Burundi news, le 17/07/2010

Par Grégoire Birihanyuma

Lettre ouverte au président de la CEN « I »

 

A Monsieur Pierre-Claver NDAYICARIYE

Président de la CEN« I »

à Bujumbura

 

Le 17 juillet 2010

 

Objet: TROP C'EST TROP !

 

 

Monsieur le Président,

 

Compte tenu des réflexions peu amènes que l'on entend, ou que l'on lit, ici et là, à l'étranger, à propos de  la « duperie électorale burundaise de 2010 »  et la dégradation de la situation sécuritaire qui s'en est suivie dans tout le pays depuis votre proclamation, ex cathedra, de « vos résultats dits  provisoires du 24/05/2010 »,

 

Compte tenu de l'opacité dont vous avez délibérément décidé d'entourer « vos » résultats des scrutins des 24/05/2010 et 28/06/2010,

 

Compte tenu du nombre, chaque jour croissant,  de victimes politiques innocentes qui n'arrêtent pas de tomber sur le champ d'honneur de la  la démocratie,  dont le seul crime est d'avoir osé demander la transparence des résultats que vous avez vous-même fabriqués puis proclamés discrétionnairement,

 

Compte tenu du fait que si votre attitude partisane et partiale n'est pas stoppée très vite, vous êtes  en train de condamner sciemment le Burundi à la férule dictatoriale d'un parti unique génératrice, par excellence, de chaos,

 

Compte tenu que le simple fait de vous laisser carte blanche pour renforcer l'insécurité croissante actuelle sans réagir équivaut, pour tout démocrate burundais lucide, à approuver votre crime  dont vous devrez répondre,

 

J'ai l'honneur de joindre ma voix à celles d'autres compatriotes pour  vous demander des « éclairages » (mot qui vous est si cher) sur votre mépris affiché à l'égard de notre nation,  tout en  vous rappelant votre lourde responsabilité historiques dans la crise politique actuelle déclenchée par vous-même, peut-être involontairement,  le jour ou vous avez proclamé des « résultats artificiels du scrutin du 24/05/2010 ».

 

Monsieur le Président,

 

Comme toute personne humaine, vous méritez le respect. C'est pour cette raison que ma correspondance vise vos actes, et non votre personne. Il vous reviendra, bien entendu, de  démontrer que vos adversaires se trompent, si vous leur donnez des arguments convaincants. Cependant, j'ai le sentiment que je dis tout haut ce qu'une grande majorité silencieuse de mes compatriotes pensent tout bas (y compris au sein du CNDD-FDD et même au sein de la Commission électorale)! Mais le débat est ailleurs. Il porte sur l'insincérité flagrante et avérée des résultats électoraux que vous avez sortis de votre chapeau de prestidigitateur pour les présenter comme étant vrais, alors qu'ils sont, pour le moins, « fantaisistes », voire mensongers, puisque invisibles! Il est vrai qu'ils ont connu des variations suspectes avant de se stabiliser(?!)au chiffre que vous avez bien voulu nous annoncer. Une telle supercherie heurte les consciences!

 

Votre conscience devrait vous reprocher de ne pas avoir pu ou su vous montrer à la hauteur des enjeux des élections de 2010. En effet, depuis les accords d'ARUSHA signés le 28/08/2000, le peuple burundais  attendait, avec enthousiasme, une période électorale de 2010, plutôt festive,  pour renouer les liens sociaux distendus pendant les affrontements consécutifs à la décapitation des institutions démocratiquement mises en place par le même peuple souverain en 1993. Tout le monde s'était préparé à une kermesse populaire : vous avez pris la lourde responsabilité de tout gâcher! Le peuple risque de ne pas vous le pardonner.

 

Sous votre impulsion, quiconque n'adhère pas au parti au pouvoir est traqué, menacé, intimidé, emprisonné, torturé, voire assassiné, malgré les cris d'alarme du Président de l'APRODH et d'autres associations similaires nationales et internationales de défense des droits de la personne humaine. Vous avez  fait entorse à votre neutralité et avez ainsi choisi votre camp en affichant clairement  votre dépendance condamnable. Vous êtes donc le premier comptable de toutes les victimes de l'intolérance que nous déplorons chaque jour et chaque nuit sur tout le territoire national.

 

De démocrate que vous étiez supposé être lorsque le Président NDADAYE vous avait fait l'honneur de vous élever au rang d'Ambassadeur, vous êtes en passe, je le crains, de raviver le triste souvenir du putsch sanglant du 21/10/1993! Une telle turpitude fait froid dans le dos, et pas uniquement dans celui des démocrates.....Même les putschistes de l'époque ont compris la gravité de leur crime et se sont, depuis lors, convertis au régime démocratique, la seule bouée de sauvetage pour tous les Burundais, sans exclusive! Vous menez un combat d'arrière-garde.

