Burundi news, le 01/11/2009

  

Lettre ouverte à la Ministre chargée de la lutte contre le SIDA,

Madame Speciose BARANSATA

 

Par  Annie STECKEL-NDAYUHURUME

 

L’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que « Tout individu a droit à la vie, à la liberté, et à la sûreté de sa personne ».

Le mot « ministre » vient du mot latin « minister » qui signifie « serviteur ».

Votre premier devoir est donc de servir le peuple burundais, de respecter son droit à la vie, mais vous avez failli à votre mission qui est celle, notamment, de faciliter la mise en œuvre du plan national de lutte contre le VIH/SIDA, qui est axé sur la prévention, la prise en charge médico-psycho-sociale et la lutte contre la discrimination et la stigmatisation.

L’UNICEF-BURUNDI a accepté de financer, le 10 avril 2008, le projet de l’association VITA-Burundi dont le but est de contribuer à réduire la propagation du VIH/SIDA par le biais d’un livre-témoignage et d’un film retraçant la vie et la lutte d’un des premiers pionniers de la lutte contre le SIDA au BURUNDI, Juvénal NTANDIKIYE.

Monsieur Jean-Luc Romero, premier homme politique français à avoir révéler sa séropositivité, a exceptionnellement consenti à postfacer le témoignage de Juvénal NTANDIKIYE en saluant son courage, et la pertinence du livre dans la lutte contre le VIH/SIDA.

Le livre de Juvénal NTANDIKIYE qui a été qualifié de support d’une importance capitale pour la jeunesse, devait être édité, imprimé et mis à la disposition des écoles et des centres jeunes sur tout le territoire national du BURUNDI dès l’automne 2008.

 Conformément aux procédures en vigueur, la requête de financement vous a été remise le 30 juin 2008.

Après moult relances tant de l’UNICEF que de l’association VITA, vous avez délibérément, et pour une raison obscure, attendu le 15 octobre 2008 pour valider la requête, soit le jour-même de l’expiration du délai imparti par l’UNICEF-BURUNDI dont le budget annuel devait impérativement être clos le 15 octobre 2008, ce dont vous aviez une parfaite connaissance.

La tardiveté de votre aval n’a donc pas permis à l’UNICEF-BURUNDI de mettre en œuvre les procédures d’exécution du projet.

C’est ainsi, au regard de l’intérêt et l’impact du témoignage de Juvénal NTANDIKIYE, que l’UNICEF-BURUNDI a accepté de reporter le financement du projet pour 2009.

Une nouvelle requête vous a donc été remise au titre de l’exercice 2009.

A partir de ce moment, vous n’avez pas cessé d’exiger que des modifications soient apportées au contenu du livre. Vous avez ordonné qu’il soit « validé » par des jeunes en organisant des ateliers de validation avec une lenteur inexplicable vous retranchant systématiquement derrière des motifs fallacieux, vous avez imposé à l’association VITA la création d’un dépliant, etc….

Il est symptomatique de relever qu’en 2008, vous n’avez, à aucun moment, sollicité la moindre correction dans le témoignage de Juvénal NTANDIKIYE, ni évoqué une quelconque « validation » par les jeunes.

Tous vos désidératas, au demeurant non justifiés et à tout le moins arbitraires, ont été réalisés à la fin du mois de juillet 2009.

Il n’existait donc plus aucun obstacle, du moins avoué, à l’homologation par vos soins de la requête de financement, et à sa transmission à l’UNICEF.

Toutefois, à compter du mois d’août 2009, vous avez émis une nouvelle revendication, à savoir que Juvénal NTANDIKIYE ampute, de manière significative, le témoignage du Docteur Thadée BUZINGO, au motif qu’il était trop long, mais surtout que certains passages mentionnant Jeanne GAPIYA et relatifs à des évènements qui se sont déroulés au sein de l’ANSS, dont Juvénal NTANDIKIYE est l’un des cofondateurs, revêtaient un caractère « tendancieux ».

En véritable « mushingantahe », Juvénal NTANDIKIYE a, à regret, fait droit à votre ultime demande en supprimant les parties dérangeantes du témoignage du Docteur Thadée BUZINGO, afin que plus rien ne s’oppose à la signature de la requête de financement.

C’est ainsi que dès le 10 août 2009, et par anticipation, l’UNICEF-BURUNDI a lancé un appel d’offre international pour l’édition du livre, et entamé les procédures administratives, dans l’attente de l’envoi, par vos soins, de cette fameuse requête signée.

Parallèlement, nos relances quasi quotidiennes auprès de votre conseiller ont systématiquement abouti à cette réponse qui s’avère aujourd’hui des plus mensongères : « le dossier suit son cours normal ».

