Monsieur Domitien NDAYIZEYE écrit à Son Excellence Morisho JAKAYA KIKWETE, Vice-Président de l’Initiative Régionale pour la Paix au BURUNDI et Président de la République Unie de TANZANIE.

dimanche 19 novembre 2006.
 
 

Monsieur Domitien NDAYIZEYE         Bujumbura, le 22 Octobre 2006
Ancien Président de la République
B.P. 6242 Tél. (257) 252985
Fax (57)252986 Mob. (257) 736400
BUJUMBURA - BURUNDI
PRISON CENTRALE DE MPIMBA

A Son Excellence Morisho JAKAYA KIKWETE, Vice-Président de l’Initiative Régionale pour la Paix au BURUNDI et Président de la République Unie de TANZANIE. à DAR-ES-SALAM.

Excellence Monsieur le Président,

Après une sortie de la période de transition et un passage de témoin grandiose le 26 août 2005, le monde entier avait salué le Burundi comme un modèle mondial de sortie de conflit. Les espoirs étaient fondés pour nous engager dans la voie de son développement économique et social dans un système politique démocratique marqué par le multipartisme et la participation des partis importants dans les institutions.

Aujourd’hui d’aucuns, burundais et étrangers, diront que bientôt le Burundi risque de rater son virage et sombrera dans la brume, s’il ne redresse pas son volant rapidement. Les plus optimistes estiment que le Burundi est à la croisée des chemins et que ses dirigeants sont en grande épreuve de gouvernance politique, économique et sociale marquée par une série de critiques de la part des opinions nationale et internationale dans tous ces domaines.

C’est donc dans ce contexte d’incertitude que l’exécutif burundais s’est laissé embourbé par le parti au pouvoir dans une lutte sans merci contre de paisibles citoyens dont moi-même, les accusant de fomenter un coup d’Etat, imaginaire certes, vraisemblablement pour noyer sa colère face aux critiques dont il fait l’objet de la part de ceux qui l’ont soutenus et élus hier, de l’opposition politique, de la société civile et des médias.

Tous les burundais se souviennent qu’en mars 2006, les plus hautes autorités du pays ont fait état d’un coup de force en préparation et ont affirmé détenir des preuves. Dans la suite, nous devions apprendre de la direction du parti au pouvoir que ce coup d’Etat n’existait pas.

En juillet de cette même année, des voix ont filtré du Service National des Renseignements de la Présidence de la République que des _ montages étaient en cours d’élaboration pour accuser et arrêter de hautes personnalités et dont la liste était en confection mais tenue au secret.

C’est finalement et précisément les 31 juillet, 1er et 2 août que des citoyens dont le Président du Parti FNL-ICANZO Monsieur Alain _ MUGABARABONA, l’ancien Vice-Président de la République Monsieur Alphonse-Marie KADEGE, Monsieur Déo NIYONZIMA et le Colonel Damien NDARISIGARANYE furent arrêtés, torturés et interrogés par ce Service National des Renseignements de la Présidence. Maître Isidore RUFYIKIRI, avocat de première heure de Déo NIYONZIMA et Alphonse-Marie KADEGE devait les rejoindre le 3 août pour avoir dénoncé les tortures dont ses clients faisaient l’objet dans les geôles de cette police présidentielle . Quant à moi, je les ai rejoint à la prison centrale de MPIMBA le 21 août 2006, deux semaines après ma visite au Président de la République Unie de Tanzanie S.E. JAKAYA Morisho KIKWETE et au Président de la République Ugandaise S.E. YOWERI Kaguta MUSEVENI du 28/7 au 6/8/ 2006.

Je fus d’ailleurs informé que les personnes précitées avaient été torturées pour me citer d’avoir organisé des réunions chez moi pour le renversement des institutions et accepter d’y avoir participé. Certains avaient avoué pour sauver leurs vies et celles de leurs familles, jusqu’à ce que l’opinion publique nationale et internationale dénoncèrent ces pratiques. Ils ont d’ailleurs demandé pardon à leurs co-prévenus pour cet aveux extorqué de force et ils l’ont obtenu. Les autres ont niés jusqu’au bout.

A ce propos, je vais répéter ce que j’ai déjà dit sur les ondes des radios : « les personnes ci-avant indiquées et prévenues dans cette affaire ne sont jamais venues chez moi et il était inutile de les torturer », tandis que trois d’entre eux m’étaient inconnues et personne n’y pourra rien. L’histoire de réunions chez moi est donc un montage cousu de fil blanc qu’il est facile de vérifier pour peu que le Ministère public en ait eu la volonté. Il suffisait de demander aux agents de ma garde permanente. Mais,probablement que leur réponse n’intéressait pas le ministère public.

Qu’à cela ne tienne ! Dans une hypothèse de tentative de coup d’Etat où le gouvernement affirme être en possession de preuves irréfutables, nous nous attendions à une instruction et un jugement transparents et rapides. Mais force est de constater que plutôt que de faire valoir les preuves naguère vantées, le Service National des Renseignements de la Présidence a procédé à la torture des personnes arrêtées pour leur extorquer des aveux ayant pour but de s’accuser mutuellement et de citer d’autres personnes ciblées et listées d’avance dont l’ancien Président de la République pendant la période de transition que je suis. « Ce qui signifie ni plus ni moins que les preuves vantées n’existent pas, sinon ils n’auraient pas eu besoin de les torturer ».