 

A quelques jours des élections législatives, que vous savez litigieuses mais que vous  maintenez, contre l'avis de plusieurs de vos compatriotes (y compris de certains démocrates du camp que vous soutenez même s'ils  n'en sont pas forcément tous fiers) et  pour des raisons que l'on découvrira un jour ou l'autre, vous devriez d'abord avoir l'humilité de reconnaître publiquement vos énormes erreurs de gestion.  Celles-ci sont, en effet, à l'origine des tensions politiques actuelles, suite à votre décision irresponsable de ne pas sauver le processus électoral en le suspendant.

 

En organisant la farce électorale du 28/06/2010 pour laquelle les libertés fondamentales de certains citoyens ont été purement et simplement foulées au pied par vous-même, vous avez affiché, sans ambages,  votre plan à peine voilé de vouloir  ramener le Burundi à la période antérieure au fameux  sommet de La Baule dont vous semblez tellement nostalgique!

 

Monsieur le Président,

 

Jusqu'à la preuve du contraire, les deux résultats électoraux que vous avez proclamés sont, ayez le courage de le reconnaître, « fabriqués de toutes pièces », puisque non vérifiés et non vérifiables! Le fait que vous ayez entraîné l'ensemble de vos proches collaborateurs, y compris certains présidents des CEPI et certains des présidents des CECI à violer allègrement   le code électoral est une monstruosité. Surtout que toutes ces personnalités, à commencer par vous-même,  passaient pour être des sages intègres, incorruptibles! Tous ceux qui vous avaient fait confiance (dont moi-même, je l'avoue) en auront eu pour leurs frais!

 

En vous entêtant collectivement (?) à refuser de rendre accessibles les listes exhaustives de tous les procès verbaux régulièrement paraphés par qui de droit, vous avez  vous-même démontré que  « vos » pseudo-résultats sont frappés de nullité! Malgré votre propre démonstration magistrale, vous persistez dans votre erreur! Mais la ficelle est trop grosse pour que les Burundais soient si crédules! Et l'on comprend mieux pourquoi quiconque conteste « vos » résultats a toutes les raisons de craindre pour sa vie et pour celle de sa famille. Non seulement le peuple est en train de se faire voler sa démocratie peu à peu, mais, en plus, il faut qu'il soit condamné à le payer de sa vie s'il ose poser des questions! Vous êtes en train de pousser le bouchon trop loin!

 

Le monde entier a été témoin que, c'est, de votre propre chef, que  vous  avez pris l'ignominieuse initiative d'attribuer à chaque liste de candidats le nombre de voix que vous aviez envie de lui donner, selon votre bon vouloir. Les vrais résultats des urnes des 24/05/2010 et 28/06/2010 ont été subtilisés par qui on sait, avec votre aimable et coupable complicité!

 

Est-ce parce que vous avez l'assurance qu'aucun magistrat burundais n'a aucune chance de vous inquiéter aujourd'hui? La roue de l'histoire continue de tourner, cher Monsieur NDAYICARIYE! L'ex-Président libérien, Charles TAYLOR, est en train de l'apprendre à ses dépens. Vous connaissez d'autres exemples  du genre qui devraient, peut-être, alimenter votre méditation!

 

A toutes celles et à tous ceux qui, de près ou de loin, ont participé à cet odieux complot contre le peuple burundais et contre la démocratie burundaise, je n'ai pas peur d'affirmer haut et fort: « votre conscience vous a déjà jugé(e) et condamné(e) , avant même le verdict du peuple sur lequel vous êtes en train  de faire s'abattre de nouveaux malheurs dont il croyait se sortir définitivement, par les élections justes, libres, transparentes et démocratiques de 2010 ».

 

Un jour qui n'est, peut-être pas très lointain, vos compatriotes découvriront votre félonie. Ils risquent d'être plus intransigeants que vous l'êtes en les condamnant aujourd'hui: ça sera votre deuxième jugement. Qui risque d'être sans appel!

 

Le troisième procès auquel vous pourriez répondre sera celui, formel celui-là, devant une juridiction nationale et/ou internationale compétente diligentée par un gouvernement burundais démocratiquement élu, celui-là même que vous êtes en train d'empêcher de sortir des urnes, sans fraudes.

 

Quoique vous fassiez, la démocratie burundaise finira par triompher: les leaders des  partis démocratiques burundais ont le soutien de la majorité du peuple, y compris au sein des forces de défense, de sécurité et même de la justice. Et ceci devrait vous faire réfléchir! Paradoxalement, votre entêtement à vouloir écraser la démocratie burundaise risque de se retourner contre vous et risque de profiter davantage aux démocrates burundais plutôt qu'aux ennemis de la démocratie burundaise, dont vous-même!

