LE PRESIDENT KAGAME EN VISITE EN FRANCE
Burundi news, le 13/09/2011
Par Gratien Rukindikiza
Le Rwanda et la France entretenaient des relations tendues avant l'arrivée au pouvoir du Président Sarkozy. Ces relations tendues avaient pour cause le génocide d'avril 1994. Le Rwanda a accusé la France d'avoir aidé les génocidaires et de les avoir exfiltrés. L'opération Turquoise des militaires français au Rwanda a été perçue par les Rwandais, proches du FPR, comme une agression et par les Français comme une action humanitaire pour arrêter le génocide. Les Français ont du mal à comprendre que leurs militaires soient accusés dans un rapport de complicité de génocide. Le patriotisme fait que les peuples se rangent souvent derrière leur armée, si elle est républicaine. De même, les Rwandais attendaient de la France une repentance, ce que le Président Sarkozy n'a pas dit ouvertement lors de sa visite au Rwanda.
Si les dirigeants au sommet de ces pays s'entendent sur l'interprétation de l'histoire pour construire le futur, leurs peuples n'ont pas eu assez d'explications pour avoir une même lecture de l'histoire. Du côté de l'armée, le fossé semble être plus grand. Turquoise reste la zone d'ombre et le flou dans le réchauffement de l'amitié entre les deux peuples.
Préparation de la visite du Président Kagame en France
La préparation de cette visite a été très minutieuse. Rien n'a été laissé au hasard. Des ministres, cadres du parti au pouvoir, militaires sont venus deux semaines à l'avance pour préparer cette visite au moindre détail. Des visites en province, des rencontres, des communications variées ont été nécessaires pour organiser la journée du dimanche 11 septembre 2011 de rencontre du Président Kagame et les Rwandais.
Les organisateurs ont tablé sur 5 000 personnes et y sont parvenus. A partir de ce chiffre, tout a été conçu dans les mêmes dimensions. Des repas étaient préparés pour nourrir les 5 000 prévus. Pour réunir un tel nombre, les Rwandais de la diaspora ont mobilisé presque tous les Rwandais des pays européens. Des bus ont transporté des Rwandais venant de Suède, Norvège, Pologne, Allemagne, Italie, Espagne, Portugal, Suisse, Luxembourg etc... Le Rwanda a mis les moyens. Cette visite a coûté très chers en argent et en énergie. Même au niveau de la préparation, l'implication de la diaspora rwandaise était impressionnante.
La préparation de cette visite a été faite dans le grand secret. Le lieu où se trouvait la salle de rencontre a été révélé un jour avant pour des raisons de sécurité. L'hôtel qui devait accueillir le Président Kagame a été connu pour les non initiés après son arrivée. Il va de soi que pour l'hôtel pouvait être deviné en raison de la dimension souhaitée par le pouvoir pour cette visite.
La rencontre du Président rwandais et la diaspora rwandaise
La rencontre s'est passée dans la ville d'Aubervilliers, une ville peuplée de beaucoup de Congolais. Ce sont ces Congolais qui sont très remontés contre le Président Kagame en raison de la guerre du Congo.
L'accueil était sans faille, toute personne n'étant pas de la délégation, ni invitée officielle, devait porter un badge de la diaspora rwandaise. Trois grandes salles ont été louées pour servir d'exposition des produits rwandais et une autre pour se ravitailler. La plus grande était le lieu de rencontre.
La sécurité était trop contraignante pour les personnes présentes. Les téléphones, les appareils photos, vidéos devaient rester à l'accueil. La fouille au corps était trop au corps, si je peux me permettre. Personnellement, jamais je n'avais jamais connu une telle fouille, que ce soit dans les aéroports ou ailleurs.
L'arrivée du Président Rwandais dans la salle a connu un retard de 2 heures 30 minutes. Certains commençaient à se demander s'il allait venir.
Avant l'arrivée du Président Kagame, des conférenciers ont exposé notamment le directeur de l'agence rwandaise de développement et un professeur a exposé sur la bonne gouvernance.
La rencontre a été transmise en direct sur une télévision rwandaise; ce qui devait coûter très cher.
L'arrivée du Président Kagame dans la salle s'est passée dans un cafouillage. En effet, l'animateur a constaté que le Président était déjà dans la salle au moment où il continuait d'animer. Le Président Kagame est arrivé et a fait quelques pas pour revenir en arrière avant de continuer jusqu' à la place réservée. Un bain de foule a été fait quelques minutes après son arrivée mais tout évitant de serrer les mains. Disons que c'est un bain de foule opposé à celui de l'ancien Président Chirac.