De plus, aujourd’hui l’instruction de ce pseudo dossier s’enlise. Nous observons que le Procureur Général de la République saisi du dossier dit aux uns qu’il détient des preuves sans les présenter d’une part, et aux autres qu’il est à la recherche de ces mêmes preuves d’autres part. Deux positions diamétralement opposées me direz-vous ! Eh oui ! « Cela confirme que les preuves vantées naguère n’existent pas ». En fait aux étrangers il brandit la détention des preuves pour éviter des pressions ou semer le doute, aux burundais et à la justice il présente le besoin de temps pour chercher urgemment des preuves, les deux positions ayant pour finalité de nous faire croupir en prison le plus longtemps possible.

La vérité donc est que ce peudo-dossier est au point mort. En effet, depuis le 24 août 2006, jour où l’ordonnance de notre mise en détention provisoire a été rendue, nous avons été gardés sous les liens de celle-ci jusqu’à son expiration le 22 septembre 2006 sans que le Procureur Général de la République n’organise une seule séance d’instruction complémentaire ou de confrontation avec l’un ou l’autre prévenu. Pour nous, c’est parce qu’il n’y a pas matière à instruction et c’est vrai. Il aura d’ailleurs fallu notre lettre de mise en alerte sur la fin imminente de validité de cette ordonnance pour que le Procureur Général de la République pense à en demander la prorogation, mais longtemps après l’expiration des délais de cette validité. La plus haute cours saisie déclara évidement irrecevable cette demande pour forclusion des délais, nous accorda la liberté provisoire et nous adressa une ordonnance ad hoc le 6 octobre 2006.

Non satisfait de cette libération décidée en toute justice par la Haute Cour, le Procureur Général de la République a immédiatement instruit le Directeur de Prison de ne pas nous libérer, en évoquant un faux appel contre cette ordonnance. Dans la suite, le gouvernement entreprit de faire nommer dans la dite cours de nouveaux juges aux capacités discutables mais loyaux au parti en selle du pouvoir, avec l’intention de les aligner en jugement sur ce putsch imaginaire qui nous oppose à l’exécutif et au parti CNDD-FDD. C’est ce qui s’est passé en séance du 26/10/2006. Le siège composé de ces nouveaux uniquement a sur injonction, annulé notre libération contre la loi.

Plusieurs partis politiques et membres de la société civile ont dénoncé cette manipulation de la justice par l’exécutif d’autant plus que le personnel en place n’est pas dépassé et n’a pas démérité. Notre avis n’est d’ailleurs pas loin de la leur.

C’est donc pour mettre un terme à la confusion volontairement entretenue par le Procureur Général de la République et aux spéculations observées autour de lui et de la Présidente de la Cour Suprême et dont ils sont peut-être prisonniers sur ce dossier que j’ai décidé de porter à votre connaissance son contenu en annexe.

C’est aussi pour solliciter le concours de tout un chacun, burundais ou étranger, petit ou grand, afin d’amener les hommes qui nous gouvernent à faire preuve de bon sens et de courage pour sortir de cet engrenage qui ne fait que nuire notre pays. Nous devons aujourd’hui éviter de commettre une injustice telle que vécue par le guinéen DIALLO TELLI, après tant d’efforts que nous-mêmes et la communauté internationale avons déployé pour sortir notre pays de la crise politique et sécuritaire aussi dure et longue.

Dans un tel contexte, Son excellence Monsieur le Président de la République du Burundi est le premier concerné. Il répondra sûrement devant l’histoire et le Tout Puissant, si des personnes innocentes subissent des sévices dans une indifférence complice. Et si Dieu a réellement encore une place dans les cœurs des personnes qui l’évoquent souvent, celles-ci doivent assumer leurs responsabilités devant Lui par rapport au peuple dont ils sont les gardiens. Le jour où Dieu demandera : « qu’avez-vous fait de mon peuple », personne n’aura à évoquer que « John, Patrick, Mohamed ou… » l’en aurait empêché alors qu’il disposait de tous les moyens à portée de la main.

De mon point de vue, fort de mes convictions en faveur de la démocratie et contre les coups d’Etat, je suis convaincu que le groupe mis en cause tel que composé n’en a pas organisé un ! Si par impossible il y en avait un, il faut chercher ailleurs. En foi de quoi ce groupe doit être mis en liberté.

Avec espoir que vos efforts ne seront pas vains, je vous prie d’agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, les assurances de ma profonde gratitude.

Domitien NDAYIZEYE

Ancien Président de la République du BURUNDI et Sénateur (Période de Transition Avril 2003-Août 2005)

C.P.I.
-Honorable Président de l’Assemblée Nationale ; -Honorable Président du Sénat ;

-Madame, Monsieur le Représentant de l’Organisation Internationale ;

-Madame, Monsieur le Représentant de l’Organisation Non-Gouvernementale ;