 

Monsieur le Président,

 

Ce  qui est le plus inquiétant, ce n'est pas tant que le président de la CEN« I » (que vous êtes) ait osé  proclamer, toute honte bue et de connivence avec certains de ses collaborateurs, de faux résultats électoraux, par deux fois. Non. Nous sommes prévenus que vous en proclamerez d'autres tout aussi frauduleux! A croire que c'est plus fort que vous.

 

Ce qui est plus grave, c'est que, d'une part, d'autres membres de la dite Commission, et à tous les échelons,  ont cautionné  une aussi grotesque énormité, et que, d'autre part, des observateurs burundais (qui connaissent, mieux que quiconque, les enjeux cruciaux de ces scrutins historiques de 2010) ont manqué de courage pour EXIGER DES PREUVES IRREFUTABLES ET INCONTESTABLES des dits « résultats ». Même des journalistes interrogés a posteriori, ont du mal à s'expliquer leur silence incompréhensible la-dessus! Auriez-vous un don caché d'hypnotiseur universel ? Décidément, vous n'avez pas fini de nous surprendre! Mais le peuple burundais aurait préféré des surprises plus agréables!

 

En revanche, il convient de saluer le courage de Madame Renata WEBER, Chef de la délégation de la MOE UE qui continue à déclarer  ne pas  comprendre votre obstination à ne pas rendre les procès verbaux accessibles à quiconque voulait les consulter ou les vérifier à chaud. Sans doute,  aviez-vous des faits inavouables à cacher! Secret de Polichinelle! Votre talent d'hypnotiseur sur cette digne dame roumaine semble avoir échoué!

 

Le deuxième élément qui aurait dû mettre la puce à l'oreille de toutes les électrices et de tous les électeurs qui ont eu l'occasion de voter aux communales (certains comme celles et ceux résidant à l'étranger en ont été injustement privé(e)s par la même CEN« I »), c'est que, contrairement au battage médiatique mensonger selon lequel (« AMATORA ABERA MW'IBANGA »), le vote  des communales n'était pas du tout secret, si l'on s'en tient au modèle du soi-disant isoloir utilisé! Ce seul motif était suffisant pour annuler ce scrutin, dans n'importe quel  pays démocratique. Mais vous, vous n'avez rien remarqué d'anormal!

 

Monsieur le Président,

 

Les nombreuses violations des articles du code électoral (certes perfectible), de ceux  de la constitution burundaise adoptée en 2005 et de ceux de la Déclaration Universelle des Droits de l'homme proclamée le 10 décembre 1948,  auraient dû vous inspirer, au nom de la concorde nationale, de la paix et de la démocratie, de suspendre le processus électoral afin de vous assurer, tout au moins,  que le slogan de votre logo (« élections libres, démocratiques et transparentes ») était et est respecté. Visiblement, vos intérêts étant ailleurs que dans l'avènement de la démocratie burundaise, vous avez préféré opter pour le non respect de votre propre devise. Une honte sans nom!

 

Votre fâcheuse manie de vous défausser systématiquement sur les CEPI pour trancher des litiges que vous saviez, pourtant, être de nature à remettre la sincérité du scrutin en cause sera, à mon humble avis, retenue par les historiens,  comme la faute la plus grave de votre mission. La simple sagesse, celle conforme à la culture burundaise aurait dû vous dicter  la reprise pure et simple de tout le processus électoral, sur de nouvelles bases, de concert avec tous les protagonistes. Malheureusement pour le peuple burundais, vos intérêts semblent être ailleurs!

 

L'idée  d'encourager un débat contradictoire radiotélévisé organisé entre des représentants de tous les acteurs politiques, sous le contrôle vigilant de « bashingantahe bo ku mugina » (nos illustres notables traditionnels) issus de l'électorat et, à dominante féminine, aurait pu et peut encore sauver des vies humaines! Pourquoi  donner l'impression de vouloir précipiter des élections, à l'évidence, mal organisées et, de surcroît, truquées ? Vous avez suffisamment démontré votre impréparation pour mener le premier scrutin à bon port, pour ainsi dire. « IMBWA YARIHUSE IVYARA IBIHUMYE »! La précipitation mène souvent au désastre!

 

Monsieur le Président,

 

Permettez-moi de vous faire remarquer que vous vous êtes arrogé trop de pouvoirs, y compris celui d'empêcher le CNDD-FDD qui, avons-nous entendu à plusieurs reprises de la bouche de son porte-parole, se disait toujours prêt à  recommencer le scrutin du 24/05/2010, dans les règles de l'art, pour infliger une défaite encore plus cuisante aux « mauvais perdants » (sic) de  l'opposition. Pourquoi donc l'en avoir privé ? Seriez-vous d'humeur chagrine contre une telle  fête de la démocratie qui aurait pu rapprocher les uns et les autres?