Son intervention
Après quelques interventions des personnalités se résumant en louanges, en remerciements, presque en vénération, le Président Kagame a pris la parole. L'humour, le visage serré, rarement souriant, les anecdotes et le libéralisme; voilà les points dominants.
Il est vrai que le Rwanda connaît une croissance sans précédent. Les succès du Rwanda sont cités implicitement comme des succès personnels au seul Président rwandais. L'équipe n'a jamais été citée qui contribue à cette réussite. Kagame a des mots faciles, simples pour faire passer un message et aussi pour faire admirer son oeuvre. Il captive l'attention par son humour, par son franc parler. Par ailleurs, il ressort un libéralisme pur dans son idéologie, une course vers le miracle économique. Dans son discours, l'économie a pris une place prépondérante. La politique a été évoquée mais juste pour tourner en dérision l'opposition, les gens qui critiquent le pouvoir.
C'est vrai que Kagame veut une place de choix du Rwanda dans la sphère des nations. Il a demandé à tout africain qui a l'envie d'aller participer au Rwanda d'y aller, que le Rwanda est prêt à les accueillir et même de leur accorder la nationalité. Une vision panafricaniste? Certains le diront, d'autres diront que c'est aussi une façon d'attirer les cerveaux pour développer le Rwanda.
Dangers qui guettent le Rwanda à travers son discours et les interventions des participants à la rencontre
Souvent les forces d'un homme entretiennent ses faiblesses. A travers les questions posées et les réponses, le danger de la vénération hante le Rwanda. Vénérer un chef d'Etat est une façon de le conduire vers un pouvoir personnalisé avec tous ses dangers. Le chef doit sans cesse rappeler qu'il n'est pas le seul à construire le pays mais que c'est un travail d'équipe. Plus des gens vénèrent un chef, plus ce chef devient irremplaçable. Or, le peuple a besoin de la continuité du développement même après un tel ou tel autre Président. C'est un exercice délicat pour un chef d'Etat africain de combattre la volonté de son entourage de le vénérer. Souvent, le peuple africain "vénère" le Président au pouvoir et le maudit dès sa chute.
Entendre les voix discordantes est aussi l'exercice de la démocratie. Refuser la parole aux gens parce qu'ils veulent poser des questions qui fâchent n'est pas un bon service que son entourage lui rend. C'est ce qui s'est passé souvent dans la salle. Le micro à celui qui "parle bien". Or, le Président a besoin des critiques, il n'est pas parfait. Son entourage n'ose pas lui dire qu'il se trompe quand il se trompe. C'est le peuple qui le rappelle aux dirigeants dans de telles occasions.
Que les Rwandais proches du pouvoir le veuillent ou non, une question se pose sur la réconciliation nationale. Comme dirait Kagame, une solution s'impose. Il appartient aux Rwandais de s'asseoir ensemble, de réfléchir, de construire ensemble ce pays. L'économie actuelle rwandaise est la manne du ciel pour se réconcilier, pour partager et aussi pour vivre en paix ensemble. Une économie solide, prospère prépare la paix, la réconciliation, permet de boucher les brèches. Si l'économie ne s'oriente pas vers ces souhaits nobles, elle aiguise les appétits, elle ne laisse pas les autres indifférents; d'où la destruction d'une telle économie par une guerre ou des luttes internes.
La vision 2020 devrait englober aussi la politique. La politique stable, démocratique, respectueuse des droits de l'opposition, des acquis et de l'espérance de tous est la fondation de l'économie et de la prospérité d'un peuple.
Tout n'était pas rose
A la fin de la rencontre, un Rwandais présent a été agressé à l'extérieur par un groupe de Congolais. A Paris, sur les champs Elysées, un avocat de la délégation du Président Kagamé a été battu pour des raisons politiques( par des Congolais ou Rwandais).
Le boulevard périphérique de Paris, l'autoroute la plus fréquentée de France, a été coupé en raisons d'une manifestation contre la visite du Président Kagame en France. Une voiture a été brûlée. Les manifestants accusent Kagame d'être un assassin.
Certains médias ont retenu du Rwanda ce qui ressort des rapports des ONG des droits de l'homme. Les médias n'ont pas parlé de l'économie mais plus de la politique en relation avec la France et la volonté réelle de Kagame de quitter le pouvoir.
Une note positive
Le Rwanda a beaucoup à apprendre aux autres pays notamment la lutte contre la corruption, la planification économique. Le jour où le Rwanda aura tous ses politiciens, y compris l'opposition, sur le sol national, sans crainte, il aura gagné la grande manche pour son développement.