Force nous a été de constater, que malgré l’assurance formelle donnée par votre plus proche collaborateur, à savoir que la requête régularisée serait transmise à l’UNICEF-BURUNDI au plus tard le 25 septembre 2009, celle-ci n’était toujours pas arrivée à L’UNICEF au retour des congés de la responsable du dossier le 18 octobre 2009, alors que vous saviez pertinemment que cette Organisation clôturait son budget annuel le 15 octobre, comme chaque année.

Vous avez donc renouvelé votre « exploit » de 2008, et lâchement profité de la période de congés pour bloquer le projet, de façon certaine et sans la moindre motivation, ne vous en déplaise.

Le 19 octobre 2009, votre conseiller confirmait au représentant légal de VITA-BURUNDI que le « dossier suivait son cours normal », alors qu’à cette date, l’UNICEF-BURUNDI avait d’ores et déjà clôturé son année budgétaire et annoncé que le projet ne pouvait  plus être reporté à 2010.

Le 20 octobre 2009, lors d’une réunion avec l’UNICEF, vous avez affirmé ne pas avoir signé la requête au motif qu’un journaliste vous avait accusée de bloquer volontairement le projet.

Vous contredisiez ainsi la déclaration faite par votre conseiller la veille !

Le 21 octobre 2009, interrogée par un journaliste, vous avez même eu l’audace de prétendre avec aplomb que la requête de financement dûment validée était en possession de l’UNICEF-BURUNDI depuis la semaine précédente !

Et enfin, le 22 octobre 2009, votre conseiller a poussé le vice jusqu’à soutenir qu’il n’y avait aucun problème et que « le dossier suivait son cours normal ».

Finalement, il semblerait, ce qui reste encore à démontrer, qu’en raison de la pression médiatique, vous ayez communiqué la requête de financement homologuée, non pas à la responsable de la section VIH/SIDA de l’UNICEF, mais au représentant légal de cette Organisation, le 23 octobre 2009, soit précisément 8 jours après la clôture de l’année budgétaire de l’UNICEF !!!

Manifestement, vous n’êtes ni à une contradiction, ni à un mensonge près.

En cinq jours, votre version a changé à cinq reprises. A chaque jour sa version.

En transmettant la requête le 23 octobre 2009, vous étiez consciente qu’elle arriverait hors délai, qu’elle serait déclarée irrecevable, et c’était précisément le but que vous vous étiez fixé, l’instigatrice de ce véritable complot n’étant que Jeanne GAPIYA qui s’assurait ainsi, sans aucune prise de risque, la non divulgation de certaines informations la compromettant.

Par la signature de la requête, qui n’est finalement que le résultat de pressions médiatiques, vous croyez être exonérée de toute responsabilité dans l’échec du projet et dans la décision de Juvénal NTANDIKIYE d’arrêter son traitement d’ARV pour dénoncer l’abus de pouvoir qui est votre apanage depuis deux ans.

Votre comportement à l’égard de ce dossier est tout simplement scandaleux et intolérable.

Le BURUNDI est un petit pays. Tout le monde connaît tout sur tout le monde.

Depuis 2008, il est de notoriété publique que le témoignage du combat que mène Juvénal NTANDIKIYE, premier Burundais à avoir déclarer sa séropositivité (ce qui peut aisément être prouvé), depuis près de 22 ans contre le SIDA a été retranscrit sous forme de livre.

Il est également de notoriété publique que l’UNICEF-BURUNDI a accepté de financer l’édition, l’impression et la distribution de ce livre qui est un réel outil didactique destiné à la jeunesse burundaise en particulier, et africaine en général.

Il est constant que des versions de ce témoignage circulent dans un certain milieu et ce depuis deux ans au BURUNDI, de sorte que son contenu a pu apparaître embarrassant pour l’actuelle présidente de l’ANSS, Jeanne GAPIYA, et à propos desquelles elle devra, un jour ou l’autre, se justifier.

Il est avéré que Jeanne GAPIYA et vous-même êtes non seulement très proches, mais également de la même sensibilité politique.

Il n’est pas contestable que depuis plusieurs mois, Jeanne GAPIYA a multiplié les interviews, les apparitions médiatiques, les nombreux entretiens avec vous-même,  et s’est empressée de diffuser un film relatant sa vie (la coïncidence est pourtant grossière).

L’effervescence de ses activités n’avait alors pas paru suspecte. A présent, il convient de se rendre compte qu’elle était annonciatrice de la mort du projet.

Ces nombreux indices constituent sinon la preuve, à tout le moins un faisceau de présomptions démontrant la collusion frauduleuse entre vous-même et Jeanne GAPIYA pour bloquer le projet de Juvénal NTANDIKIYE et éviter ainsi la divulgation publique de certaines informations mettant en cause Jeanne GAPIYA.

Il est inacceptable pour un représentant de l’Etat d’être complice de tels agissements qui ne peuvent s’analyser qu’en des faits de corruption qui, au final, sanctionnent la jeunesse burundaise qui auraient dû bénéficier de l’expérience de Juvénal NTANDIKIYE, à travers son livre dont l’unique ambition est la prévention du VIH/SIDA.

