LE PRESIDENT KAGAME ET LA MORT DES DEUX PRESIDENTS BURUNDAIS
Par Gratien Rukindikiza
Burundi news, le 25 décembre 2005
L’histoire est faite de rebondissements de non dits, de mensonges et de manipulations. Les intérêts des uns et des autres recommandent une certaine manipulation des faits. La vérité est toujours bonne à dire. Elle se limite à la frontière du mensonge. Ce n’est pas l’intention d’accabler une personne que le mensonge peut s’expliquer. Le Président Ndadaye est mort, assassiné par certains militaires burundais connus et les commanditaires sont connus et sont en parfaite liberté sans être inquiétés.
Dans ces jours, plusieurs livres sur le Président rwandais Kagame sont sortis à Paris pour dénoncer sa façon de diriger. Le Rwanda entretient de mauvaises relations avec la France suite à l’intervention au cours de l’opération turquoise et au soutien à l’ancien Président Habyalimana. Certains auteurs de ces livres affirment détenir des informations qui sont en principe accessibles aux initiés des renseignements. Il est normal que le contentieux entre les deux pays passent aussi par des livres. Je ne dis pas que toutes les affirmations de ces livres sont fausses. Je n’ai aucune compétence de juger un pays ou un régime que je ne connais pas. Mon analyse porte sur les affirmations sur la mort du Président Ndadaye et celle du Président Ntaryamira se trouvant dans le livre du journaliste d’investigation d’origine camerounaise Charles Onana. Je l’ai rencontré à Paris et j’ai écrit un texte d’une page qui est repris dans le livre mais croyant que c’était un livre sur le Burundi d’après nos conversations.
Dans son livre intitulé : « Les secrets de la justice internationale », l’auteur affirme que Kagame est venu au Burundi avant le putsch et qu’il a pris discrètement une chambre à l’hôtel Méridien. C'est une fausse affirmation car Kagame est venu à Bujumbura sur invitation du Président Ndadaye et logeait au Méridien avec une protection de la gendarmerie burundaise. Ses déplacements n’étaient pas secrets car il y avait un officier de la gendarmerie burundaise affecté à sa sécurité. Il a été reçu à la Présidence par le Président Ndadaye et la presse avait transmis l’information. Pour renverser Ndadaye, l’armée burundaise n’avait pas besoin du soutien du FPR sans parler de l’argent. C’est plutôt certains officiers qui pouvaient cotiser pour le FPR et non l’inverse.
L’auteur cite IDC qui affirme que Bagaza préparait un coup d’Etat contre Ndadaye. Il affirme aussi que Buyoya préparait un putsch, tous les deux en connivence avec Kagame. Il ressort que l’auteur ne connaît pas la politique burundaise. Buyoya et Bagaza ne pouvaient pas participer dans un même putsch. C’est l’un ou l’autre. Pour les connaisseurs du dossier du putsch d’octobre 1993, d’après des enregistrements téléphoniques, Bagaza aurait demandé au colonel Bikomagu de le protéger plutôt. Tous les témoins confirment que Bagaza s’est opposé à ce putsch, jugeant le Président Ndadaye de « mushingantahe ».
Kagame avait trouvé un médiateur en la personne du Président Ndadaye. Il avait compris que le Burundi ne devait pas être considéré comme une république dirigée par les hutu mais par les burundais. Il était convaincu que le régime de ce moment n’interviendrait pas dans le conflit rwandais.
Contrairement à ce que beaucoup de Burundais pensent, Ndadaye n’a pas eu de bonnes relations avec son homologue hutu du Rwanda. Le Président rwandais Habyalimana n’a pas toléré son indépendance politique. Ndadaye ne s’est pas conduit en petit frère du Président Rwandais et a maintenu des relations d’Etat à Etat malgré la pression de certains ministres.
Le Président Ndadaye n’a pas hésité à recevoir Kagame en 1993 à
la Présidence alors qu’il était en maquis contre Habyalimana.
Le Président Ndadaye a surpris Habyalimana lors de sa visite au Burundi, à Ngozi.
