LETTRE AU PRESIDENT NDADAYE

 Burundi News, le 20 octobre 2007

Par Gratien Rukindikiza

Excellence Monsieur le Président de la République,

Cette lettre intervient exactement quatorze ans après qu’on s’est vu pour la dernière fois à l’Ile Maurice. J’avais longtemps pensé à la forme de cette lettre pour vous informer de la situation actuelle du Burundi.  

Excellence Monsieur le Président de la République, je vous dis sincèrement que vous n’avez pas été remplacé. Ceux qui ont occupé votre fauteuil n’étaient pas élus à part le Président actuel Nkurunziza. Aucun occupant de votre poste n’a pas pu endosser votre stature. Le fauteuil est toujours mal occupé.

Je vous demanderais de bien vouloir  transmettre mes salutations les plus sincères et fraternelles au Prince Rwagasore, à l’ancien Premier ministre Ngendandumwe et aux autres héros burundais. J’espère que vous ignorez ce qui se passe au Burundi pour éviter ainsi de troubler votre tranquillité là haut.

Excellence Monsieur le Président, je pense que vous ignorez ceux qui ont mis fin à votre séjour sur cette terre. Ceux qui ont eu votre pardon après la tentative d’assassinat du 02 au 03 juillet 1993 ont récidivé et ont dirigé la tentative de putsch qui vous a emporté. Ils n’ont pas été les seuls. Je regrette de vous le dire, certains de votre parti ont trempé dans cette histoire macabre. Vous les aviez placés à des postes clé mais ils ont voulu plus, y compris la trahison, du style de Judas. Par ailleurs, votre parti Frodebu n’a jamais voulu faire  la lumière. Les cadres de ce parti ont sauté sur le pouvoir, presque, et ont mis un trait sur les enquêtes sur votre assassinat. Jusqu’aujourd’hui, aucun cadre du Frodebu ne m’a demandé ce qui s’est passé. En temps normal, l’assassinat d’un citoyen ordinaire aurait poussé à faire des enquêtes et à punir les exécutants et les commanditaires.

Je vous informe qu’après votre assassinat, des massacres  ont endeuillé le pays. Des Burundais sont morts. Certains hutu ont tué des tutsi et l’armée a pratiqué la vengeance contre les hutu dans certaines régions. Seuls votre épouse et votre père ont appelé au calme. Vos camarades de parti avaient les langues liées et ont laissé faire du moins les massacres des tutsi. Le Président qui vous a succédé était Ntaryamira. Il est mort avec le Président rwandais lorsque l’avion de ce dernier a été abattu. Il a été remplacé par Ntibantunganya, qui a été incapable d’arrêter les tueries visant les hutu dans la ville de Bujumbura. L’université s’est vidée de hutu et ils sont partis rejoindre les maquis. Ce sont les dirigeants actuels du Burundi.

Excellence Monsieur le Président, les commanditaires de votre assassinat n’ont pas été jugés. Pire, comme une prime au crime, certains sont devenus des généraux de l’armée burundaise. Les officiers qui ont refusé de suivre le mouvement ont été marginalisés. Le sort du major Bugegene qui commandait le camp Gakumbu, qui avait refusé à ce que ses hommes participent à la tentative n’est pas à envier. Il s’est retrouvé dans une prison du Congo et vos anciens camarades du parti n’ont rien fait pour le faire libérer. Au pire, certains l’ont accablé. De retour au Burundi, il a été accusé de putschiste par ceux qui ont fait le putsch. Quant à celui qui vous écrit cette lettre, il s’est retrouvé en France pour un stage de protection de hautes personnalités. Il n’a pas pu regagner le pays car les putschistes étaient toujours au pouvoir. Ce n’est qu’après l’arrivée au pouvoir des anciens rebelles que l’influence de vos assassins a diminué.

Il m’est très difficile de vous dire ce qu’on a fait de votre tombe. Ni le pouvoir Frodebu, ni le nouveau pouvoir, ni les autres personnes n’ont voulu entretenir votre tombe. Les militaires Sud Africains sont installés à côté de votre tombe. Il est presque impossible de se recueillir sur votre tombe. Je n’ai pas pu le faire malgré ma volonté quand je suis retourné au Burundi l’été de 2006.

Le Burundi est actuellement dans une impasse. Les nouveaux dirigeants manquent de maturité politique. Ils ont encore le réflexe des maquis. Le Président de la République a vendu l’avion Falcon à 8 millions de dollars et a fait faire une fausse facture de 3 millions de dollars. Le reste, il s’est mis dans les poches. Il reçoit aussi des millions de dollars du pétrole nigérian qu’il met dans sa poche. Entre temps, les Burundais sont pauvres, très pauvres. En contre partie, le Président prie en suivant le principe de Karl Marx que la religion est l’opium du peuple. En les ramenant à la prière, les Burundais oublient la réalité de la misère, de l’oppression du pouvoir. La communauté internationale a suspendu l’aide. Par ailleurs, les dirigeants  n’arrêtent pas de s’enrichir.

Nous vous avons perdu Monsieur le Président. Aujourd’hui, nous pleurons votre assassinant doublement. Notre Président a été assassiné et voilà, nous nous retrouvons avec des politiciens incapables, des aventuriers.

Excellence Monsieur le Président, je n’ai pas envie de troubler la paix et la sérénité qui doivent régner là haut. Je vous écris cette lettre tout en croyant que Dieu a un système d’internet plus évolué. J’espère que vous l’aurez sans tarder. Votre réponse pourra passer par le même canal en écrivant à la terre sans oublier mon nom et prénom. Les terriens pourront se débrouiller pour me l’acheminer.

Cher Président Ndadaye, cette lettre est mon dernier recours. Les Burundais ont tout fait pour que les politiciens s’occupent du peuple mais rien n’a été fait. Nous avons dénoncé les choses qui ne vont pas bien. Rien n’a été changé. J’ai réfléchi et j’ai pensé à vous écrire comme dernier recours, votre réponse pourrait être bénéfique pour le Burundi. Faut-il continuer à critiquer ou faut-il se lancer dans la bataille ?

En terminant, je vous souhaite un bon séjour dans votre deuxième vie éternelle.

Je vous exprime  mon admiration et ma sympathie.

Gratien Rukindikiza