef suprême du parti. Mais cet argument ne tient pas non plus la route. Et pour cause.
S’il est vrai que même aux Etats Unis, un juge de la cour suprême peut être étiqueté proche des Démocrates ou des républicains, il y a des limites à ne pas franchir. La compétence doit rester de rigueur.
L’affiliation au parti n’est pas de mise dans les domaines réputés techniques comme la justice. C’est l’un des principes clés de la démocratie. Quand bien même la constitution prévoirait la compatibilité de la carte de membre du parti avec la toge de magistrat, le Cndd-Fdd aurait pu trouver des Hutu en son sein ou dans les partis satellites ou alliés.
Enfin, dans le pire des cas, même si la constitution ne le prévoit pas, l’on pourrait recourir à l’assistance des pays amis pour avoir des magistrats dignes de la confiance de tous les Burundais. Même si cela n’irait pas sans poser un problème de communication entre des justiciables qui ne comprennent que le Kirundi et des magistrats qui ne parlent que le Français ou l’Anglais. De toutes façons, c’est une voie que le Burundi pourrait emprunter. D’autres pays ont expérimenté cette solution.