En effet, dans son discours d’accueil au stade de Ngozi, le Président burundais
a demandé à son homologue rwandais d’appliquer la politique d’unité nationale
comme au Burundi et de mettre en place les accords d’Arusha.
Assis derrière Habyalimana, j’ai vu celui-ci se gratter les cheveux en signe de
colère. Il a immédiatement écrit un petit mot à son directeur de cabinet Sagatwa,
lui demandant de lui faire une liste de sujets susceptibles de fâcher le
Burundi.
Je me suis demandé à ce moment-là s’il allait accuser le Burundi dirigé par
Ndadaye d’abriter de bases du FPR de Kagame ou d’avoir permis au FPR d’attaquer
à partir du Burundi, comme cela fut écrit sur un petit papier par Sagatwa.
Au cours des discussions, Habyalimana menaçait Ndadaye de lui envoyer dans la semaine suivante, tous les réfugiés Burundais sur le territoire Rwandais. La rentrée massive des réfugiés aurait déstabilisé Ndadaye politiquement et économiquement. Il lui a été difficile de convaincre Habyalimana déchaîné de ne pas mettre à exécution ses menaces.
Ndadaye avait compris que la gestion des deux pays différait et qu’il pouvait s’affranchir de la tutelle souhaitée par le rwandais. Malheureusement, dans son camp comme dans le camp adverse, l’incompréhension était totale. Plusieurs hutu croyaient que Ndadaye roulait pour Habyalimana car tous les deux étaient des hutu. Plusieurs tutsi avaient généralement la même impression. Pourtant, quelques faits et gestes précis démontrent que la réalité était autre.
En Septembre 1993, le Président rwandais Habyalimana avait encouragé Kabura Cossane, chef du Palipehutu en ce moment, à attaquer le Burundi. Cossane avait même donné une interview au journal « La semaine » d’Alexis Sinduhije de l’hôtel rwandais où il était en cette période. Heureusement, Cossane n’avait des combattants que sur le papier.
La haine de Habyalimana envers Ndadaye n’est pas étrangère à
l’assassinat de ce dernier. Le chef des renseignements Rwandais était à
Bujumbura et assistait en direct de sa chambre d’hôtel au pilonnage du palais de
Ndadaye dans la nuit du 21 octobre 1993.
Est-ce une pure coïncidence, un hasard historique?
Et si un protégé de Habyalimana, membre du Frodebu, avait voulu prendre le
pouvoir avec la complicité de l’armée ?
Concernant la mort du Président Ntaryamira, certains éléments démontrent que sa mort n’a pas été préméditée d’autant plus qu’il devait prendre son avion de Dar-Es-Salam à Bujumbura. C’est l’ancien Président rwandais Habyalimana qui l’a convaincu de venir dans l’avion rwandais. Habyalimana a refusé que les deux officiers de sécurité montent dans l’avion rwandais. Il a même affirmé à ces officiers qui tenaient à rester avec le Président Ntaryamira qu’il était responsable de sa sécurité. Certains disent que Habyalimana croyait qu’il pouvait échapper à un attentant s’il était accompagné par le Président burundais.Il était au courant d'un attentant possible contre son avion. Contrairement à ce qu’affirme l’auteur du livre Onana, le Président ougandais n’a pas poussé le Président Ntaryamira à voyager dans l’avion rwandais. De plus, son avion le suivait pour le récupérer à Kigali. Aucun autre sommet n’était prévu à Kampala.
Jusqu’aujourd’hui, il existe plusieurs thèses sur l’attentat contre l’avion. Il ne m’appartient pas de trancher. Par ailleurs, l’acharnement médiatique ne peut justifier de mensonges. Kagame n’est pas responsable de la mort du Président Ndadaye. Ntaryamira n’était pas prévu qu’il soit abattu dans l’avion d’autant plus qu’il a accepté à la dernière minute de monter dans l’avion de Habyalimana.
Le Burundi et le Rwanda sont deux Etats différents. Les peuples sont aussi différents. Tous les politiciens, journalistes et observateurs qui ont cru que l’histoire des deux pays se confondent. Les problèmes burundais sont différents des problèmes rwandais. Les solutions sont aussi différentes.