La corruption est  la perversion ou le détournement d'un processus ou d'une interaction entre une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d'obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d'obtenir une rétribution ou des avantages en échange de sa bienveillance. Elle peut concerner toute personne bénéficiant d'un pouvoir de décision, ce qui est assurément votre cas.

 

Comme tant d’autres, vous êtes la « marionnette » des ambitions orgueilleuses de Jeanne GAPIYA.

Quelle récompense vous a-t-elle promise ? Elle-t-elle au moins à la hauteur de votre trahison ?

Car il s’agit bien de trahison envers la population burundaise pour laquelle vous montrez le plus grand mépris.

Cette population dont on dénie les droits les plus fondamentaux.

Cette population qui a connu un génocide et une guerre civile de près de 13 années.

Cette population qui subit, dans le silence, la corruption de la majorité de ses dirigeants, de ses fonctionnaires, ralentissant ainsi le développement du BURUNDI, ce magnifique pays aux mille collines.

Le BURUNDI est confronté à deux fléaux, qui sont par ailleurs des priorités nationales comme l’a très justement relevé la Banque Mondiale : la corruption et la pandémie VIH/SIDA.

Vous excellez dans le premier, et êtes incompétente et irresponsable dans le second.

Je suis intimement convaincue que certaines contaminations au VIH, constatées ces deux dernières années, auraient pu être prévenues à la lumière du témoignage de Juvénal NTANDIKYE.

Partant, comment avez-vous osé mettre en balance la réputation d’une seule personne qui est très loin d’être irréprochable, et la vie de dizaines voire de centaines d’autres ?

Il est inadmissible qu’aucune stratégie efficace de prévention du VIH/SIDA n’existe au BURUNDI.

L’évidence voudrait que le problème du VIH/SIDA soit envisagé en amont par l’information et l’éducation de la jeunesse qui constitue la force vive du BURUNDI.

En vous opposant à l’édition du livre de Juvénal NTANDIKIYE, par des procédés inqualifiables, empêchant par là-même l’accès à des informations vitales, vous avez violé le droit à la vie dont dispose tout individu. Ceci constitue un crime contre l’humanité.

Car au BURUNDI, nombreux sont ceux, notamment de l’intérieur, qui ignorent par manque d’informations ou par absence de dépistage, qu’ils sont infectés et donc qu’ils sont susceptibles d’en contaminer d’autres.

Le SIDA a décimé des familles entières, et cette spirale mortelle est loin d’être enrayée pour les raisons que j’ai évoquées ci-dessus.

A quel taux de séroprévalence faut-il arriver au BURUNDI, pour qu’enfin une réponse satisfaisante soit apportée ?

Pour conclure, je souhaite simplement présenter le cadre de mon intervention.

 Je suis la première épouse d’un ancien grand journaliste burundais exerçant à la BBC, créateur de deux émissions très populaires « Flash back » et « Imvo n'Imvano », feu Laurent NDAYUHURUME, décédé le 6 décembre 2005 dans la souffrance et dans le déni d’être atteint du SIDA.

Notre fils, Julien, et moi-même avons été profondément choqués d’apprendre, bien après les obsèques, la raison du décès de feu Laurent NDAYUHURUME.

 Depuis lors, je suis active dans la lutte contre cette pandémie, car je ne peux pas admettre que le SIDA demeure toujours un sujet tabou, alors que des millions de personnes ont été contaminées en 2008 et en 2009.

La stigmatisation et la discrimination dont sont victimes les personnes atteintes du VIH ou du SIDA sont tout aussi inacceptables, car elles sont un frein à l’efficacité des stratégies de prévention et de prise en charge.

Vous avez cru pouvoir me mettre en cause dans un communiqué de presse du vendredi 30 octobre 2009. Vous vous être cru autorisée à affirmer que j’étais la « femme » de Juvénal NTANDIKIYE. C’est faux, mais vous n’êtes pas à une affabulation près.

Je suis la secrétaire générale de VITA-FRANCE, dont Juvénal NTANDIKIYE est le président.

Par ailleurs, il n’existe à ce jour absolument aucun problème entre Antoine KABURAHE et Juvénal NTANDIKIYE, contrairement à votre déclaration.

Je ne vous autorise pas à me manipuler pour justifier, stupidement mais vainement, vos actes répréhensibles.

Quand un imbécile fait quelque chose dont il a honte, il déclare toujours que c’est son devoir (George Bernard SHAW).

Mon unique conseil à votre endroit : démissionnez afin que la responsabilité du Ministère de la Lutte contre le SIDA soit dévolue à une personne intègre et consciente des priorités du BURUNDI.

 

Annie STECKEL-NDAYUHURUME