 

Dans un article paru récemment sur le site « bujumbura news » signé par Monsieur Athanase KARAYENGA, il a été fait état d'un tableau sans concession sur la lourde tension qui prévaut au pays actuellement. L'auteur démontre avec brio que l'honneur d'une CENI responsable réside dans son indépendance et dans une organisation rigoureuse d'élections exemptes de toute forme de contestation. Il relève une longue liste, non exhaustive, d'infractions présumées qui ont entaché les deux scrutins passés et qui, si elles s'avéraient exactes, auraient dû vous inciter à annuler tous les scrutins passés et à venir. Et il a raison, en moins que vous soyez en mesure de prouver le contraire.

 

J'ose espérer que vous mesurez les nombreux risques que vous faites encourir à toute une nation, votre nation, qui vous avait fait confiance et que vous continuez à trahir en vous entêtant à dresser des Burundais contre des Burundais, alors que vous aviez et avez toujours le devoir de protéger la paix et la démocratie burundaise encore fragiles.

 

Vous savez très bien que les autorités administratives d'un parti unique issues d'élections contestables et contestées risquent de se heurter à une farouche résistance pacifique mais efficace de Burundais qui ont déjà goûté aux délices de la démocratie, en contraste avec ce que nous vivons depuis la contestation exprimée par   l'ADC-IKIBIRI et son électorat. Les membres de cette courageuse coalition se disent, et c'est tout à leur honneur, vouloir consolider l'héritage de feu le Président NDADAYE que les putschistes de 1993 n'ont jamais porté dans leur coeur. Peu importe. Ce qui est certain, c'est que si demain des élections transparentes, libres et démocratiques sont organisées par une CENI digne de ce nom, tous les Burundais, vous-même y compris,  retrouveront le sourire et le pays va enfin commencer à se développer.

 

 Monsieur le Président,

 

Même si vous faites semblant de l'ignorer, toutes celles et tous ceux qui aiment le Burundi, et particulièrement les démocrates burundais, savent pertinemment que tous « vos » résultats issus des scrutins des 24/05/2010 et 28/06/2010 sont frauduleux et doivent être refaits selon les standards internationaux observés par les pays démocratiques, dont le Burundi est fier de faire partie, n'en déplaise à vous, Monsieur NDAYICARIYE et à vos collaborateurs complices.  

 

Permettez-moi de vous recommander d'écouter votre conscience, de consulter vos aîné(e)s dans vos propres familles respectives et de respecter les conseils des anciens et  vrais « Bashingantahe » qui n'attendent que d'être sollicités pour nous sortir de l'impasse dans laquelle votre irresponsabilité a plongé tout le peuple burundais!

 

Monsieur le Président,

 

Toute électrice et tout électeur qui  s'est donné(e) la peine d'aller voter -analphabète ou scolarisé(e) - est en droit de vous exiger la consultation de tout document prouvant, de façon incontestable, la crédibilité de « vos » résultats du 24/05/2010 et du 28/06/2010.

 

Dans sa  maturité politique, le peuple souverain a le droit de s'assurer que le verdict des urnes a été scrupuleusement respecté les 24/05/2010 et 28/06/2010, ce que vous vous entêtez à refuser.

 

Puisque vous ne démontrerez jamais les vrais résultats des scrutins passés auxquels les électeurs avaient droit, vous serez jugé par un tribunal compétent, le moment venu. Cela d'autant plus que votre incurie continue, encore maintenant, à occasionner des pertes en vies humaines. Tôt ou tard, la justice burundaise va pouvoir fonctionner en toute indépendance pour que vous personnellement, et tous vos complices, répondiez de toutes les violations des droits de l'homme dont vous persistez à être le premier comptable. En attendant, la majorité du peuple burundais vous dit: « TROP C'EST TROP »!

 

A force de vous acharner à étouffer la vérité sur « vos » résultats électoraux des 24/05/2010 et 28/06/2010, la vérité risque, un jour, de vous éblouir fatalement et vous rendre irréversiblement aveugle . Mais je reste convaincu que ni vous, ni aucun de vos collaborateurs n'est masochiste!!!

 

« ON PEUT TROMPER QUELQU'UN TOUT LE TEMPS, ON PEUT TROMPER TOUT LE MONDE UN CERTAIN TEMPS, MAIS ON NE PEUT PAS TROMPER TOUT LE MONDE TOUT LE TEMPS » (Abraham LINCOLN)

 

BIRIHANYUMA Grégoire.

 

Copie pour info: 1.MOE UE; 2. Partis politiques burundais (tous); 3. Société civile (tous)