Ce monsieur est dangereux. Dangereux non seulement pour
lui-même, car les djinn de la mégalomanie qui l'habitent sont décidément
tenaces. Mais aussi pour son pays duquel il promet d'être le Néron si jamais
sa soif de se scotcher au fauteuil présidentiel n'est pas assouvie. Pierre
N'kurunziza a-t-il perdu la raison ? En tout cas, il semble d'autant plus
irrécupérable que même ceux qui lui veulent du bien, en le conjurant de ne
pas faire le saut de trop, subissent ses foudres.
La Constitution du Burundi autorise l'ancien prof d'éducation physique à ne
faire que deux tours de piste, qui consacrent la fin de ses deux mandats à
la tête de l'Etat. Sur le point de boucler ces deux tours, Pierre N'kurunziza
en demande encore plus. Il veut que le chronomètre soit remis à zéro, se
refusant ainsi à toute idée de passer la main. Bon Dieu ! Monsieur le
président, cette attitude n'a pas d'autres noms que l'égotisme,
l'égocentrisme et l'égoïsme. Un très vilain trait de caractère s'il en est,
contre lequel des voix s'élèvent de plus en plus, même dans son propre camp.
N'kurunziza va-t-il entendre raison ? C'est mal connaître l'homme. Ses
proches qui lui contestent le droit de briguer une nouvelle fois la
présidence, en voient déjà des vertes et des pas mûres. A preuve, le
président du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la
démocratie / forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), Pascal
Nyabenda, n'a pas hésité à brandir le bâton : il menace de prendre des
sanctions contre les frondeurs au sein du CNDD-FDD. Et promet que ces
sanctions iront de la suspension à une exclusion pure et simple du parti.
Ces « têtes brûlées » du parti, pourraient également perdre leurs fonctions,
que ce soit au gouvernement ou dans l'administration. Ou encore perdre leurs
sièges de parlementaires. La dictature jusqu'à la caricature ! Quelle ironie
que du sigle du parti au pouvoir, ressorte par deux fois « défense de la
démocratie » ! En quoi le CNDD-FDD est-il un parangon de démocratie,
cornaqué qu'il est par un satrape de la pire espèce ? On connaît l'addiction
au pouvoir de la plupart des chefs d'Etat africains de la zone francophone.
Les grands bouleversements qui s'opèrent en ce moment en Afrique et que
précède cette lame de fond qui déferle progressivement sur les pouvoirs
rétifs à tout changement démocratique, devraient pourtant inciter ces
dirigeants à grandir enfin... en raison. A anticiper, dans la sagesse, sous
peine d'être tôt ou tard balayés.
La décadence trouve difficilement des compagnons de route
A l'endroit de Pierre N'kurunziza et à tous ces chefs d'Etat englués dans la
logique de la confiscation du pouvoir, qu'ils ouvrent enfin les yeux : le
continent est de plus en plus riche d'exemples de dirigeants qui ont été
poussés à la sortie... ou plus exactement qui ont été défénestrés parce
qu'ils tentaient par tous les moyens de s'accrocher au pouvoir. Cela
n'arrive pas qu'aux autres. Ils devraient également se convaincre que tous
les courtisans et autres thuriféraires ne sont pas forcément leurs amis. Ils
ne défendent que leur beefsteak. Or, autant la défaite est orpheline, autant
la décadence trouve difficilement des compagnons de route. Tous les
Raspoutine qui en auront l'occasion, tourneront aussitôt casaque, une fois
que le pouvoir aura changé de mains.
A l'adresse des zélateurs et autres laudateurs, ils devraient enfin
comprendre qu'on ne doit pas lier son destin à celui d’un mortel, fût-il
l'homme fort du moment. Il n'est pas éternel. Une fois terminé le bras de
fer engagé contre le peuple dont la boulimie du changement aura atteint son
paroxysme, la seule issue pour eux, c'est l'exil forcé. Et les plus chanceux
n'auront pas d'autre choix que de raser les murs. Entre-temps, la tragédie
sera passée par là. L'Afrique ne mérite pas ce sort, encore moins le Burundi
qui revient de loin.
"Le Pays"